L’Odyssée de Pi : seul sur l’océan avec un tigre

Chaussez vos lunettes polarisées et courez voir L’Odyssée de Pi. Le nouveau film d’Ang Lee¹ est visuellement ébouriffant. Cette superproduction en 3D, où il est beaucoup question de divinité, incite à se prosterner devant le miracle de la technologie digitale. L’histoire² exploite une situation dramatique d’un dépouillement merveilleux : un jeune naufragé (Pi) doit partager son canot de sauvetage avec un… tigre. On se frotte les yeux devant une promiscuité aussi improbable. Elle n’a été possible qu’en recréant le fauve par ordinateur³, mais les ondulations des muscles, les attitudes, la fourrure⁴ sont si parfaitement rendus qu’on le jugerait réel. Une exigence de crédibilité inégalée en images de synthèse et qui ne cède jamais à l’anthropomorphisme : le tigre, jusqu’à la fin, reste un impitoyable prédateur.

La fable, d’un enchantement visuel constant, devient alors la métaphore de la confrontation de l’homme à la nature sauvage. Pi doit sa survie à la vigilance extrême qu’impose sa cohabitation avec le fauve ; le respect qu’il développe pour son terrible rival animal édifie son humanité.

Quel dommage que le réalisateur ne s’en soit pas tenu là et embarrasse son film d’un spiritualisme superficiel puis, après avoir insinué le doute sur ce que nous venons de voir, hasarde un rapprochement balourd entre Dieu et la foi dans les belles histoires ! Des coquetteries de scénariste qui émoussent notre éblouissement.

• 1 Réalisateur entre autres de Garçon d’honneur, Tigre et dragon, Le Secret de Brokeback Mountain.

• 2 D’après le best-seller « Histoire de Pi » du Canadien Yann Martel (Man Booker Prize 2002), roman longtemps réputé inadaptable au cinéma.

• 3 Une vingtaine de séquences ont été tournées avec de vrais animaux, dont quatre tigres pris en main par le dresseur français Thierry Le Portier.

• 4 Une douzaine d’artistes ont travaillé pendant un an rien que sur l’animation du pelage.