Découplage “antibiotiques critiques”
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Auteur(s) : Éric Vandaële
Les vétérinaires, les industriels et les éleveurs s’opposent au découplage pour les antibiotiques critiques. Tandis que quelques pharmaciens voudraient le beurre et l’argent du beurre…
Inacceptable », « complet désaccord », « révoltant sur le fond comme sur la forme », « inadmissible », « un affront », etc. Ce sont d’abord la stupeur et l’incompréhension qui dominent dans les premières réactions des vétérinaires, lorsqu’ils apprennent que le projet de loi d’avenir pour l’agriculture prévoit le découplage de la prescription-délivrance pour les antibiotiques critiques. Puis très vite viennent la colère, l’inquiétude et la mobilisation.
La responsabilité en revient totalement à la ministre de la Santé, Marisol Touraine, et plus particulièrement à son nouveau conseiller technique chargé de la sécurité sanitaire, un médecin épidémiologiste des hôpitaux de Paris, le Pr Jérôme Salomon, nommé à ce poste que depuis le 15 avril 2013. Ce médecin de l’Institut Pasteur a soutenu une thèse en 2008 sur la relation entre résistances et exposition aux antibiotiques… humains. C’est donc un spécialiste de l’antibiorésistance qui a influencé la ministre. Si son pedigree ne suffit pas à motiver une telle proposition, son apparente crédibilité sur cette thématique peut expliquer qu’il ait été aussi vite entendu jusqu’à l’hôtel Matignon. La mission “mesure 29” des quatre inspecteurs des ministères de la Santé, de l’Agriculture et de l’économie avait mené une enquête pendant près de six mois auprès des professionnels avant de conclure à l’inefficacité du découplage, voire à « son effet contre-productif si l’État entend s’appuyer sur les vétérinaires en matière de santé animale ». Ces conclusions ont été balayées en quelques jours. En revanche, les pharmaciens ne sont pour rien dans cette décision prise en catimini au ministère de la Santé.
Comment faire valoir le bon sens sur une position dogmatique et idéologique, et de dernière minute ? D’emblée, le Syndicat des vétérinaires d’exercice libéral (SNVEL) appelle à la « mobilisation massive » des confrères, syndiqués ou non. Il leur demande d’écrire individuellement aux préfets pour leur faire savoir qu’ils sont solidaires des actions entreprises pour obtenir le retrait de ce découplage partiel. Il les invite aussi à « sensibiliser les décideurs agricoles locaux aux conséquences sanitaires et économiques d’une telle décision ». Et il brandit la menace d’une grève du mandat sanitaire : « Les vétérinaires cesseront d’assurer leur habilitation et leur mandat sanitaire à la fin du mois d’octobre si ce projet n’est pas modifié. »
Dans un communiqué, le Syndicat national des vétérinaires conseils (SNVECO) se déclare évidemment « en complet désaccord avec ce découplage partiel ». Il récuse la notion sous-jacente de conflit d’intérêts et n’accepte pas l’interdiction de toute remise et contrat de collaboration commerciale sur les antibiotiques. Il s’interroge sur l’interdiction de l’usage préventif, en vue d’en exclure clairement la métaphylaxie.
Michel Baussier, le président de l’Ordre, a officiellement réagi, le 9 octobre, en écrivant aux confrères et au Premier ministre, Jean-Marc Ayrault. Il l’« alerte officiellement de la démobilisation des vétérinaires qui va résulter d’ores et déjà de ce seul projet » de découplage, avant même son éventuelle adoption. Il dénonce « avec force ses effets délétères ». Il y voit « un coup d’arrêt » du « partenariat constructif entre le secteur public et le secteur privé mis en place depuis plus d’un demi-siècle ». La loi d’avenir serait donc celle d’un retour 50 ans en arrière… en santé animale. Face à l’émotion, il appelle ses confrères « à savoir raison garder, sans abandonner la moindre parcelle de leur détermination ».
Les vétérinaires ne sont pas les seuls à combattre ce projet de loi. Les laboratoires pharmaceutiques comme les éleveurs s’y opposent également, chacun avec ses arguments (voir encadrés). Le texte devrait revenir au Conseil d’état à la fin du mois et être examiné par le conseil des ministres vers la mi-novembre.
À travers la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), les éleveurs sont aux côtés des vétérinaires. Elle souligne que la cause principale de l’antibiorésistance chez l’homme est l’usage des antibiotiques par… les médecins. D’ailleurs, le découplage, en vigueur depuis longtemps en médecine humaine, n’a pas empêché les consommations d’antibiotiques de grimper de près de 10 % entre 2004 et 2012. Tandis que, parallèlement, les usages vétérinaires ont chuté de 12 % sur la même période.
Les éleveurs sont donc prêts à faire de nouveaux efforts dans le cadre du plan ÉcoAntibio. Mais, comme les vétérinaires, ils souhaitent d’abord que leurs efforts des dernières années soient reconnus. Au lieu de cela, la Santé semble vouloir appliquer aux vétérinaires un système qui, de longue date, a démontré son inefficacité pour réduire l’utilisation des antibiotiques humains. Surtout, le projet de loi instaure une défiance envers les vétérinaires. Si l’État ne leur fait plus confiance, qu’en sera-t-il pour leurs clients ?
La FNSEA s’oppose depuis longtemps au découplage, consciente de la menace qu’il représente pour le maintien des vétérinaires dans les productions animales. « Ce ne sont pas les pharmaciens qui vont se lever la nuit pour les vêlages… »
La fédération est également contre le retrait des antibiotiques des plans sanitaires d’élevage (PSE) et l’interdiction de la prévention, lorsqu’elle n’est pas systématique mais « raisonnée et sur prescription ».
Jusqu’à présent, le SNVEL a toujours été hostile à la présence d’antibiotiques dans les PSE, qui sont des plans préventifs.
« Inacceptable. » Comme les confrères, le Syndicat de l’industrie du médicament vétérinaire (SIMV), par la voix de son président Jean-Louis Hunault, s’oppose au projet de loi. Comme les éleveurs, il y voit surtout une « forme de défiance » envers le vétérinaire. Pour lui, « les praticiens ne sont ni malhonnêtes ni incompétents. Rien ne justifie de remettre ainsi en cause leurs compétences et leur probité ».
Lui aussi souligne que, depuis six ans, entre 2007 et 2012, les consommations d’antibiotiques ont déjà chuté de 20 %.
Il précise que les vétérinaires subissent une « double ou triple peine non justifiée » : l’interdiction de toutes remises sur les antibiotiques, l’interdiction de recevoir toute forme d’avantage des laboratoires et, comme si cela ne suffisait pas, le découplage partiel des antibiotiques critiques.
« En ciblant ainsi les vétérinaires, on se trompe de cible. » La seule interdiction des remises devrait suffire à protéger les praticiens de la suspicion du conflit d’intérêts.
Le découplage est d’autant moins justifié qu’il concerne justement les molécules critiques. Jusqu’à présent, un produit “très sensible” était confié aux professionnels, les plus avertis et les mieux formés pour en contrôler l’usage. À l’inverse, ce projet de loi déresponsabilise les vétérinaires en leur retirant la délivrance des molécules les plus sensibles. C’est « inacceptable ».
Les rares pharmaciens impliqués dans l’Association nationale de la pharmacie vétérinaire d’officine (ANPVO) ne se contentent pas du découplage prévu par le projet de loi pour les molécules critiques, dont la liste, non encore fixée, pourrait rapidement s’élargir à la colistine, aux macrolides, à l’amoxicilline en sus des fluoroquinolones et des céphalosporines de dernière génération. Ils veulent également conserver les remises et les marges sur les antibiotiques.
Jacky Maillet, le pharmacien à la tête de l’ANPVO (par ailleurs mis en examen dans une affaire de compérage), écrit aux ministres de la Santé et de l’Agriculture qu’il rejette « catégoriquement » l’interdiction faite aux pharmaciens de recevoir toute forme de remise ou d’incitation commerciale sur les antibiotiques. Il s’oppose aussi au plafonnement de la marge des molécules critiques (de 10 à 15 % environ). Pour lui, ces mesures d’encadrement commercial ne devraient s’appliquer qu’aux vétérinaires, mais pas aux « pharmaciens, purs dispensateurs, sans aucune influence possible sur la prescription ».
Selon lui, cette interdiction des remises faite aux deux ayants droit « consoliderait le monopole hautement contesté par l’Europe de la vente des antibiotiques par les vétérinaires ». Et de conclure par la menace d’un recours en annulation des textes publiés s’il n’est pas entendu par le gouvernement ou le Parlement.
Le pire serait que la justice lui donne raison sur ce recours…
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