Des pharmaciens « incompétents gentils », « docteurs Mabuse » ou « affairistes » - La Semaine Vétérinaire n° 1499 du 08/06/2012
La Semaine Vétérinaire n° 1499 du 08/06/2012

Dossier

Auteur(s) : ÉRIC VANDAËLE

L’enquête Ventipulmin® de la Brigade nationale d’enquêtes vétérinaires et phytosanitaires (BNEVP) et les Fraudes (DGCCRF) classe les pharmaciens en infractions dans 3 catégories.

La plupart font partie des « incompétents gentils ». Ils ne connaissent pas la pharmacie vétérinaire, ni a fortiori le clenbutérol et ses effets pharmacologiques, à l’exception des pharmaciens « cavaliers ou passionnés de chevaux ». Le médicament vétérinaire est traité avec beaucoup moins de rigueur que le médicament humain. Chez l’un deux, Ventipulmin® se trouve même dans les rayonnages accessibles au public. Après tout, selon eux, avec un médicament vétérinaire, il ne peut pas y avoir « mort d’homme ». Le risque pour leur clientèle leur apparaît, à tort ou à raison, bien moins élevé que pour le médicament humain. Pour « débloquer l’informatique » et en l’absence de prescription vétérinaire, ces pharmaciens saisissent dans leur logiciel une formule de type « ordonnance en attente », et pour le prescripteur un nom « bidon » de médecin, du pharmacien lui-même, ou de vétérinaires (généralement sans leur accord, d’autant que certains sont décédés ou basés à l’étranger). Même les noms des clients peuvent être faux lorsqu’il s’agit de détournements d’usage. Ces pharmaciens déclarent « faire confiance » aux dires de leurs clients, même s’ils sont seulement de passage.

Une petite minorité d’officinaux sont qualifiés de « docteurs Mabuse ». Ils alimentent sciemment un trafic de Ventipulmin® auprès de culturistes. C’est notamment le cas de plusieurs pharmacies parisiennes, les équidés étant plus rares à Paris qu’en Normandie. Dans 3 cas, des salariés de ces officines avaient monté le trafic à l’insu des pharmaciens titulaires.

Affairistes « pour rendre service aux éleveurs délaissés par leurs vétérinaires »

La troisième catégorie regroupe les pharmaciens « affairistes » du médicament vétérinaire. Toutes les molécules y sont distribuées, « pour rendre service aux éleveurs délaissés par leurs vétérinaires ». Finalement, ils aident leurs clients en leur fournissant moins cher les médicaments dont ils ont besoin. Souvent, ces pharmaciens sont compétents, voire « spécialistes du médicament vétérinaire ». Les commandes arrivent par fax, téléphone, e-mail ou courrier postal. Une pharmacie parisienne expédie ainsi pour 17 000 € de médicaments vétérinaires vers la Turquie. Même les euthanasiques, comme le T61®, peuvent être vendus par en grandes quantités et par correspondance.

Cette enquête n’a (malheureusement) pas été rendue publique par ses auteurs ni par leurs tutelles. Aujourd’hui, les rares procédures qui arrivent devant la justice sont relayées par la presse locale. En se focalisant sur une seule affaire dans une ville, autour d’un médicament (Ventipulmin®), il n’est pas facile d’appréhender dans son ensemble la réalité des infractions à la délivrance du médicament. Le lecteur de la presse régionale pourrait même croire qu’il ne s’agit que d’un cas unique dans sa région. Mais la lecture simultanée de quelques-uns de ces articles locaux donne une tout autre ampleur à ces cas. Lors­qu’ils se répètent dans l’Hexagone, il ne s’agit plus vraiment de cas isolés.

AMIENS : UNE AFFAIRE QUI FAIT PSCHITT…

Le cas pourrait être exemplaire… mais la condamnation ne l’est pas. Le 8 juin 2011, un pharmacien de la Somme, Olivier C., revend sans ordonnance des quantités importantes de Ventipulmin® à ses clients, propriétaires de chevaux. Pour légaliser ses ventes sans prescription, il mentionne dans son ordonnancier le nom de médecins généralistes, de praticiens hospitaliers, voire d’un vétérinaire décédé. Le pharmacien, connu sur la place comme un spécialiste des produits vétérinaires, reconnaît les faits et s’en explique. Il sera condamné à une amende de 1 000 €…

Le Courrier Picard du 8 juin 2011 relate l’affaire en prenant la défense du pharmacien « coupable d’avoir voulu rendre service ». Il rapporte les arguments de l’avocat de la défense : « Ses clients, moins d’une dizaine de propriétaires de chevaux dont les protégés souffraient d’une toux persistante, voulaient éviter de coûteuses visites de vétérinaires alors qu’il ne s’agissait que de renouveler le produit. Mon pharmacien aussi me délivre quelquefois des médicaments sans ordonnance. C’est condamnable, mais cela facilite la vie. »

C’est donc pour rendre service à des propriétaires de chevaux atteints de toux chronique qu’il leur délivrait ce médicament. Toujours pour rendre service, il avait décidé d’en baisser le prix, car « pour certains clients, le traitement commençait à revenir cher ».

Pour Le Courrier Picard, le pharmacien n’est donc ni un dealer ni un dangereux trafiquant, mais un spécialiste des produits vétérinaires qui faisait faire des économies à ses clients en leur vendant sans ordonnance des médicaments à un coût réduit par rapport aux vétérinaires.

Quant aux noms erronés des prescripteurs mentionnés dans l’ordonnancier, « il s’agit d’un bug informatique. Quand on n’indique pas de prescripteur, l’ordinateur met tout simplement le nom du dernier médecin connu », explique Olivier C. C’est donc l’ordinateur le coupable ! « Une affaire qui fait pschitt… », conclut Le Courrier Picard.

VANNES : L’ÂNE DADOU DE PÉNESTIN TROP SHOOTE AU CLENBUTÉROL

À Pénestin, une pharmacienne de 62 ans comparait le 6 octobre 2011 devant le tribunal de Vannes. Elle a acheté 159 flacons de sirop Ventipulmin® pour l’âne Dadou qui pèse 350 kg, et un peu pour un autre équidé, le cheval Quolibet. « Les doses apparaissent alors délirantes » au vétérinaire inspecteur venu témoigner devant les juges.

Aucune mention de ces médicaments ne figure dans l’ordonnancier de l’officine ni dans les statistiques informatiques des achats. La pharmacienne réceptionne ces flacons directement pour son usage personnel. Aucune trace écrite n’aurait donc permis de détecter la fraude, lors d’une inspection de routine de la pharmacie, sans remonter jusqu’à la centrale d’achat qui lui a vendu Ventipulmin®.

Les 2 équidés-alibis n’ont pas convaincu le procureur de Vannes, qui évoque plutôt « un trafic vers des éleveurs de chevaux de courses ou, sous le manteau, aux culturistes et aux adolescentes en mal d’amaigrissement ».

La prévenue persiste jusqu’au bout dans sa version : toutes les quantités achetées pour son usage personnel étaient destinées à « Dadou » et à « Quolibet ». Le parquet requiert 3 mois de prison ferme à l’encontre de la pharmacienne, désormais en retraite, et 5 000 € d’amende. Le tribunal est plus clément en la condamnant à 3 000 €, dont 1 500 € avec sursis.

L’AIGLE : UN DÉTOURNEMENT SANCTIONNÉ PAR 10 000 € D’AMENDE

Le tribunal correctionnel d’Alençon a condamné, le 3 novembre 2011, un couple de pharmaciens cogérants d’une pharmacie à L’Aigle (Orne) pour avoir vendu du Ventipulmin® entre janvier 2008 et juin 2010. L’affaire est rapportée dans l’édition locale du 4 novembre du journal Ouest France. En l’espèce, les condamnations sont finalement assez sévères : 10 000 € d’amende pour chacun des associés, dont 5 000 € avec sursis, ainsi que 1 000 € pour la partie civile (le Conseil supérieur de l’Ordre des vétérinaires). Le couple a aussi choisi de quitter le département de l’Orne.

« Pour un certain nombre de médicaments, il n’y avait ni ordonnance ni facture, et les clients ne sont pas identifiés », s’indigne le président, qui rappelle que le clenbutérol équin « peut être détourné de son utilisation à des fins humaines par des culturistes ou des personnes qui souhaitent perdre du poids ».

Présent à l’audience, Me Jean Dechezleprêtre, l’avocat du Conseil supérieur de l’Ordre des vétérinaires, dénonce « un détournement à des fins spéculatives ». Il estime à « 45 000 € la fraude annuelle ».

Pour leur défense, les pharmaciens se plaignent de la concurrence des vétérinaires, qui vendent aussi des médicaments. Le procureur rappelle les effets secondaires cardiovasculaires de ce médicament chez l’homme, fustige des prévenus « plus soucieux de leur chiffre d’affaires que de la déontologie » et dénonce « des faits portant atteinte à la santé publique ». « On était pris dans un engrenage », répondent les prévenus.

L’avocate du couple de pharmaciens tente de minimiser les faits : « Les produits ont été délivrés à des clients qu’ils connaissaient, en leur demandant de présenter l’ordonnance plus tard. Les prévenus ne sont ni des trafiquants ni des dealers. »

PARIS : « LE BOOM DES PRODUITS VÉTÉRINAIRES » CHEZ LES TOXICOMANES

Sous le titre « Toxicomanie : le boom des produits vétérinaires », un article du Figaro du 6 mars 2012 s’inquiète de la multiplication des affaires impliquant ces médicaments, détournés à des fins dopantes (clenbutérol) ou de toxicomanie (kétamine).

Un pharmacien parisien est ainsi accusé d’avoir délivré sans ordonnance, entre décembre 2007 et mai 2010, 6 coffrets de kétamine, 1 flacon et 9 pots de granulés de Ventipulmin®. Son procès s’ouvrira le 27 août prochain.

Dans ce trafic, 2 acheteurs, « un ancien champion de boxe roumain et un vendeur de parfums », sont liés au pharmacien. Les sanctions maximales encourues sont de 2 ans de prison et 30 000 € d’amende, des peines éventuellement assorties d’une interdiction d’exercer.

Pour la défense, l’avocate explique qu’ « en 30 ans d’exercice, ce pharmacien n’a jamais eu le moindre problème. Il refuse même de vendre du Subutex® [traitement de substitution pour les héroïnomanes] en raison des détournements qui en sont faits. Il s’agit d’un acharnement inadmissible pour marquer le coup et faire un exemple ». Le Figaro rappelle qu’en 2010, « 19 personnes soupçonnées de trafic de kétamine ont été arrêtées dans l’Eure et en Eure-et-Loir ».

Le cas de cette officine parisienne n’est pas isolé. Dans l’enquête Ventipulmin®, 11 pharmacies ont été inspectées, 9 étaient en infraction, 3 ont clairement avoué l’usage détourné du clenbutérol pour des culturistes. Actuellement, une seule de ces affaires parisiennes a donné lieu à 7 contraventions de 800 € prononcées par le tribunal de police.

LILLE : LA PHARMACIENNE « TROP GENTILLE » POUR L’HALTÉROPHILE

Féru d’haltérophilie, adepte des compétitions, vice-champion de France d’une fédération non reconnue par l’État, Frédéric N., le culturiste âgé de 45 ans, est assis sur le banc des prévenus avec Nathalie H., 35 ans, “sa” pharmacienne, salariée dans l’officine d’un centre commercial près de Lille, relate La Voix du Nord dans son édition du 10 avril 2011. Ils se sont connus il y a plusieurs années à Lille, dans un club de fitness. L’un y était animateur et l’autre une cliente. « L’haltérophile recevra régulièrement, sans ordonnance, sa potion magique pourtant connue pour ses possibles effets secondaires pervers sur le cœur », raconte La Voix du Nord.

Au tribunal, le procureur rappelle que « ces produits sont dangereux et destinés à des bêtes de 500 kg ». Face aux magistrats, la pharmacienne pleurniche : « J’ai été trop gentille », rapporte le journal. Le trafic ne s’arrête pas à Ventipulmin®. Lors d’une perquisition chez le sportif, les gendarmes retrouvent aussi de l’insuline délivrée par la même pharmacie d’Englos.

Le pharmacien titulaire, qui gère de fort loin son officine, semble découvrir le pot aux roses lors de cette enquête. Rarement présent dans la pharmacie, il est assis sur le banc des accusés. Même dans l’ignorance du trafic, il écope d’une amende de 3 500 €. Sa gentille employée, qui a cédé à l’insistance du culturiste, est condamnée à 6 mois de prison avec sursis et 4 000 € d’amende. Quant à l’haltérophile qui a bénéficié du trafic, il récolte 3 mois de prison avec sursis.

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