Indications des blocs nerveux périphériques - La Semaine Vétérinaire n° 1505 du 31/08/2012
La Semaine Vétérinaire n° 1505 du 31/08/2012

Formation

ANIMAUX DE COMPAGNIE

Auteur(s) : STEPHAN MAHLER*, CHRISTOPHE DESBOIS**

Fonctions :
*praticien à Acigné (Ille-et-Vilaine)
**maître de conférences en anesthésie et réanimation à l’ENVA

L’anesthésie locorégionale est la technique la plus performante pour prendre en charge la douleur péri­opératoire : en supprimant toute transmission de message nociceptif, elle inhibe la sensation de douleur, mais aussi la sensibilisation centrale générée par ces messages.

Les blocs des nerfs périphériques (sciatique, fémoral, plexus brachial, etc.) sont largement utilisés en médecine humaine, en traumatologie et en chirurgie ambulatoire, car ils sont faciles à réaliser et offrent une très bonne analgésie (supérieure à celle des infiltrations tissulaires). De plus, ils comportent peu d’effets indésirables, contrairement aux blocs centraux (comme l’anesthésie épidurale ou la rachianesthésie). Actuellement, même pour les chirurgies du membre pelvien, pour lequel les blocs centraux sont utilisables, le rapport bénéfice/risque se révèle largement en faveur des blocs nerveux périphériques.

CAS CLINIQUE

Un chien berger allemand de 11 mois, pesant 30 kg, est présenté en consultation après un accident de la voie publique. Vigile et ambulatoire, il présente une suppression d’appui du membre postérieur droit. L’examen clinique de l’animal indique que son état général est stable, notamment sur le plan cardiovasculaire. La seule lésion mise en évidence est un scalp du pied, avec des saignements diffus mais importants. Une exploration chirurgicale de la plaie et un bilan radiographique du pied sont décidés. Une voie veineuse est posée et le chien reçoit une perfusion de Ringer Lactate, à un débit de 5 ml/kg/h. Les faces latérale et caudale de la cuisse sont tondues. Le chien est tranquillisé avec un mélange de fentanyl à 5 µg/kg et de midazolam à 0,2 mg/kg, par voie intraveineuse. L’anesthésie est induite par une injection de propofol à 1 mg/kg, par voie intraveineuse.

Réalisation d’un bloc de nerf sciatique

L’extrémité distale du membre postérieur (cheville et pied) est exclusivement innervée par le nerf sciatique : l’anesthésie de ce nerf est suffisante pour obtenir un bloc sensitif complet de cette région. Une sonde d’échographie linéaire est placée sur la face latérale de la cuisse en position immédiatement distale à la tubérosité ischiatique, elle est orientée crânio-caudalement pour obtenir des coupes petit axe du nerf sciatique (voir photo 1, pour un autre chien). Caudalement au fémur, les muscles biceps fémoral (latéral), adducteur (médian) et semi-membraneux (caudal) sont repérés. Le nerf sciatique est identifié à la jonction de ces 3 muscles. Ses composantes (nerf tibial et nerf péronier commun) sont nettement individualisées.

Une désinfection de la peau est réalisée en face caudale de la cuisse, puis une aiguille (70 mm, 22 G) est introduite perpendiculairement au champ des ultrasons, en direction caudo-craniale. L’aiguille est rapidement visualisée à l’échographie. Sa progression en direction du nerf s’effectue sous contrôle direct. Une fois le biseau de l’aiguille au contact du nerf sciatique, un test d’aspiration est réalisé et l’anesthésique local (bupivacaïne, 5 mg/ml) est injecté en s’assurant de l’absence de résistance. La diffusion de l’anesthésique local autour des 2 composantes du nerf sciatique est suivie à l’écran (voir photo 2). Au total, 6 ml d’anesthésique local sont nécessaires pour entourer complètement le nerf (soit 1 mg/kg de bupivacaïne au total). La procédure (repérage et injection) a nécessité moins de 5 minutes.

Chirurgie

Au bout de 15 minutes, une analgésie de tout le pied est présente. L’exploration de la plaie confirme le scalp cutané complet des deux tiers distaux des métatarses et des doigts 2, 3 et 4. La peau du doigt 1 et son coussinet sont en place. Le coussinet principal et ceux des doigts 3 et 4 sont également scalpés (voir photo 3). Aucune lésion tendineuse n’est mise en évidence. Le parage chirurgical comprend la ligature des vaisseaux sanguins sectionnés, l’excision des tissus dévitalisés, le rinçage des plaies et l’élimination des corps étrangers, puis la suture de la peau. Aucune lésion ostéo-articulaire n’est visible à la radiographie du pied. Pendant toute la procédure chirurgicale (environ 30 minutes), le chien est resté conscient (l’action du propofol a duré 10 minutes), calme, sous oxygène, et n’a manifesté aucune douleur. Un pansement adsorbant antibactérien et matelassé (Cutisorb(r) Sorbact) est appliqué.

Suivi

2 heures après la chirurgie, l’animal ne manifeste aucune douleur et mange de bon appétit. Le bloc sensitif persiste pendant environ 12 heures. Le pansement est changé tous les jours la première semaine, puis tous les 2 à 3 jours jusqu’à la guérison complète, au bout de 3 semaines. La douleur est prise en charge par un anti-inflammatoire (méloxicam par voie orale, 0,1 mg/kg, 1 fois par jour pendant 10 jours) associé les premiers jours à du tramadol (voie orale, 3 mg/kg, 3 fois par jour pendant 3 jours). Une antibioprévention est également instaurée (céfalexine par voie orale, 15 mg/kg, 2 fois par jour, pendant 7 jours). Le résultat est excellent tant sur le plan esthétique que fonctionnel, avec peu de nécrose cutanée au cours de la cicatrisation (voir photos 4 a et b).

DISCUSSION

Mécanismes de l’hyperalgésie

La prise en charge de la douleur traumatique doit être la plus rapide et la plus complète possible, en particulier pour limiter le risque d’hyperalgésie post-traumatique. Celle-ci se divise en 2 composantes : l’hyperalgésie primaire (ou périphérique) et l’hyperalgésie secondaire (ou centrale).

→ L’hyperalgésie primaire se développe au niveau du site traumatisé. Ses principales origines sont l’inflammation périphérique et les lésions nerveuses traumatiques. Cette hyperalgésie augmente la sensibilité locale en diminuant les seuils d’activation des neurones afférents.

→ L’hyperalgésie secondaire se développe dans les tissus non lésés, à distance du traumatisme. Elle est la conséquence d’une augmentation de la sensibilité du système nerveux central, à la suite des stimulations répétées des afférences nociceptives périphériques.

→ Une prise en charge chirurgicale rapide limite l’hyperalgésie primaire en éliminant les facteurs d’inflammation (par un rinçage de la plaie) et les tissus non viables, en repositionnant les tissus le plus rapidement possible pour favoriser leur perfusion, leur drainage, et diminuer leur dessiccation.

→ L’anesthésie locorégionale supprime tout message ascendant nociceptif et prévient ainsi l’hyperalgésie secondaire. Elle contribue également à un effet anxiolytique chez l’animal, ce qui participe à sa stabilité cardiovasculaire et facilite sa prise en charge.

L’anesthésie locorégionale est une alternative à l’anesthésie générale chez l’homme. Si, en médecine vétérinaire, il est rare de pouvoir se passer d’anesthésie générale en raison du manque de coopération des animaux, l’anesthésie locorégionale potentialise l’anesthésie générale et apporte une valence analgésique majeure. En traumatologie, cette prise en charge est particulièrement intéressante, puisque les animaux sont potentiellement instables sur le plan cardiovasculaire et que le risque anesthésique est majoré par la situation d’urgence. Elle est aussi indiquée pour des chirurgies “mineures”, telles que le retrait d’un épillet interdigité ou l’amputation d’un doigt.

Apports de l’échographie

→ L’échographie est utile en anesthésie locorégionale pour rechercher des repères anatomiques : os, muscles et vaisseaux sanguins puis, si possible, nerfs. L’image échographique d’un nerf périphérique dépend de son architecture et de la nature des tissus environnants. Chez l’homme, le terme d’image en “nids d’abeilles” est souvent utilisé pour décrire l’image d’un nerf périphérique : les faisceaux compacts de fibres nerveuses hypoéchogènes sont entourés par plusieurs couches plus ou moins épaisses de conjonctif (épinèvre extra et interfasciculaire) hyperéchogène. Cette image est rarement visible chez les carnivores domestiques, vraisemblablement en raison de la petite taille des nerfs. D’une manière générale, les nerfs périphériques apparaissent souvent hypoéchogènes, entourés d’un halo hyperéchogène. Le doppler couleur est un outil précieux pour différencier un vaisseau sanguin et un nerf périphérique, qui ont tous deux une image hypoéchogène. L’identification du nerf sciatique par échographie est simple chez le chien et le chat : les muscles qui l’entourent sont des repères anatomiques fiables, et il n’y a pas de vaisseaux ou de structures nobles à proximité.

→ Une fois le nerf identifié, la longueur de l’aiguille est déterminée, et celle-ci est introduite. Il est indispensable de suivre la progression de l’aiguille tout au long de son parcours vers le nerf pour éviter d’endommager un organe ou un vaisseau. Si pour le nerf sciatique, ce risque est très faible, il est en revanche plus important pour le bloc du nerf fémoral ou des nerfs du plexus brachial. La diffusion de l’anesthésique local autour du nerf est ensuite clairement observée à l’écran. Il est souvent nécessaire de rediriger l’aiguille au cours de l’injection pour s’assurer que la solution est déposée au plus près du nerf, et que du tissu conjonctif ne s’interpose pas entre les 2. Lorsque la solution est cor­rectement déposée au contact du nerf, elle diffuse proximalement et distalement le long du nerf, et parfois l’entoure complètement, ce qui forme une image en beignet (“donuts sign”).

Choix d’un anesthésique local

Les anesthésiques locaux les plus utilisés sont la lidocaïne, la bupivacaïne et la ropivacaïne. La précision du geste échoguidé augmente la durée des blocs moteurs et sensitifs obtenus, qui peut être longue : de l’ordre de 10 à 15 heures avec la bupivacaïne. La lidocaïne est également utilisable, mais elle agit moins longtemps (2 à 4 heures).

Stephan Mahler et Christophe Desbois organisent un EPU de prise en charge de la douleur axé sur les techniques d’anesthésie locorégionale par neurostimulation et échographie chez les carnivores.

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