Dossier
Auteur(s) : HANNA BUENO
Au XXe siècle, les femmes ont eu accès à l’éducation, puis à des métiers réservés aux hommes. Aujourd’hui, elles sont parfois en supériorité numérique dans les cursus qui mènent à des métiers longtemps considérés comme exclusivement masculins. Cette évolution est remarquable dans la carrière vétérinaire. Les femmes y représentent actuellement plus de 70 % des étudiants en France. Retour sur le vécu de ces principales actrices de la féminisation et d’une transformation profonde de la profession.
La première femme vétérinaire du monde était russe. Elle a obtenu son diplôme en 1889, après avoir étudié à Zurich, suivie 4 ans plus tard par l’une de ses compatriotes. En France, c’est l’école vétérinaire d’Alfort qui accepte la première des femmes, en 1863. Il faut attendre 1892 pour que soit admise Marie Kapcewitch, la première femme vétérinaire diplômée d’une école française (1938 pour la deuxième) et la troisième d’une école européenne.
En Europe, plusieurs femmes obtiennent leur diplôme vétérinaire entre 1896 et 1931, parfois bien des années après le début de leur exercice. Ainsi, Aleen Cust, première femme vétérinaire de Grande-Bretagne, fut diplômée du Royal Veterinary College de Londres en 1922 alors qu’elle exerçait depuis 1900, ayant étudié et réussi avec succès au New Veterinary College d’Édimbourg.
À partir de 1942, les femmes font leur apparition dans les écoles vétérinaires de façon plus régulière (excepté en 1945, en 1946, en 1948 et en 1949). La plupart sont étudiantes à Maisons-Alfort. En effet, comme l’internat est réservé aux garçons, il est plus simple de loger dans sa famille ou à Paris, car l’école est située en proche banlieue.
1968 et 1977 sont des dates clés. La première correspond au brusque changement des mentalités, qui intervient lors de la révolte estudiantine. La seconde voit l’ouverture de l’internat aux filles. Jusque-là, il est exclusivement masculin, ce qui rend l’accès aux études plus onéreux pour celles-ci, puisqu’elles doivent se loger en dehors de l’école.
Au début des années 1980, près de 30 % de filles sont admises dans les écoles vétérinaires. Aujourd’hui, elles sont près de 80 %. En 2010, 40 % de femmes exercent le métier de vétérinaire, alors qu’en 1967 elles étaient 1,6 %.
Cette arrivée massive va de pair avec une profonde transformation de notre profession. Jusqu’au début du XXe siècle, un vétérinaire est à la fois maréchal-ferrant, médecin et chirurgien. Le titre de “docteur vétérinaire” n’apparaît qu’en 1923. Le 17 juin 1938, le monopole de la médecine et de la chirurgie des animaux est accordé aux vétérinaires. Cela met un terme à la querelle séculaire entre ces derniers et les maréchaux-ferrants. À partir des années 50, profitant des avancées prodigieuses de la médecine humaine, la partie “petits animaux” des clientèles se développe progressivement. La place de ces animaux dans les familles évolue petit à petit, tandis que le secteur primaire, principale source de travail pour 73 % de nos confrères et consœurs jusqu’en 1970, recule au profit du tertiaire. Le métier de vétérinaire se diversifie également dans des domaines non cliniques stricto sensu (entreprises, recherche, laboratoires, etc.).
La féminisation de la profession s’explique également par l’accès des femmes à l’éducation. En effet, ce n’est qu’à partir de la publication de la loi Jules-Ferry, en 1882, que l’enseignement primaire devient laïc et obligatoire pour les garçons et les filles, et le secondaire à partir de 1902. Entre 1914 et 1930, le pourcentage de femmes qui fréquentent l’université passe de 10 à 25 %. Les chiffres augmentent au cours des années et atteignent plus de 50 % dans les années 90. Cependant, dans les filières plus sélectives que constituent les grandes écoles, la féminisation est plus lente.
Parallèlement, les femmes arrivent sur le marché du travail à partir de la fin de la Seconde Guerre mondiale. Elles ont remplacé les hommes partis au front dans l’industrie et l’agriculture. Néanmoins, dès le retour de ceux-ci, les femmes retournent à la gestion familiale. Elles bénéficieront plus tard du recul des secteurs primaire et secondaire au profit du tertiaire. En outre, le modèle familial vole en éclats. Les femmes ne veulent plus compter uniquement sur un mari pourvoyeur. Elles souhaitent également être reconnues par leur travail.
S’ils mettent en évidence le développement de la féminisation, les chiffres ne rendent pas compte du vécu de ces femmes vétérinaires. Cette étude (voir encadré) vise à recueillir le ressenti, les difficultés de ces consœurs, au cours de la vie estudiantine, professionnelle et personnelle. Des femmes sorties des écoles vétérinaires de 1950 à nos jours ont donc été interviewées dans une perspective historique.
Ces femmes exercent leur métier, en clientèle ou non, en faisant souvent les mêmes horaires que leurs homologues masculins. Elles parviennent à mener leurs grossesses tout en travaillant.
Celles qui pratiquent en clientèle sont initialement très axées sur la canine et la recherche, mais au fil du temps, la rurale occupe une part de plus en plus importante dans cet exercice. Dans la majorité des cas, c’est en exercice libéral . 33 % d’entre elles choisissent de se réorienter au cours de leur carrière professionnelle, surtout celles sorties de l’école pendant les années 80, pour des raisons diverses.
Si toutes les femmes de cette étude travaillent ou ont travaillé, elles ont, pour la plupart, le sentiment d’avoir réussi dans leur rôle de mère. Une grande partie d’entre elles sont ou ont été mariées, souvent avec des confrères rencontrés à l’école, et ont des enfants. Si les femmes interrogées ont dû consentir à des sacrifices, elles sont nombreuses à parler de « choix ». Dans l’ensemble, elles sont très satisfaites de leur vie bien remplie. Peu d’entre elles ont des problèmes de santé et beaucoup trouvent le temps de pratiquer des loisirs (même si l’enquête peut être un peu biaisée, car certaines d’entre elles sont à la retraite).
Une phase d’adaptation se révèle nécessaire lorsque les femmes sont arrivées dans les ENV et les facultés de médecine vétérinaire. Même si une certaine misogynie ponctuelle est ressentie, le bilan demeure plutôt positif. Avec Mai 68 et les révolutions culturelles qui en ont découlé, la présence des femmes dans les études vétérinaires se normalise peu à peu et est de mieux en mieux acceptée. Leurs relations avec les professeurs ne semblent vraiment s’améliorer qu’à partir des années 70, c’est-à-dire lorsque les femmes commencent à arriver inéluctablement en nombre important. De la même façon, toutes les orientations professionnelles leur sont petit à petit ouvertes, à partir des années 70 en particulier. Il est possible de conclure que l’adaptation des écoles vétérinaires à leurs étudiantes a pris 20 ans.
Les femmes vétérinaires de cette étude dressent un tableau agréable de leur vie étudiante. Pour la majorité, cette période est certes studieuse, mais aussi joyeuse et active (« 5 années de bonheur ! », s’exclame une consœur). Les relations avec les étudiants masculins sont généralement bonnes et beaucoup d’entre elles gardent contact avec leurs amis de l’époque, principalement à l’occasion de congrès ou de réunions d’anciens élèves (« Nous nous réunissons tous les 4 ans depuis 40 ans et sommes nombreux à chaque rencontre », explique une Alforienne diplômée en 1969). Dans les promotions sorties dans les années 50 et 60, les femmes sont retraitées et participent peu aux congrès.
Plus de 80 % des consœurs interrogées ont exercé le métier de vétérinaire, en clientèle ou non, comme en témoigne une Toulousaine sortie en 1964 : « Je n’ai jamais interrompu mon exercice professionnel malgré mes maternités et certaines pressions exercées par mon mari et sa famille. » Dans les années 50 et 60, les femmes vétérinaires préfèrent la canine et la pratique dite “non clinique” (recherche, services vétérinaires, etc.). Toutefois, au fur et à mesure et surtout après les années 70, elles sont de mieux en mieux acceptées en rurale et en équine.
En 20 ans, les femmes occupent, certes parfois à faible effectif, tous les secteurs d’activité du métier de vétérinaire.
Plus de 50 % n’ont pas rencontré de difficultés lors de leur exercice professionnel et moins de la moitié se souviennent de faits misogynes ou de problèmes ponctuels. La relation qu’elles entretiennent avec les clients est bonne, même si la nouvelle façon de pratiquer est une source d’étonnement. Une Toulousaine diplômée en 1964 le confirme : « En exercice rural, alors que les clients n’avaient jamais vu de femmes vétérinaires, j’ai reçu un accueil très sympathique. »
Elles ont, semble-t-il, rencontré davantage de difficultés avec leurs confrères, malgré une bonne entente sur les bancs de l’école. Ce phénomène peut s’expliquer par la concurrence directe et nouvelle qu’elles représentent : les femmes autrefois obligatoirement mères au foyer deviennent, en l’espace de 20 ans, leurs égales. Une Nantaise diplômée en 1979 témoigne : « Lors d’une réunion pour la caisse de retraite, de vieux confrères ont eu cette réaction à mon arrivée : “La profession part à vau-l’eau, les rats quittent le navire et les femmes arrivent”. »
La misogynie (jusqu’à 9,1 % des réponses) cède rapidement la place à l’acceptation. La profession ne semble pas refouler les femmes, même si, en pionnières, elles combattent plusieurs idées reçues. Une adaptation est nécessaire. Il faut attendre 1980 pour que les femmes se sentent entièrement acceptées. Leur vie personnelle semble majoritairement épanouissante.
Plus de 60 % des femmes vétérinaires sont ou ont été mariées, et ont des enfants. Elles ont continué à travailler malgré leurs grossesses. Une Alforienne diplômé en 1955 se souvient : « Pour mon dernier fils, j’ai consulté jusqu’à 12 h 30. Il est né à 14 h et j’ai repris 1 semaine après. »
73 % d’entre elles au minimum sont satisfaites de leur vie. Un pourcentage relativement constant au fil des années : « Je regrette d’être à la retraite ! » (Alfort, 1959) ; « Honnêtement, j’ai eu une vie exaltante ! » (Alfort, 1963) ; « Il s’est passé tant de choses hors professionnel ! Grâce à ma formation de vétérinaire, j’ai pu faire des choses passionnantes qui me sont utiles encore aujourd’hui dans mes activités » (Lyon, 1964) ; « Comblée ! » (Toulouse, 1987).
À la question « que pensez-vous de la féminisation de la profession ? », 2 opinions se distinguent principalement. Pour les femmes sorties avant 1990, elle est excessive. Pour les autres, il s’agit d’un fait accepté.
Enfin, à la question « quelles sont les choses à changer dans la profession de vétérinaire », une grande partie des sondées souhaitent un retour à une profession plus libérale et à davantage de mixité (respectivement jusqu’à 14 % et 20 %). Une plus grande motivation dans le travail est également désirée (16 % pour celles diplômées dans les années 80). Certaines soulignent aussi que vétérinaire ne signifie pas forcément clinicien et que beaucoup d’opportunités sont ouvertes avec ce diplôme (28 %). Enfin, parmi les générations plus jeunes (1990-2010), une volonté d’égalité des salaires entre hommes et femmes (10 %) apparaît.
Les femmes interrogées ont une attitude très critique devant une telle féminisation, n’hésitant pas à affirmer qu’« une profession féminisée à 80 % est perdue ». Pour ces consœurs habituées à devoir tout faire « comme un homme », il est mal accepté de chercher à s’aménager du temps libre ou de vouloir rester salariée pour bénéficier des avantages sociaux. Pour la majorité des femmes interrogées, la vétérinaire exerce en libéral et assume, que ce soit une grossesse, un souci de santé ou une charge de travail trop importante. Ayant pris des places au concours, il leur paraît impensable de ne pas exercer totalement, de ne pas vivre pour son métier. Toutefois, au vu du biais induit par le mode de recrutement de l’échantillon (essentiellement des consœurs exerçant en libéral), il est impossible de tirer des conclusions formelles. Si de nombreuses générations (1950-1980) sont très favorables à l’exercice vétérinaire libéral avec une pratique généraliste, celles sorties ces 20 dernières années veulent s’associer dans des cliniques plus importantes pour avoir une activité davantage spécialisée et gérer les contraintes tout en s’aménageant du temps libre, voire en se spécialisant autant que possible.
Cette contradiction souligne une opposition entre la nouvelle et l’ancienne mentalité : tandis que la première souhaite travailler et avoir une vie sociale en parallèle, la seconde vit par et pour son métier.
Il est possible de conclure que l’arrivée des femmes, il y a maintenant près de 130 ans dans la profession vétérinaire et de façon régulière depuis 1949, s’est plutôt bien passée. En dehors de plusieurs obstacles de départ rapidement surmontés, elles ont trouvé leur place dans le monde vétérinaire. Elles parviennent à concilier leur travail et leur rôle de mère, et prouvent qu’elles sont dignes de leur diplôme.
Cette étude née d’une rencontre avec la promotion Alfort 1949 a, en outre, permis de contredire la conclusion de la thèse d’un confrère qui estimait, en 1967, que le métier de vétérinaire permettait avant tout aux femmes de trouver un mari à leur niveau intellectuel. Même si beaucoup de femmes interrogées dans l’enquête de 2011 ont effectivement épousé un confrère, elles exercent surtout une profession qui les a comblées. Comparer les ressentis des hommes et des femmes vétérinaires durant ces périodes de transition compléterait cette étude.
Dans cette étude réalisée par Hanna Bueno sont interrogées des femmes sorties des ENV entre 1950 et 2010, grâce à un formulaire de 40 questions réparties selon 3 axes : la vie à l’école, la vie professionnelle et la vie personnelle.
En introduction, la motivation pour exercer le métier vétérinaire et la réaction de la famille sont demandées. En conclusion, leur avis sur la féminisation de la profession et sur les divers changements qui s’imposent selon elles. La forme ouverte des questions vise à recueillir les témoignages les plus complets possible. De ce fait, plusieurs réponses sont parfois au choix. L’analyse des résultats s’effectue selon le nombre de réponses obtenues (et non le nombre de personnes à avoir répondu à chaque question).
L’auteur a uniquement interrogé des femmes diplômées en France et en Belgique, et non des femmes actuellement en cours de cursus. Afin d’enquêter sur un plus grand nombre de vétérinaires, Hanna Bueno a choisi 2 approches différentes : l’interview directe des femmes vétérinaires lors de congrès et l’enquête par courrier. Les témoignages de 160 femmes, dont 63 % par courrier et 37 % en interview directe lors de congrès type Afvac, GTV ou RNV, ont ainsi été récoltés. Ils sont répartis selon l’année de sortie et l’école.
Remerciements : à toutes les consœurs qui ont répondu à mes 40 questions et qui m’ont ainsi permis de réaliser ce travail. Cette thèse et cet article leur sont dédiés avant tout. Et au Pr Sylvie Chastant-Maillard, qui a encadré ce travail. Et aux Drs Yves Millemann et Guillaume Belbis, pour leur aide.
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