Formation
ANIMAUX DE COMPAGNIE
Auteur(s) : FRANK FAMOSE
Fonctions : praticien à Blagnac (Haute-Garonne)
– Le facteur primaire d’une kératite bactérienne chez le chat est une lésion de la cornée. La colonisation bactérienne est secondaire.
– 3 formes sont décrites : la kératite ulcéreuse évolutive, l’abcès cornéen et la kératite stromale.
– La mesure de l’épaisseur cornéenne restante est essentielle pour le choix du traitement, ainsi que la recherche de l’agent en cause.
– Le traitement médical est multimodal. Une réparation chirurgicale est à entreprendre lors de risque de perforation ou si celle-ci est avérée.
– Le pronostic reste réservé.
La cornée est un tissu transparent constitué de 5 couches (de l’extérieur vers l’intérieur : épithélium, membrane basale, stroma, membrane de Descemet, endothélium), dont les composants majeurs sont le collagène et les glycanes. Anatomiquement, la cornée est lisse, transparente, dépourvue de pigment et avasculaire.
Les kératites infectieuses se caractérisent par une inflammation et des lésions cornéennes de gravité variable provoquées par le développement de germes (virus, bactéries ou parasites). Ces infections sont sévères à plusieurs titres : par l’étendue de la destruction cornéenne susceptible de conduire à la cécité, par la gravité des séquelles et par la douleur ressentie par l’animal. Dans ce contexte, il est impératif d’identifier rapidement ces affections, d’en déterminer la cause et de débuter le plus tôt possible un traitement afin d’en limiter les conséquences.
Les kératites bactériennes sont consécutives à une lésion de la surface de la cornée (traumatisme, kératoconjonctivite sèche, infection de voisinage, infection virale ou corticothérapie locale préalable) et à sa colonisation par des germes bactériens. La cornée normale, pourvue d’un épithélium, est imperméable aux bactéries.
Les germes responsables sont variés (staphylocoques, streptocoques, Pseudomonas, etc.). L’isolement et l’identification de bactéries anaérobies strictes (Clostridium sp.) ne sont pas exceptionnels.
Les propriétés d’adhérence de ces agents et d’activation de protéases conditionnent la gravité de l’infection : la colonisation de la cornée par les Gram positif est due à un processus d’adhérence bactérienne sur la matrice extracellulaire. Les toxines bactériennes, dirigées contre les kératocytes et les leucocytes, altèrent la réponse immunitaire. À l’inverse, la colonisation par les Gram négatif (P. aeruginosa) est liée à un processus d’adhésion sur la membrane des kératocytes. La libération d’interleukine 8 (IL8) déclenche un afflux de leucocytes, dont les capacités sont affectées par les toxines bactériennes. La libération d’enzymes bactériennes (élastases) et l’activation des métalloprotéases cornéennes conduisent à la fonte purulente de la cornée.
Les kératites bactériennes sont moins fréquentes chez le chat que chez le chien. Elles sont principalement rencontrées chez les animaux brachycéphales, ou prédisposés aux insuffisances lacrymales ou aux traumatismes oculaires (entropion, infection par le FHV-1).
Les principaux signes locaux sont une rougeur associée à un écoulement purulent parfois abondant. Une altération de la surface cornéenne et une perte de transparence sont également notées (voir photo 1).
Ceux-ci sont associés à la douleur et à la perte de la vision : photophobie, myosis, réaction de défense à l’examen.
L’examen ophtalmologique met en évidence des signes d’infiltration cornéenne diffuse ou localisée au niveau de l’épithélium, du stroma et, éventuellement, dans la chambre antérieure. De manière caractéristique, une suppuration dans le stroma est observée, en l’absence d’épithélium. Cliniquement, l’atteinte cornéenne est susceptible de se manifester sous 3 formes :
> une kératite ulcéreuse évolutive avec une kératomalacie, au cours de laquelle le développement bactérien et l’action des toxines s’accompagnent d’une destruction du stroma susceptible d’aboutir à la perforation oculaire (voir photo 2) ;
> un abcès cornéen : la suppuration est alors contenue dans une zone, localisée ou étendue (voir photo 3) ;
> une kératite stromale (plus rarement) : l’épithélium, préservé, recouvre un stroma au sein duquel se développe l’infection.
Le diagnostic repose sur l’observation par l’observation d’une suppuration cornéenne et de signes cliniques associés, dans un contexte d’affection cornéenne préalable.
La biomicroscopie permet d’évaluer la profondeur de la lésion. Cet examen peut être complété par une imagerie OCT1 de la cornée, qui donne une valeur quantitative à l’atteinte cornéenne. Cette mesure de l’épaisseur cornéenne restante est un élément essentiel pour le choix du traitement (voir photo 4).
La cytologie de calques cornéens permet une première approche de l’agent causal, qui peut ensuite être identifié par la bactériologie ou par polymerase chain reaction. Le prélèvement pour la bactériologie est, idéalement, effectué avant la mise en place du traitement. Sur un plan technique, il est réalisé avec une spatule stérile ou en passant un fil de suture (Vicryl®) à travers la lésion. Par capillarité, les germes se fixent sur le fil, qui est mis en culture.
Les enjeux du traitement sont de :
> lutter contre le développement bactérien et ses conséquences ;
> préserver ou rétablir l’étanchéité cornéenne ;
> limiter la perte visuelle ;
> soulager la douleur.
En pratique, le résultat de l’examen bactériologique est rarement disponible avant la mise en place du traitement. L’antibiotique est choisi selon des critères de probabilité d’efficacité : molécules à large spectre (chloramphénicol, Ophtalon®2 ; norfloxacine, Chibroxine®2) ou à concentration renforcée (gentamicine).
Le traitement local est instillé toutes les 2 heures et l’amélioration est attendue, au plus tard, en 48 heures. Le traitement par voie générale n’est indiqué qu’en cas de perforation oculaire.
L’utilisation d’anticollagénases (sérum autologue, N-acétylcystéine-EDTA) est indiquée lors de collagénolyse. Les instillations sont effectuées toutes les 2 heures au cours des 48 premières heures.
La douleur peut être traitée par des antalgiques par voie générale (AINS3, morphiniques). Sur un plan local, les cycloplégiques sont indiqués pour lever le spasme ciliaire cliniquement associé au myosis. L’utilisation des corticoïdes est discutée. Leur action anti-inflammatoire et antalgique est contrebalancée par le risque d’exacerber l’infection bactérienne et par leur effet de stimulation des collagénases cornéennes. En ophtalmologie humaine, ce deuxième effet, également décrit pour les AINS, fait l’objet de nombreuses études aux résultats parfois contradictoires.
À l’heure actuelle, l’usage local des corticoïdes et des AINS n’est pas recommandé lors de kératites bactériennes chez le chat.
Lorsque le risque de perforation cornéenne est élevé ou si elle est avérée, une réparation chirurgicale est à entreprendre :
> par une greffe conjonctivale libre ou pédiculée, partielle ou totale. Cette technique a pour intérêt d’apporter à la fois un soutien tectonique à la cornée (la conjonctive n’est pas sensible aux collagénases) et un apport sanguin, qui a lui-même un effet anticollagénase. Selon le type de greffe, la cicatrice cornéenne est d’étendue et de profondeur variables ;
> par une greffe de biomatériaux (Vet Biosist®). La greffe de sous-muqueuse de porc permet un soutien tectonique et oriente la cicatrisation cornéenne. Elle ne présente pas d’effet anticollagénase. La récupération de la transparence cornéenne reste variable ;
> avec des lentilles de soutien tectonique en silicone qui protègent la cornée des atteintes extérieures (air, frottement des paupières) tout en permettant l’examen oculaire. À la différence des lentilles de collagène résorbables, elles ne sont pas imprégnées de solutions antibiotiques ;
> par un renforcement de la solidité du collagène par cross-linking. Décrite depuis quelques années en ophtalmologie humaine pour le renforcement de la cornée lors de kératocône, cette technique est utilisée depuis peu pour traiter des kératites bactériennes. Elle consiste en une polymérisation du collagène par un rayonnement ultraviolet appliqué sur la cornée en présence de riboflavine (vitamine B2). Elle s’accompagne d’un renforcement du collagène et d’une augmentation de sa résistance aux enzymes bactériennes. Il existe également un effet direct des rayons ultraviolets sur les germes bactériens. Son usage est encore restreint chez les carnivores domestiques.
Malgré la mise en œuvre d’un traitement agressif et précoce, le pronostic des kératites bactériennes est réservé. La cicatrisation implique un degré de fibrose cornéenne, dont l’intensité est plus ou moins invalidante sur le plan visuel. Lors de perforation oculaire, le risque d’endophtalmie et de perte de l’œil est très élevé.
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