Les entérotoxémies chez la chèvre : étiopathogénie, tableaux clinique et lésionnel - La Semaine Vétérinaire n° 1500 du 15/06/2012
La Semaine Vétérinaire n° 1500 du 15/06/2012

Formation

PRODUCTIONS ANIMALES/CAPRINS

Auteur(s) : KARIM ADJOU*, ÉMILIE BRIOT**

Les entérotoxémies, provoquées par Clostridium perfringens, sont reconnues dans le monde entier comme des maladies communes, souvent fatales chez les caprins. C’est la deuxième cause de diarrhée chez cette espèce. Les bovins et les ovins sont également sensibles à cette affection, mais il existe des différences d’espèces au niveau épidémiologique, pathogénique et clinique.

ÉTIOLOGIE

Chez les caprins, le principal agent d’entérotoxémie dans le monde est Clostridium perfringens de type D. D’autres clostridies sont plus rarement impliquées : C. perfringens de types A, B, C et E. En France, le type A est mis en évidence dans plus de la moitié des entérotoxémies dues à C. perfringens. Son rôle est cependant difficile à objectiver en raison de difficultés à reproduire expérimentalement une entérotoxémie à toxinotype A.

Ce bacille Gram positif, sporulé, anaérobie, non motile, producteur de toxine, est considéré comme un hôte obligatoire du tractus digestif des ruminants. Présent dans les fèces, il est capable de persister longtemps dans le sol. Il possède un temps de génération bref (environ 10 minutes), ce qui explique sa prolifération extrêmement rapide lorsque les conditions sont favorables à son développement dans l’intestin.

C. perfringens D produit 2 toxi-nes principales : a et e. Bien que les 2 soient importantes, la toxine e est considérée comme le principal facteur de virulence. Il est démontré qu’elle agit au niveau du côlon en inhibant l’absorption de l’eau, tout en provoquant des changements dans le transport ionique. Elle entraîne également une augmentation de la pression artérielle, une modification de la perméabilité vasculaire et des lésions dans de nombreux organes (le cerveau, le cœur, les poumons ou les reins). Cette toxine est également soupçonnée de traverser la barrière hématoméningée et de s’accumuler au niveau cérébral.

ÉPIDÉMIOLOGIE

Les éleveurs citent souvent les entérotoxémies comme des maladies fréquentes et graves chez les caprins. Paradoxalement, il existe peu de documentation sur ces affections caprines dans la littérature vétérinaire. Les recherches, notamment les spécificités de la maladie chez cette espèce, demeurent insuffisantes.

Facteurs favorisants

De nombreux cas sont décrits chez des chèvres laitières dans des conditions d’élevage intensives ou semi-intensives. Dans les cheptels extensifs (Afrique du Sud, États-Unis), la maladie apparaît le plus souvent lorsque les animaux sont en stabulations ou lors de restriction de pâturage, mais pas lors de pâturage à volonté. En Australie, où l’élevage est extensif, les entérotoxémies ne représentent que 6,8 ?% des autopsies.

Un changement soudain des conditions d’alimentation ou de nourriture est associé à cette affection chez tous les ruminants. Des conditions spécifiques rendent les chèvres plus sensibles : changement de pré avec un retour sur une pâture trop riche, consommation excessive de concentrés (accès accidentel au silo), ingestion de son de blé ou de mélasse sans transition alimentaire ou d’herbe verte par des animaux qui n’en consomment jamais. Cependant, des cas sont observés sans changement alimentaire.

Les conditions climatiques sont également en cause pour les autres espèces, mais cela n’est pas décrit chez les caprins. Aucune influence saisonnière n’est rapportée.

Une infestation parasitaire (helminthose, coccidiose) entraîne des altérations du tractus digestif et le ralentissement du transit. Ceux-ci favorisent la prolifération des clostridies et la pénétration des toxines dans l’organisme.

Fréquence

Des cas sporadiques d’entérotoxémies sont observés communément chez les caprins. Des épisodes d’entérotoxémies avec un taux de morbidité important sont également signalés. Des périodes de résurgence de la maladie sont notées pendant plusieurs semaines. Les facteurs épidémiologiques qui contribuent au développement de cette affection sont mal connus. Une augmentation de Clostridium perfringens de type D dans l’environnement due à des cas de diarrhées antérieurs est sans doute en cause.

PATHOGÉNIE

Les études spécifiques aux entérotoxémies chez les caprins sont limitées. Chez les autres ruminants, C. perfringens de type D commensale réside dans l’intestin sans causer de dommages, car le taux de bactéries est faible et les toxines produites sont rapidement éliminées grâce au péristaltisme intestinal. L’ingestion soudaine d’aliments fermentescibles ou riches en hydrates de carbone provoque un passage de l’amidon non digéré du rumen vers l’estomac et l’intestin. Celui-ci y fait alors office de substrat nutritif, permettant une prolifération bactérienne rapide. Un excès d’hydrates de carbone semble également réduire la motilité intestinale. Cette prolifération de C. perfringens de type D associée à la réduction du péristaltisme augmente la concentration, donc le potentiel pathogénique de la toxine e. Cette dernière, convertie à partir de la prototoxine par la trypsine intestinale, diminue la perméabilité vasculaire de l’intestin, tout en facilitant sa propre absorption dans le torrent sanguin. Cela induit une toxémie généralisée. La toxine est nécrosante et spécifiquement neurotoxique. Les dommages causés aux neurones vitaux, la toxémie généralisée et le choc entraînent la mort de l’animal.

Le cas des caprins

La pathogénie de l’entérotoxémie diffère chez les caprins. La diarrhée est un symptôme majeur chez la chèvre, contrairement aux autres espèces. À l’autopsie, une entérocolite marquée est visible, qui n’est pas présente de façon aussi systématique chez les ovins et les bovins. Les chèvres vaccinées ne sont pas toujours protégées contre la forme entérique de la maladie. Cela suggère que cette dernière apparaît indépendamment du taux d’antitoxines e protectrices circulantes.

Des réponses fort différentes sont observées chez des agneaux et des chevreaux infectés expérimentalement. Les agneaux sont léthargiques, avec des signes nerveux. Ils ne présentent pratiquement pas de diarrhée et meurent. Les chevreaux souffrent de diarrhée profuse et de douleurs abdominales. Cependant, peu de signes nerveux précèdent leur mort (les caprins seraient dépourvus de récepteurs à la toxine e dans l’encéphale). À l’autopsie, chez les agneaux, les lésions intestinales sont limitées à un œdème modéré du côlon et à un contenu intestinal aqueux, tandis que chez les chevreaux, une colite nécrotique sévère est visible macroscopiquement et microscopiquement.

SIGNES CLINIQUES

La forme suraiguë

Elle apparaît le plus souvent chez les jeunes chèvres. L’évolution clinique est généralement inférieure à 24 heures et est susceptible de ne pas être détectée. Trouver un ou plusieurs animaux morts est fréquemment le premier signe d’entérotoxémie suraiguë dans un troupeau.

Chez les chevreaux nourris au lait, les animaux les plus robustes sont souvent atteints. Chez les bêtes sevrées, l’anamnèse peut rapporter un ou des changements alimentaires, ou une opportunité de surconsommation alimentaire.

Les signes cliniques comprennent une soudaine perte d’appétit, un abattement marqué, de l’hyperthermie, des douleurs abdominales, des cris de plainte, ainsi qu’une diarrhée aqueuse et profuse qui contient du sang et des flammèches de mucus. Les animaux atteints deviennent rapidement faibles et restent couchés. Des crises de convulsions sont possibles. Toutefois, la plupart du temps, les bêtes tombent dans le coma sans signes annonciateurs. La mort intervient en quelques heures. La guérison est rare, avec ou sans traitement.

La forme aiguë

La forme aiguë est la plus fréquente chez les adultes. Les signes cliniques sont les mêmes dans la forme suraiguë, mais de gravité moindre. Dans un troupeau de chèvres laitières, le premier signe est une baisse soudaine de la production lactée.

La douleur abdominale et les plaintes sont réduites, voire absentes. Les fèces deviennent pâteuses puis molles, avant de devenir aqueuses. La maladie évolue sur 3 à 4 jours. Une déshydratation importante et une acidose sont des complications induites par la diarrhée profuse. Des guérisons spontanées peuvent avoir lieu. Néanmoins, la majorité des animaux succombent s’ils ne sont pas traités.

La forme chronique

Les bêtes atteintes sont des caprins adultes. Elles sont apathiques, avec un appétit réduit et une baisse de la production de lait. Une perte de poids progressive, avec des épisodes intermittents de fèces pâteuses, est notée. La difficulté de diagnostiquer la forme chronique est reconnue si un antécédent d’entérotoxémie aiguë ou suraiguë dans le troupeau n’est pas connu.

TABLEAU LÉSIONNEL

Les lésions digestives sont prédominantes. Le tableau nécropsique est dominé par une colite et une typhlite fibrino-hémorragique, accompagnée d’un œdème du mésentère adjacent (voir photo 1). L’entérite, l’œdème pulmonaire, la nécrose des tubules rénaux et un œdème des nœuds lymphatiques mésentériques sont ensuite observés. La caillette et l’intestin grêle sont rarement atteints. Le cas échéant, les lésions sont hémorragiques, fibrineuses ou nécrotiques. L’hydropéricarde, fréquent chez les ovins, est assez rare chez les caprins.

Si l’autopsie est réalisée rapidement après la mort, la découverte de reins mous ou pulpeux (voir photo 2) confirme le diagnostic d’entérotoxémie de type D. Cependant, si l’examen n’est pas réalisé rapidement, ce critère perd de sa valeur diagnostique, car l’autolyse du rein est notée quelle que soit la cause de la mort.

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