Dossier
Auteur(s) : FRANÇOISE SIGOT
Chaque année, plusieurs centaines de vétérinaires franchissent le pas de l’installation. Du choix de la forme juridique à celui du local en passant par l’étude de marché ou la négociation du prix de la clientèle, les étapes sont nombreuses et non dépourvues d’embûches.
Fraîchement diplômés ou déjà aguerris au métier, une majorité de vétérinaires optent tôt ou tard pour une installation et un exercice en libéral. Un cheminement somme toute logique, inculqué dès les premières années d’études comme un aboutissement, même si aujourd’hui l’exercice en salariat prend de l’ampleur et que plusieurs confrères font aussi le choix d’un exercice pérenne sous ce statut.
Pourtant, l’évidence de l’installation est parfois délicate à concrétiser. Non que cette étape décisive dans la vie professionnelle d’un vétérinaire soit difficile à mettre en œuvre, mais plus généralement parce qu’elle demande du temps, de la préparation et des méthodologies directement empruntées au monde de la gestion d’entreprise. Autant de concepts peu familiers des vétérinaires. Ainsi, beaucoup d’installations sont guidées par des règles empiriques dictées par un confrère déjà passé par là, ou une famille et des amis qui s’improvisent conseillers en finance, en management, en immobilier, mais aussi en gestion, voire en affaires juridiques ! La porte ouverte à l’approximation. Or face à des conditions d’exercice qui se tendent et à une concurrence de plus en plus vive, mieux vaut opter pour la précision et l’organisation.
Avant toute autre démarche, il convient de se rapprocher du conseil régional de l’Ordre (CRO), afin de glaner quelques informations et conseils sur l’exercice vétérinaire dans la région.
Le premier défaut à bannir est celui de la précipitation. Une installation réussie demande en effet du temps. Mieux vaut donc prendre quelques semaines de plus, mais ne pas sauter des étapes, et encore moins transiger sur 2 ou 3 incontournables comme le choix de l’emplacement ou l’analyse fine de l’environnement. Déconvenues mises à part, un processus d’installation demande au moins un semestre, plus souvent 7 à 8 mois. Si certains y parviennent en 4 à 5 mois, faire moins est illusoire et risqué.
En effet, les choix effectués durant cette période engagent durablement le vétérinaire. Autant dire qu’il faut bien y réfléchir, car revenir en arrière n’est généralement pas simple et guère conseillé. « Si vous décidez d’un tarif de consultation et que vous le changez au bout de 2 à 3 mois d’exercice, cela laisse une mauvaise image aux clients. C’est pourquoi il faut prendre le temps de calculer les tarifs au plus juste, selon le positionnement que vous souhaitez donner à la clinique, pour ne pas avoir à les modifier dans les mois qui suivent l’ouverture », conseille Thierry Habran (A 82), de Vetentreprise.
Il en va de même de façon évidente pour la localisation et l’aménagement du local, mais aussi pour l’évaluation des valeurs des différents éléments qui composent la clinique et le choix juridique de la forme d’exercice. Bien conscient que la précipitation lui jouera de mauvais tours, le vétérinaire peut dérouler le processus d’installation.
La première étape le conduira à étudier précisément son environnement. Pour cela, un seul outil : l’étude de marché. Une connaissance intuitive de son secteur potentiel ne suffit pas dans le cadre d’une création d’entreprise. Une étude de marché permet donc d’étudier, entre autres, si le potentiel existe à la lecture de l’offre concurrentielle et des besoins des clients, pour valider la pertinence d’un projet. Un exercice indispensable et bien moins compliqué qu’il n’y paraît. En effet, pour un vétérinaire, quelques éléments suffiront à valider ou non son projet. Ainsi, il est judicieux de passer au crible la démographie animale et vétérinaire, l’environnement économique et “paravétérinaire” (dispensaire, groupement d’éleveurs, pharmacies), le taux de possession d’animaux, etc. Autant de données à rapporter à l’environnement proche du lieu choisi pour s’installer. Disponibles auprès de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), du CRO, parfois des mairies et des chambres de commerce, ces chiffres suffisent à analyser le potentiel. Les vérifier sur le terrain est préférable et les compléter avec quelques questions posées aux passants croisés dans le quartier ciblé est encore mieux pour se faire une idée de la relation qu’ils entretiennent avec leur praticien et des raisons qui les pousseraient à en changer.
En cas de rachat de clientèle, l’étude de marché reste une étape conseillée. En effet, mieux vaut s’assurer du potentiel de la clinique rachetée en prenant soin de vérifier, de façon quantitative et qualitative, qu’un vétérinaire y a toujours sa place.
Une fois le potentiel commercial établi, donc la localisation de la clinique définie, la mécanique de l’installation débute vraiment. Il faudra alors gérer plusieurs choses de front, toujours sans précipitation !
À défaut de reprendre une clientèle, donc un local, l’étape la plus longue est généralement celle de la recherche des murs. Il est donc préférable de se mettre rapidement en quête. Plusieurs pistes sont à explorer : les agences immobilières d’une part, mais aussi les notaires (qui ont souvent des biens à vendre) et le bouche à oreille. Arpenter les rues et interroger les riverains sur les éventuels locaux ou terrains vacants est rarement vain. Le choix devra se porter sur des locaux facilement accessibles, de préférence avec un parking (ou à proximité d’un parc de stationnement public). Il faudra également s’assurer que le local est compatible avec l’exercice vétérinaire (du point de vue des équipements et de la radioprotection notamment) et, s’il s’agit d’un bâtiment collectif, se rapprocher du gestionnaire de l’immeuble et des copropriétaires afin de les informer de votre projet d’installation.
Enfin, avant de signer un bail ou un acte d’achat, un détour par la mairie pour consulter les projets d’aménagement est indispensable. En effet, de petits détails peuvent avoir d’importantes conséquences sur l’attractivité d’un lieu. Le passage d’une circulation à double sens à un sens unique, la réalisation de travaux à proximité du local, etc., sont autant d’éléments qui ont un impact sur l’accès à la future clinique, donc sur la clientèle. « Un local libre et peu onéreux cache en général un problème. C’est pourquoi la recherche du vétérinaire ne doit pas être guidée seulement par le prix du bien, mais par le potentiel qu’il présente. Il est donc primordial de prendre en compte la visibilité, l’accessibilité et le parking », confirme Thierry Habran. À l’inverse, un projet d’aménagement qui entraîne la construction de nouveaux logements peut être synonyme d’un bon réservoir de clientèle à venir.
En marge des locaux, il convient de commencer à chiffrer les investissements nécessaires. S’il est difficile d’évaluer les éventuels travaux sans avoir le local, l’équipement peut, lui, être planifié selon les priorités du vétérinaire et l’offre environnante. La première étape sera donc de se renseigner sur les prestations des confrères pour éviter les doublons. Ensuite, le mieux est de se focaliser sur l’indispensable. « En pratique canine, la grande majorité du chiffre d’affaires est assurée par les consultations, donc il faut s’équiper en conséquence et décaler, à 6 ou 12 mois plus tard, l’achat de matériel complémentaire. Par ailleurs, même si les équipements comptent, l’attractivité du local n’est pas à négliger. Soigner l’aménagement de la zone d’accueil peut aussi être un atout », explique Thierry Habran.
Vient ensuite le chiffrage de l’activité prévisionnelle. Puis la négociation avec le banquier pour obtenir un prêt, lequel exigera des documents précis et relativement formalisés. Les rédiger seul n’est pas impossible, mais le blanc-seing de l’expert-comptable est souvent fort apprécié par les banques. D’autant que ce professionnel saura formaliser les documents dans les règles de l’art et vous conseiller dans le cadre d’une installation ex nihilo, et plus encore peut-être sur le chiffrage d’une cession de clientèle. « En cas de rachat, il n’existe pas de règles infaillibles pour évaluer le montant de la clientèle. La plus fiable repose sur le chiffre d’affaires et sur la marge, mais sans omettre d’analyser la rentabilité. Et il ne faut pas non plus faire parler uniquement les chiffres. L’examen attentif du personnel, de l’état de l’équipement, des locaux est à prendre en compte dans ce chiffrage. Enfin, lors d’un rachat comme d’une installation, il faut en permanence garder à l’esprit que tout ce qui dépasse la valeur économique de la clinique, composée des locaux et du matériel pour l’essentiel, devra être financé par un apport personnel, car les banques ne suivront pas », prévient Emmanuel Delaubert, expert-comptable au sein du cabinet Lecœur, Leduc & associés. L’expert-comptable sait accompagner ce processus, et il le fait d’autant mieux s’il est impliqué en amont, car il pourra alors vous conseiller sur des astuces comptables et fiscales optimales. Même si, prévient Emmanuel Delaubert, « un projet d’installation doit d’abord être mené sous l’angle économique. Ensuite, s’il peut être optimisé sous l’angle fiscal, c’est un atout supplémentaire, mais ce n’est jamais la fiscalité qui doit servir de guide ».
Pour boucler un plan de financement, reste à ne pas oublier de regarder du côté des aides. Un futur installé demandeur d’emploi peut, par exemple, prétendre à des exonérations de charges. S’il a droit à des allocations chômage, il peut les transformer en aide à la création d’entreprise. Et d’autres acteurs, parfois locaux, sont susceptibles de soutenir les créateurs d’entreprise via des prêts, voire des subventions. Là encore, les experts-comptables ont souvent une vision précise des aides qu’il est possible de mobiliser.
Comme pour les aspects comptables et fiscaux, le choix du statut sous lequel vous allez exercer est “optimisable”. Entendez par là qu’il doit être adapté non seulement à la façon d’exercer, mais aussi – et peut-être surtout – à la situation et aux objectifs personnels du nouveau vétérinaire. Aussi, là encore, mieux vaut réfléchir en amont de l’installation. « Bien souvent, les nouveaux installés viennent vers nous avec une idée préconçue de leur futur mode d’exercice. Pourtant, lorsque nous discutons avec eux sur les objectifs personnels et professionnels qu’ils poursuivent, les idées de départ ne sont en général pas les plus pertinentes. Or parfois, il est un peu tard pour revenir sur certains engagements. C’est pourquoi notre plus-value est plus importante si nous prenons connaissance des dossiers en amont des processus de création. Notre rôle ne se limite pas à la rédaction des statuts et à la réalisation des formalités ; il est surtout de conseiller sur le statut le plus approprié. Et là, chaque situation est différente, car il ne faut pas prendre en compte seulement les aspects professionnels », insiste Vincent Brochet, avocat au sein du cabinet Paulhan & associés.
D’autant que, là encore, les choix engagent sur le long terme. « Les sorties coûtent cher et sont souvent douloureuses. Pourtant, si la création a été bien préparée, les éventuels problèmes anticipés, il est possible de bien gérer un changement de situation professionnelle », ajoute Anne-Laure Guillaume, avocate au sein du cabinet Paulhan & associés.
Globalement, le vétérinaire qui s’installe devra choisir entre exercer seul ou à plusieurs. Si les arbitrages sont relativement simples – mais pas neutres, notamment d’un point de vue fiscal et social – pour un exercice en solo, lorsqu’il s’agit de “partager”, les choses se compliquent. « L’arbitrage entre les différents modes d’exercice se fera selon le degré d’intégration souhaité par les vétérinaires et ce qu’ils veulent mettre en commun. Il est possible de simplement réduire le partage aux locaux et au matériel par exemple, ou au contraire mutualiser l’ensemble des équipements et l’activité. Ensuite, en fonction des éléments partagés, il restera encore à choisir une forme juridique, car on peut exercer à plusieurs soit au sein d’une société civile de moyens, civile professionnelle (SCM, SCP), d’exercice libéral (SEL), etc., soit simplement dans le cadre d’une convention d’exercice à frais communs, par exemple. Dans tous les cas, il est souhaitable de bien cadrer les modalités d’usage des éléments mis en commun. Nous conseillons donc en général à nos clients de prévoir un règlement intérieur en plus des statuts et de la convention », expliquent les avocats qui incitent à la prudence. Ainsi, s’ils constatent que la tendance est au mode d’exercice en commun, car « les investissements sont de plus en plus coûteux et nombreux », Vincent Brochet et Anne-Laure Guillaume estiment qu’une première étape peut être franchie avec une organisation conventionnelle. « On estime à tort que l’exercice en commun passe forcément par une société, pourtant il existe beaucoup de modes d’organisation simplement conventionnels qui sont des contrats et non des sociétés. Cette option est souple. Ainsi, les associés se donnent le temps de voir s’ils s’entendent et peuvent, par la suite, aller plus loin en créant une société », conseillent les avocats.
En marge des démarches comptables et juridiques, s’installer signifie se positionner. Au regard de la concurrence et vis-à-vis de ses choix. Première traduction de ce positionnement : le tarif des différents actes et produits proposés par la clinique. Mais aussi l’aménagement. L’organisation des locaux, la décoration et la qualité de l’accueil sont des éléments primordiaux. « Se positionner revient à faire un choix d’image, donc à orienter la perception de la clientèle », résume Thierry Habran. Partant de l’analyse du potentiel de clientèle mis en lumière par l’étude de marché, de sa segmentation (moyenne d’âge, niveau de revenus, attentes, etc.) et de la concurrence, le positionnement s’impose souvent de lui-même. « Opter pour un prix moyen entre le plus haut et le plus bas pratiqué par la concurrence revient à ne pas se positionner, donc à n’afficher aucun élément différenciant. À l’inverse, faire un choix, aménager son espace de travail en conséquence et être capable d’argumenter son positionnement représente un atout », est convaincu le consultant.
Fort de son positionnement, le vétérinaire pourra aménager sa clinique de façon optimale. Choix des équipements, composition du stock et organisation des locaux resteront donc les dernières étapes à franchir avant de visser sa plaque. Sur ce dernier point, les conseils des architectes sont souvent à pondérer avec les impératifs liés à l’exercice du métier. Le premier élément incontournable doit, en effet, rester la fonctionnalité. Ainsi, bien penser les locaux au regard de la circulation des animaux, du personnel, des prestataires et des clients est incontournable. Ce n’est qu’ensuite qu’interviendront les arbitrages décoratifs. Enfin, pour être fin prêt à exercer, l’assurance des locaux comme celle des hommes, sur le plan de leur responsabilité, est évidemment un passage obligé.
Il ne reste plus qu’à s’organiser pour se faire connaître. Pas par voie de publicité, bien entendu, mais au moins en poussant la porte des commerçants aux alentours pour se présenter, ce qui constitue une base solide pour lancer le bouche à oreille. Au-delà, certains journaux municipaux, voire de presse quotidienne régionale, annoncent régulièrement les installations de nouveaux commerçants et professionnels libéraux.
Un dernier point, souvent oublié, est celui de la relation client. Qualité de l’accueil, temps d’attente, services sont autant d’attentions décisives pour attirer et fidéliser la clientèle. Les spécialistes du marketing sont unanimes pour affirmer que cet ensemble d’éléments immatériels porte (ou pas) ses fruits dès la première visite. Dès lors, il faut aussi avoir pensé à cela avant de recevoir son premier client.
Ségolène Donas a ouvert sa clinique en avril 2010 à Écully, en banlieue ouest de Lyon (Rhône), moins de 6 mois après avoir entrepris les premières démarches. « Le plus long et le plus délicat a été ce qui touche au local. D’abord pour le trouver, car je souhaitais un bâtiment indépendant avec un parking, donc le choix est limité en zone urbaine. Ensuite, il a fallu réaliser les travaux. Entre le choix du local et le lancement des travaux, j’ai rencontré mon associée, et nous avons conduit cette phase ensemble. Nous avions une idée assez précise de l’agencement, mais nous avons sous-traité le suivi des travaux. Toutefois, malgré une bonne organisation, il a quand même fallu 3 mois pour aménager la clinique », se rappelle-t-elle.
Hormis cette étape délicate, Ségolène Donas ne retient pas d’autres difficultés majeures pour mener à bien son installation. « Ayant exercé en tant que collaborateur libéral, j’avais une image relativement précise et objective de ce qui m’attendait en matière de gestion et d’étapes indispensables pour concrétiser la création d’une clinique », précise-t-elle. C’est donc seule que Ségolène Donas a réalisé une étude de marché, qui lui a permis de cibler « plusieurs secteurs à proximité de Lyon » présentant le potentiel nécessaire pour une nouvelle clinique. Son choix s’est porté sur Écully uniquement parce qu’elle y a trouvé les locaux convoités. L’arbitrage des investissements a également été le fruit d’une réflexion conjointe avec sa future associée. « Nous avions un budget pour l’achat du matériel. Nous l’avons respecté sans devoir faire de concessions majeures. » Quant aux documents comptables et aux statuts, les associées ont fait confiance à leur expert-comptable pour les prendre en charge de A à Z.
Côté organisation, les 2 vétérinaires ont fait le choix d’exercer tous les jours, y compris les samedis, et d’assurer les gardes. Là encore, la bonne entente et le respect des obligations personnelles de chacune ont facilité les choses. Ainsi, même si la jeune praticienne estime que les études « ne forment pas suffisamment à l’installation et à la gestion », elle analyse son parcours comme plutôt réussi.
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