La naissance du cinéma meuglant

On ne réalise pas assez que le cinéma – qui est l’art d’assembler des images et des sons – n’a pas besoin de mots pour raconter. Une prairie et quelques vaches suffisent. Emmanuel Gras nous en fait la talentueuse démonstration avec ce premier film : Bovines, sur les écrans le 22 février. Ce documentaire prend le parti de nous montrer, sans la commenter, la vie d’un troupeau de charolaises. Si les vaches, que nous côtoyons et mangeons, nous sont familières, on ne leur a sans doute jamais consacré autant d’attention bienveillante. Contemplative et caressante, la caméra du jeune réalisateur les suit au pré, au plus près. Au fil des saisons, un veau naît, une vache se perd, une autre cueille des pommes, un plastique poussé par le vent surgit et intrigue, les veaux sont séparés des mères, un camion part pour l’abattoir. Vie éphémère mais relativement heureuse. Flirtant avec l’anthropomorphisme, mais sans vraiment y tomber, c’est à une belle aventure du regard que nous convie ce documentaire. « J’ai eu envie de parler d’élevage, mais en me plaçant du côté des animaux, déclare son auteur. Je voulais que l’on s’en approche par les sensations : sentir la matière de l’herbe qu’elles mangent, frissonner sous la pluie, profiter du soleil avec elles… rentrer dans leur temporalité, s’intéresser aux détails qui n’attirent pas habituellement notre attention. Il fallait changer de regard. » La vraie vie des vaches, donc, telle que vous ne l’avez jamais vue. Pour les fins experts en bovins qui nous lisent, ajoutons plutôt : du vrai cinéma.