Responsabilité civile professionnelle en équine - La Semaine Vétérinaire n° 1476 du 23/12/2011
La Semaine Vétérinaire n° 1476 du 23/12/2011

Entreprise

Auteur(s) : MARINE NEVEUX

Le praticien équin, comme tout vétérinaire, peut se trouver assigné pour manquement à ses obligations dans le cadre de la responsabilité civile professionnelle. Plusieurs cas de figure sont possibles, dans lesquels le rôle de l’expert est toujours primordial.

Un procès est un parcours de steeple-chase », déclare maître Jean-Pierre Forestier, en introduction à l’atelier de l’Institut du droit équin, le 1er décembre dernier, lors du Congrès vétérinaire annuel Afvac-Avef-RNV de Lyon. Le thème de cette manifestation était la responsabilité civile professionnelle (RCP), laquelle est essentielle pour tout praticien.

OBLIGATIONS DE LA RCP

« La donnée première certaine est liée au fondement de la responsabilité du vétérinaire qui a trait à l’obligation contractuelle de moyens », poursuit maître Jean-Pierre Forestier. Les cas de figure et les domaines où le praticien peut être impliqué sont multiples.

Mais la problématique semble se poser de plus en plus lors des visites d’achat des chevaux, et dans les conflits entre vendeur et acheteur, que le prix soit élevé ou non. « Il est impératif que cette visite d’achat soit la plus précise, la plus circonstanciée et la plus approfondie possible », ajoute l’avocat.

En effet, elle peut engager la responsabilité du vétérinaire, et est essentielle dans la relation entre l’acheteur et le vendeur.

Dans l’obligation de moyens, la charge de la preuve revient au demandeur. C’est à l’expert de dire si cette obligation a été respectée ou pas.

À côté de l’obligation de moyens, il existe une obligation de résultat. Les aléas sont alors faibles lorsque le matériel utilisé est de bonne qualité et que les installations sont dépourvues de tout danger. La victime n’a pas à prouver la faute, mais seulement un fait et un dommage.

Le vétérinaire est aussi tenu d’une obligation d’information. Jusqu’en 1997, la victime avait la lourde charge de prouver le manquement du praticien à cette obligation. Aujourd’hui, c’est à lui de rapporter la preuve qu’il a respecté son devoir d’information. « C’est donc compliqué, car la relation humaine fait que l’on dit les choses, en en écrivant peu. Un vétérinaire passe plus de temps à soigner qu’à rédiger, et cette obligation d’information est une lourde tâche, qu’il doit accomplir avant, pendant et après l’acte », continue le conférencier. Cette obligation s’applique au diagnostic et à l’acte. Un consentement préalable à l’acte est requis. De plus, la qualité des intervenants est essentielle. En effet, la jurisprudence fait une différence entre l’amateur et le professionnel. Le droit de la consommation et le droit civil font peser beaucoup d’obligations sur le professionnel.

En outre, si le vétérinaire insère une clause exonératoire de responsabilité dans son contrat, le demandeur gagnera son procès, car les tribunaux sont devenus allergiques à ces stipulations.

« L’expertise judiciaire en matière de RCP est fondamentale. Le juge n’y comprend rien, les avocats non plus, et le premier a une forte tendance à homologuer ses conclusions », ironise maître Jean-Pierre Forestier.

Reste l’aléa que représente l’expert judiciaire. Le juge a un pouvoir souverain d’appréciation concernant le lien de causalité, la faute et le préjudice. Par ailleurs, n’oublions pas la perte de chance, qui rencontre un certain succès et à laquelle les tribunaux attachent de plus en plus d’importance.

Là aussi, ce critère est à l’appréciation du juge, qui extrait du dossier un léger manquement à l’obligation d’information pour en tirer une perte de chance : « Nous sommes sur cette tendance », conclut maître Forestier.

ENGAGEMENT DE LA RCP

Maître Blanche de Granvilliers a, pour sa part, détaillé les différentes situations face auxquelles le praticien peut se trouver.

1. Le sinistre est garanti et pris en charge par la compagnie d’assurances.

Cette première hypothèse est la plus confortable pour le vétérinaire. Ce dernier dispose de 5 jours ouvrés pour effectuer la déclaration lors de sinistre et de 48 heures pour transmettre les pièces.

« Dans cette situation, les intérêts de votre compagnie et les vôtres sont liés » : renvoyer le demandeur dans ses buts en déclarant que vous n’avez commis aucune faute.

« Là, vous devez être assisté d’un expert. » Les contrats d’assistance prévoient que l’assurance fournit des noms d’experts au vétérinaire.

En RCP, c’est la compagnie d’assurances qui dispose de l’entière conduite du procès (à l’inverse, lorsqu’une responsabilité pénale est recherchée, le praticien dirige celui-ci). L’assureur a ainsi le choix de l’avocat (si vous en prenez un de votre côté, il est en mesure de vous l’interdire). Il va décider d’organiser ou non une expertise amiable. « À vous de prendre contact avec votre compagnie d’assurances pour savoir si une telle expertise peut être faite, ce qui n’exclut pas une expertise judiciaire ultérieure », conseille maître Blanche de Granvilliers.

Si l’expertise est amiable, cela permet d’aller plus vite. La compagnie prend alors les frais d’expert et d’avocat à sa charge. Les assureurs ont leurs avocats, avec lesquels ils travaillent habituellement. Certains en ont un pour tous les litiges en équine, un autre pour les conflits en pratique bovine, etc., ou encore par régions.

« Rien ne vous interdit de prendre contact avec l’avocat dès le début de la mise en cause, pour vérifier aussi ses compétences. A priori, vous n’aurez pas la possibilité d’en changer », poursuit maître de Granvilliers.

Une fois le jugement de première instance rendu, si l’adversaire est débouté, tout va bien.

En revanche, si la décision condamne le vétérinaire et que la compagnie d’assurances ne souhaite pas interjeter appel, contre l’avis du praticien, cela se complique. Par exemple, il arrive que l’assureur considère la somme comme trop dérisoire pour faire appel. Que peut faire l’assuré dans ce cas de figure ? A-t-il le droit de faire appel ? Dans les contrats d’assurance de protection juridique, cette hypothèse de désaccord entre l’assureur et l’assuré est postulée, avec à la clé un recours à l’arbitrage. Chacune des parties désigne alors son avocat, dans la recherche d’un accord, et une troisième personne est nommée, afin de juger si un procès est nécessaire.

« Dans les contrats de RCP, je n’ai pas trouvé mention de ces arbitrages », témoigne maître Blanche de Granvilliers. Le vétérinaire a-t-il alors moyen d’interjeter appel ? A priori non. « Peut-être pouvez-vous poursuivre la procédure, mais à vos frais. Cependant, c’est à double tranchant », souligne Blanche de Granvilliers. Souvent, les praticiens n’aiment pas qu’une faute leur soit opposée, même si la condamnation est faible. La compagnie d’assurances, quant à elle, raisonne selon ses finances.

2. La déclaration est effectuée, mais l’assurance ne couvre pas le sinistre.

En pratique, il existe des cas où le sinistre n’est pas couvert. Cela peut provenir du vétérinaire, qui n’a pas bien décrit ses activités ou défini le plafond, ou qui n’a pas compris son contrat. C’est la situation dans laquelle l’avocat intervient lorsque l’assignation est là.

En effet, un certain nombre de sinistres peuvent ne pas être garantis. « Il y a des contrats où les dommages non consécutifs ne sont pas couverts », témoigne maître Blanche de Granvilliers. Bien entendu, ce n’est pas écrit ainsi ! Les exclusions sont en gras, mais ce qui n’est pas garanti est différent de l’exclusion…

Dans le dommage immatériel non consécutif, le préjudice réclamé par un tiers provient de la privation d’un droit (en l’absence de dommages corporel et matériel). Le cheval n’a subi aucun dommage, mais le professionnel se voit privé d’un droit, par exemple à la suite d’une visite d’achat.

« En tant que professionnel mis en cause, vous avez intérêt à demander le plus vite possible si le sinistre est garanti ou non, conseille maître Blanche de Granvilliers, et avant de recevoir les conclusions de la compagnie ! »

Autre exemple de dommage immatériel non consécutif : l’erreur dans l’utilisation des paillettes (sperme congelé) qui peut être commise par le vétérinaire. Si ce n’est pas la bonne jument qui est inséminée, le propriétaire va se retourner contre le haras, mais aussi contre le praticien : c’est l’assignation balai ! « En pratique, le propriétaire voit, en effet, l’intérêt de mettre plusieurs intervenants dans la boucle pour qu’ils puissent se renvoyer la balle et étoffer le dossier ! », explique maître Blanche de Granvilliers. C’est un dommage immatériel non consécutif (la jument n’est pas malade pour autant).

Autre cas de figure, l’assureur prend en charge le dommage associé aux paillettes, mais pas pendant le transport, et ne garantit pas la fuite d’azote (alors que ces deux circonstances génèrent le plus de dommages). Le praticien aura alors beaucoup de mal à assigner Fedex et La Poste, dont les contrats sont très protecteurs.

Maître Blanche de Granvilliers a attiré l’attention des vétérinaires sur d’autres points à surveiller dans les contrats :

– la présence de clauses contradictoires ;

– la garantie de la seule responsabilité contractuelle (à l’exclusion de la responsabilité délictuelle).

Il convient donc de bien lire les contrats. « Le mieux est de les étudier un à un avec votre agent ou votre courtier », recommande l’avocate.

Que faire en cas de refus de garantie ? « Vous êtes libre de choisir l’avocat que vous voulez ! Vous décidez de tout, vous êtes seul maître à bord. […] Vous pouvez prendre un contrat de protection juridique à partir du moment où celui-ci ne concerne pas que la vie privée, mais aussi l’activité professionnelle », déclare Blanche de Granvilliers. Cela permet de disposer d’une prise (au moins partielle) du montant des frais d’avocat.

En outre, il est conseillé de recourir aux fiches de consentement éclairé, surtout pour les actes dits de confort, comme la castration. De nombreuses actions sont engagées à la suite de cette intervention chirurgicale chez le cheval, alors les travaux de l’Avef sur la conférence de consensus sur la castration ont créé ces documents.

La même vigilance est requise concernant le suivi gynécologique. L’obligation d’information existe, surtout quand un risque mortel est présent.

3. Le vétérinaire est couvert, mais le plafond est inférieur aux sommes réclamées.

« C’est dans ce cas de figure que le vétérinaire doit être de la plus grande vigilance », selon Blanche de Granvilliers.

Si le plafond est largement inférieur au montant de la condamnation, « c’est une situation piège, car l’assurance va diriger le procès et être tentée de ne pas remuer ciel et terre pour le gagner ! Il convient donc de faire attention au plafond de garantie. En cas de condamnation, l’assureur voudra en rester là et, vous, vous voudrez continuer », ajoute l’avocate.

En outre, l’attention de l’assuré doit être maintenue jusqu’à la fin de la procédure, car il peut gagner le procès en première instance et le perdre en appel, même si le rapport d’expert lui est favorable. Ce dernier n’est qu’un avis, que les juges suivent ou non, et l’adversaire peut produire des éléments postérieurs pour le contredire.

Maître Blanche de Granvilliers cite un exemple dans lequel l’expert a déclaré que le praticien ayant procédé à la fouille rectale n’est pas responsable. La cour d’appel, quant à elle, a retenu que le vétérinaire a commis une faute dans la fouille et fixé à 150 000 € le manque à gagner que représentent les poulains que la jument aurait pu mettre bas, alors que le plafond de l’assurance est de 30 000 €. Le vétérinaire n’avait pas anticipé cela ! Il a dû régler de sa poche 120 000 €, alors qu’au début du procès il ne s’inquiétait pas.

La prudence est donc de mise concernant les contrats. En RCP, il existe beaucoup de mouvements de personnel dans les structures, alors « attention aux reconductions tacites. Mieux vaut renégocier vos contrats tous les ans avec l’assureur et le courtier ».

Il convient de décrire précisément vos activités, de déterminer celles qui doivent être couvertes, etc. Le courtier a un devoir de conseil. « Donc vous pouvez vous retourner contre lui s’il n’a pas bien accompli sa tâche ! »

  • 1 Voir La Semaine Vétérinaire n° 1475 pages 23 à 28.

POINT DE VIGILANCE

La situation la plus délicate pour un praticien est celle où il reçoit d’un avocat une lettre recommandée avec avis de réception mentionnant telle faute, tel dommage, tels frais, etc., avec, en conclusion, une demande d’indemnisation. « Les vétérinaires ne doivent pas répondre à ce courrier sans en référer à leur assureur. C’est un piège dans lequel il convient de ne pas tomber, même si de bonnes relations commerciales ou des liens de sympathie existent. […] Si le praticien reconnaît sa culpabilité, c’est du pain béni pour l’avocat. Quand bien même une expertise serait réalisée ultérieurement, cet antécédent restera dans le dossier », explique maître Forestier.

La garantie subséquente

« La garantie subséquente est obligatoire », selon l’assureur Daniel Hagopian (article n° 124-5 du Code des assurances). Cette garantie concerne les dommages qui surviennent après l’arrêt de l’activité du vétérinaire. Elle assure toutes les mises en cause et est de 5 ans. « Vous n’êtes couvert que 5 ans, mais la personne ne peut vous assigner pour responsabilité délictuelle au-delà de cette période », ajoute maître Blanche de Granvilliers. « Si l’on arrête son activité, mais en en changeant, qui prend en charge le sinistre : le nouvel assureur ? », s’interroge Michel Martin-Sisteron. « Si vous êtes mis en cause sur votre activité précédente, c’est l’ancien contrat qui jouera », explique Daniel Hagopian. Mais si le praticien garde la même activité, c’est le nouvel assureur qui couvre les anciens dommages.

Obligation de conseil vis-à-vis de la prophylaxie

Dans quelle mesure la vaccination (par exemple contre la rhinopneumonie) fait partie des obligations de conseil ? Selon maître Jean-Pierre Forestier, « l’obligation de conseil dépend de la nature et du risque scientifiques. Elle doit s’appliquer, si possible, par écrit ». Le risque n’est pas toujours aisé à grader, d’autant qu’il est lié à plusieurs paramètres (contexte, etc.). De plus, « cela peut être interprété de façon variable selon la juridiction », ajoute Michel Martin-Sisteron.

Gynécologie et consentement éclairé

Le consentement éclairé doit être obtenu auprès du propriétaire (et non auprès du haras), si le vétérinaire lui facture l’acte directement, car cela constitue un lien contractuel. Si la facturation est effectuée auprès du haras, la décision est différente.

Une personne peut aussi être mandatée pour le suivi gynécologique et c’est alors elle qui porte la responsabilité. Elle doit signer le document de consentement éclairé, lequel mentionne clairement la nature de son mandat (suivi gynécologique, échographique, etc.).

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