Faut-il créer un institut vétérinaire ? - La Semaine Vétérinaire n° 1551 du 13/09/2013
La Semaine Vétérinaire n° 1551 du 13/09/2013

Dossier

Auteur(s) : SERGE TROUILLET

Stéphane Martinot, directeur général de VetAgro Sup, a remis début juillet son rapport de mission sur la faisabilité de la création d’un institut vétérinaire1 réunissant les quatre écoles françaises. Ses conclusions ne font pas l’unanimité parmi les enseignants. Bruno Polack (ENV d’Alfort) et Xavier Berthelot (ENV de Toulouse), tous deux également syndicalistes, se livrent même à une analyse critique sévère. Stéphane Martinot leur oppose sa conviction forte du bien-fondé de cette nouvelle structure à créer.

La torpeur estivale n’a pas anéanti Xavier Berthelot, professeur de pathologie de la reproduction à l’école de Toulouse : « En mai dernier, la Direction générale de l’enseignement et de la recherche (DGER) évoquait au conditionnel ce que pourrait être un institut vétérinaire : deux mois et moins de 60 pages plus tard, par la grâce du rapport de M. Martinot, le conditionnel est devenu futur ! Les conclusions étaient-elles déjà écrites ? “Non, s’entendait-on dire alors, mais il y a un scénario central.” Ce rapport n’est pas du tout satisfaisant, tant sur le fond que sur la forme. On éprouve une désagréable impression de juxtaposition d’arguments, choisis pour justifier la création d’une strate administrative dont l’intérêt nous échappe. On ne sait pas bien comment elle va fonctionner, alors que nous disposons d’un outil, Agreenium2, qu’il suffirait d’adapter pour que cela devienne le début d’une grande aventure. »

Sur la forme, il stigmatise l’emploi surabondant de néologismes (« efficience », « impacter », etc.) dans le rapport et il s’amuse du prétendu « consensus » suscité parmi les acteurs autour de la création d’un établissement public administratif (EPA), ainsi que de la « dynamique créée par la mission actuelle ». Surtout, il fustige le « jargon de caste » décliné dans des expressions comme « rénovation et modernisation du référentiel » : « Ce sont des termes utilisés de façon systématique pour essayer de déstabiliser ceux qui ne sont pas d’accord, lesquels sont présentés ainsi comme hostiles à toute réforme et voulant camper sur leurs positions. Je préférerais les mots “amélioration et adaptation” des référentiels de formation et de diplôme. Là, nous partageons la nécessité de revoir ces référentiels. »

C’est cependant sur le fond que Xavier Berthelot et Bruno Polack, maître de conférences en parasitologie à Alfort, nourrissent les plus vives critiques. Ils relèvent beaucoup d’imprécisions ou de contre-vérités sur les sujets abordés : nature de l’intégration de l’école de Toulouse dans Agreenium, mise en avant de l’absence de valence vétérinaire dans les intitulés des écoles doctorales (quid du « v » de Sevab à Toulouse ?), statut spécifique des praticiens hospitaliers, confusion entre diplôme et grade de master, etc. Ainsi que l’oubli, entre autres, de l’habilitation à diriger des recherches (HDR).

« PAS DE QUOI JUSTIFIER LA CRÉATION D’UN INSTITUT VÉTÉRINAIRE ! »

Les deux enseignants dénoncent en outre une argumentation contestable.

→ « Une cartographie des compétences scientifiques existantes » : « D’accord, mais la DGER n’est-elle pas informée de ce qui se passe en matière de recherche dans les écoles ? Si tel est le cas, c’est de son ressort, pas de celui d’un éventuel institut vétérinaire. »

→ « Créer la dynamique et l’environnement indispensables au développement d’une recherche clinique productive » : « Ne l’est-elle pas déjà ? Sans doute est-ce d’abord un problème d’identification de ce qui sort des écoles, à partir des moteurs de recherche, parce qu’il n’y a pas d’harmonisation de l’adresse des établissements. Quand on arrive à 50 libellés différents pour une même école, dans les publications scientifiques, on manque en effet de lisibilité ! »

→ « Développer l’utilisation des plates-formes de recherche » : « A-t-on besoin d’un institut vétérinaire pour ça »

→ « Mieux structurer la recherche clinique » : « L’imposition par le haut serait-elle de nature à faciliter les choses ? La réalité est que nous ne disposons pas, dans notre domaine, d’un établissement public à caractère scientifique et technologique (EPST), comme l’Inserm dans le domaine médical, qui permette de booster cette recherche. »

→ « Développer l’attractivité des écoles vis-à-vis des étudiants étrangers et faire de ces derniers de futurs ambassadeurs du modèle sanitaire français » : « C’est du néocolonialisme ! Et puis, ces étudiants, on les met où »

→ « Disposer d’une méthode et d’outils communs dans le domaine du contrôle de gestion » : « D’accord, mais cela relève de la DGER. Les problèmes de contrôle de gestion, de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (Gpec), de ressources humaines, de services financiers, etc., sont assez similaires entre les établissements d’enseignement supérieur agricole. Les personnels des écoles vétérinaires et agronomiques ont les mêmes statuts : il n’y a aucune raison de ne pas utiliser des outils identiques et de faire une mutualisation différente ! »

« C’EST ENCORE DU JACOBINISME ! »

Xavier Berthelot et Bruno Polack considèrent surtout certaines remises en cause comme inacceptables.

« Le pôle national d’enseignement et de recherche vétérinaires se charge de la mise en œuvre à partir de la 5e année » : « Quelle est cette histoire ? À la différence de l’internat et de la spécialisation, la 5e année fait partie de la formation initiale. Les écoles n’en seraient plus maîtresses »

« Organiser la répartition des programmes dans les écoles en fonction des spécialités présentes » : « Doit-on comprendre que la spécialisation commence dès la 5e année ? Cela aboutirait à une spécialisation de fait des écoles, avec des répercussions sur le tronc commun. On peut alors imaginer une école des productions animales, une autre de la canine, comme certaines rumeurs le laisseraient supposer ! »

« Les compétences acquises en 5e année seront évaluées par le pôle national d’enseignement et de recherche vétérinaires qui organisera des examens spécifiques à chaque filière » : « Pour les étudiants, c’est la double peine : après le concours d’entrée, celui de sortie… S’agit-il de la création d’un nouveau diplôme de fin d’études vétérinaires ? Pour quoi faire ? Seule la thèse, qui figure dans le Code rural, donne le droit d’exercer. »

« L’institut délivrera pour le compte commun les diplômes interécoles, d’internat, ainsi que de spécialisation (CEAV3, DESV4) » : « Un diplôme est délivré par un jury. Or l’internat est effectué dans une école où les enseignants sont les mieux à même de juger. Comment un autre établissement peut-il délivrer le diplôme ? C’est un ovni dans le paysage de l’enseignement supérieur ! »

« Créer un guichet unique de conventionnement avec les partenaires privés » : « Les écoles vétérinaires ne pourront plus proposer un enseignement postuniversitaire, une formation continue, si elles le souhaitent ? Il faudra demander à l’institut vétérinaire ? Passer par Paris ? C’est encore du jacobinisme, tandis qu’est réaffirmé l’ancrage régional ! »

« NOUS NE VOULONS PAS ÊTRE UN DIVERTICULE ! »

« A-t-on besoin d’un tel établissement ?, s’interroge Bruno Polack. Dans les différents scénarios proposés, il n’y a pas cette option. C’est bien l’objectif du rapport de créer un établissement unique, un EPA, présenté ensuite comme le meilleur possible. C’est une évidence depuis le départ. Cela n’a jamais été discuté. Bien entendu, ce sera mis en place sans moyens supplémentaires. Il faudra en conséquence encore ponctionner des écoles déjà exsangues financièrement ! Pourtant, l’exemple des structurations des établissements de Nantes et de Lyon est éclairant : elles n’ont pas permis une économie d’échelle significative et n’ont pas fait montre d’une réelle efficacité. Je crains qu’il en soit de même pour cette nouvelle structure nationale, que l’on veut créer au moment même où est repris sur tous les tons le slogan du choc de simplification administrative ! »

Xavier Berthelot enfonce le clou : « Le rapport indique que “ce nouvel établissement aura vocation à s’impliquer dans l’articulation avec le pôle agronomique national”. S’il doit s’articuler, c’est qu’il n’est pas dedans. Cela signifie que nous serons à part, en dehors, et on ne veut pas être en dehors. Nous ne voulons pas être un diverticule ! Ce que le rapport nous propose, c’est la mort programmée. L’apoptose ! Nous ne voulons pas que les écoles vétérinaires meurent isolées. On veut qu’elles vivent dans un ensemble agrovétérinaire d’enseignement supérieur et de recherche. »

  • 1 Il s’agit d’enrichir et d’adapter l’offre et les modalités de formation en adéquation avec les exigences des référentiels internationaux d’accréditation, de renforcer le rayonnement international du dispositif, de développer la force et la visibilité de la recherche en santé publique vétérinaire et de la recherche clinique.

  • 2 Consortium national pour l’agriculture, l’alimentation, la santé animale et l’environnement.

  • 3 Certificat d’études approfondies vétérinaires.

  • 4 Diplôme d’études spécialisées vétérinaires.

À savoir

Bruno Polack est secrétaire du Syndicat national de l’enseignement technique agricole public-Fédération syndicale unitaire (Snetap-FSU).

Xavier Berthelot est secrétaire du syndicat des enseignants de l’ENV de Toulouse.

Tous deux sont membres du Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche agricole, agro-alimentaire et vétérinaire (Cneseraav).

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