La mémoire et les larmes du crocodile

Le Portugais Miguel Gomes fait partie des rares réalisateurs contemporains qui donnent l’impression, à chaque film, de réinventer le cinéma. Somptueux et profond, son 3^e long métrage, Tabou, parle du passage du temps et de notre désir (besoin ?) commun de fiction. Il raconte un amour caché puis sacrifié, il y a longtemps, dans un empire colonial, lui-même englouti. Tourné en 4/3 et en noir et blanc, le film se divise en deux parties.

Dans une Lisbonne hivernale et morose, reflet d’une société qui va mal, la première partie (appelée ironiquement le paradis) décrit, presque banalement, les derniers jours d’une octogénaire un peu excentrique. Sa mort va révéler le secret inattendu d’une passion vécue il y a 50 ans, au cœur d’une colonie portugaise insouciante de sa fin imminente. Retrouvant le souffle et l’esprit du grand cinéma muet et des classiques hollywoodiens (sans les imiter pour autant), la seconde partie donne alors de la chair à cette Afrique fantôme et romanesque. Présent et passé, Portugal actuel et colonies africaines disparues, silence et chansons deviennent les ingrédients magiques d’un poème d’images et de sons qui, avec une grâce sans cesse renouvelée, ressuscite un monde éteint, comme un paradis perdu. Un paradis dont le crocodile, témoin central du film, garde mélancoliquement la mémoire. Tabou est l’un des films les plus remarquables de l’année 2012.

Tabou de Miguel Gomes, 35 mm noir et blanc, 110 minutes, prix de la critique internationale Fipresci, prix de l’innovation Alfred-Bauer, à partir du 5/12/2012.