VOYAGE AU PAYS DES SQUALES ET DES ORNEMENTALISTES

Ne dites pas à Emmanuel Leguay ni à Emmanuel Meunier qu’ils sont vétérinaires spécialistes en poissons. Ils vous corrigeront en chœur : « Pas en poissons, en poissons d’ornement. » Le début du travail en commun des 2 praticiens a été initié à l’école vétérinaire de Toulouse, où ils s’occupaient du club aquariophilie. Une fois diplômés, l’idée de développer une pratique médicale uniquement ciblée sur le poisson d’ornement mûrit et le cabinet Vetofish naît entre 2000 et 2001 : « Au départ, nous hésitions. Avoir une activité mixte était tentant et sécurisant. Finalement, nous nous sommes lancés avec la seule spécialité “poisson d’ornement”, car nous savions que, pour réussir, il fallait miser d’emblée sur un marché national et non local. Cela supposait d’être disponible, ce que nous aurait empêché une activité mixte », témoigne Emmanuel Leguay. Ils s’installent à Martigues (Bouches-du-Rhône), mais leur 1^er client est l’aquarium de Paris. « Cela n’a pas été évident au début, ne serait-ce que par l’absence des vétérinaires dans ce secteur d’activité auparavant, renchérit Emmanuel Meunier. Il nous a fallu plusieurs années pour commencer à travailler avec l’aquarium de Biarritz alors qu’Emmanuel [Leguay] y a passé beaucoup de temps pour préparer sa thèse de fin d’étude. »

Aujourd’hui, l’activité de Vetofish se répartit entre plusieurs types de clients (aquariums publics, importateurs, éleveurs, animaleries, mais aussi particuliers). « Les particuliers sont le plus souvent des propriétaires de bassins de carpes japonaises. L’aquariophilie est un tout petit milieu où l’on se fait vite connaître via quel­ques articles dans les revues spécialisées et par le bouche-à-oreilles. Des centres de fish pedicure commencent à nous solliciter, ce qui ne va pas sans poser de questions en termes zoonotique. Dans ces structures ouvertes au public, les clients trempent leurs pieds dans un bain où nagent des poissons garra rufa, réputés pour leur aptitude à manger les peaux mortes. »

Échographies et radiographies expérimentales

L’activité dans les grands aquariums publics, tels que celui de Montpellier (Hérault), est contractualisée et suppose des visites régulières : « Nous avons un contrat de suivi de l’ensemble des bassins et nous passons tous les 2 mois. Aujourd’hui, nous intervenons chez un requin gris blessé au museau. L’enjeu n’est pas seulement de soigner, mais aussi de mettre en place des procédures et des protocoles de soins. Dans ce secteur, tout est encore à établir. Il importe de démontrer aux soigneurs que la manipulation à des fins sanitaires est possible, que nous pouvons intervenir ensemble chez les poissons avec efficacité et sans trop de stress pour les animaux – et les animaliers –, que l’administration parentérale de médicament via une lance spéciale est également envisageable, dans un souci de bien-être des grands chondrichthyens. Le requin-zèbre que nous allons attraper servira à un entraînement médical, sans anesthésie, destiné à effectuer des examens complémentaires par échographie et par radiographie. La présence de notre confrère Jérôme Thévenot, hippiatre, est intéressante, car il nous aidera à déterminer l’étendue des dégâts de la plaie. » L’apport de l’échographie est de faire le lien pratique entre une anatomie peu décrite et une pratique médicale à banaliser. Nos 2 confrères participent ainsi à des missions de recherche et ont, par exemple, décrit un cas d’hermaphrodisme chez une raie aigle. Jusqu’à la fin du XX^e siècle, les aquariums publics étaient fortement impliqués dans des programmes de recher­che sur les poissons. Les temps vont vers un retour des missions de sensibilisation à la recherche scientifique, mais aussi vers la participation à la dynamique de repeuplement d’espèces rares. Les prises de sang visent à établir des normes hématologiques vestales et à apporter des échantillons utiles à la connaissance génétique de ces espèces.

Un marché de niche contraint par la quantité de déplacements

« En dehors de ces manipulations spectaculaires sur les requins, conclut Emmanuel Leguay, notre objectif est de montrer que nous sommes incontournables en matière de prévention des maladies, en abordant les règles et les procédures sanitaires, l’alimentation et l’hygiène générale, même si nous disposons aujourd’hui de peu de publications internationales sur lesquelles nous appuyer. » Pour nos confrères, l’avenir s’annonce serein : « Malgré le côté “marché de niche”, nous sommes étonnés de la diversité de notre activité », aime à rappeler Emmanuel Meunier. « Nous sommes consultés en amont, dans le cadre de la conception de nouvelles structures. Nous développons un travail de recherche et sommes associés à l’enseignement à l’école vétérinaire de Nantes. » L’optimisme est là, tempéré par des freins inhérents à cette activité de niche : « Nous avons ressenti un effet “crise” comme ailleurs, mais nous pre­nons conscience que le marché est limité. Le frein majeur à un élargissement reste le problème des déplacements. » Pour l’homme, comme pour le poisson, l’aquarium a ses limites géographiques.

• Informations complémentaires : Emmanuel Leguay et Emmanuel Meunier, vétérinaires ichtyopathologistes, audit, conseil et laboratoire d’analyses en poissons d’ornement et environnement (http://www.vetofish.com).