Les vétérinaires, des vigipirates au cœur du dispositif anti-bioterrorisme - La Semaine Vétérinaire n° 1559 du 08/11/2013
La Semaine Vétérinaire n° 1559 du 08/11/2013

Dossier

Auteur(s) : Nathalie Devos

Aujourd’hui, face à une opinion publique particulièrement sensibilisée aux questions de santé et perméable aux mouvements de psychose, le bioterrorisme est une menace contre laquelle tous les acteurs de la gestion du risque sont préparés. De multiples corps de métier sont concernés et la mobilisation de la profession vétérinaire dans son ensemble est à souligner. Évaluation des risques, surveillance épidémiologique accrue, coordination entre les différents intervenants et plans d’action sont les principaux axes de la prévention.

Les armes biologiques sont certainement les plus sournoises. Contrairement à celles dites conventionnelles et chimiques, qui provoquent une atteinte massive et immédiate chez les victimes, elles sont invisibles, inodores, temporellement imprévisibles et non quantifiables (du fait du délai d’incubation à l’apparition des symptômes engendrés par les agents pathogènes). De plus, leur mise au point ne nécessite pas de grandes infrastructures. En outre, si la guerre biologique n’est pas une “invention” récente (voir encadré ci-dessous), la sophistication éventuelle de ces armes (notamment via la manipulation d’agents pathogènes en laboratoire) fait craindre des attaques terroristes plus meurtrières et de masse.

DES AGENTS ET DES MOYENS DE DISSÉMINATION VARIÉS

Le bioterrorisme se définit par la diffusion intentionnelle d’agents biologiques pathogènes à visée humaine, directement ou indirectement via les animaux, les végétaux et la chaîne alimentaire. L’objectif est de déstabiliser une société, une région ou un pays, tant en termes de santé publique que de santé animale et de sécurité alimentaire, via les pertes économiques associées, et la perturbation sociale potentiellement engendrée (voir article en page 28).

Les agents biologiques susceptibles d’être utilisés par les bioterroristes sont les bactéries, les toxines, les virus, les parasites ou encore les champignons. Leur dissémination emprunte plusieurs voies : aérienne (aérosol, pulvérisateur), orale (contamination des denrées alimentaires et de l’eau) ou contact dermique.

La menace d’utilisation des armes biologiques est d’autant plus plausible que leur coût de production est 2 000 fois inférieur à celui des armes conventionnelles. Toutefois, encore faut-il se procurer l’agent infectieux. Par ailleurs, si les bioterroristes ne savent pas le contrôler, ils risquent un effet boomerang, c’est-à-dire une dissémination non contrôlée touchant des personnes ou des pays favorables non visés.

LES ANIMAUX, UNE CIBLE PLUS “FACILE” DU BIOTERRORISME

Les principaux critères qui peuvent guider le choix de tel ou tel agent pathogène sont sa toxicité, sa virulence, sa résistance dans l’environnement et sa contagiosité, mais aussi, en amont, sa facilité d’obtention, de fabrication, de transport et de dissémination.

Une attaque bioterroriste à visée animale semble la plus “aisée”. En effet, il est plus facile de faire croire à une origine naturelle pour une maladie animale que pour une contamination humaine. En outre, 75 à 80 % des agents pathogènes susceptibles d’être utilisés à des fins de bioterrorisme contre l’homme sont zoonotiques, c’est-à-dire d’origine animale. La France en a dressé une liste. Ainsi, quatre groupes d’agents biologiques sont définis par les autorités françaises, selon « leur pouvoir pathogène pour l’homme, leur risque de propagation et l’absence de prophylaxie ou de traitement efficace » (voir article en page 27).

D’où l’importance de la surveillance et du contrôle des maladies animales partout dans le monde, avec un rôle essentiel dévolu aux vétérinaires dans ce domaine (de même qu’en santé publique stricto sensu), mais aussi des maladies humaines par leurs homologues médecins (voir les témoignages en pages 25 et 26). Les échanges d’informations entre les systèmes de surveillance des différents corps de métier sont tout aussi primordiaux. Du côté de la protection de la chaîne alimentaire (contamination des aliments), des guides de recommandations contre les actions malveillantes ou terroristes ont été élaborés (voir encadré ci-dessus).

UNE CONVENTION SUR LES ARMES BIOLOGIQUES OU À TOXINES

La puissance potentielle d’une guerre bactériologique, révélée par l’impact du virus de la grippe espagnole en 1918, a tellement impressionné les populations et les leaders politiques de l’époque que les dispositions relatives à l’interdiction d’emploi des armes chimiques, adoptées dans le protocole de Genève en 1925, ont été étendues aux agents biologiques. Toutefois, la mise au point ou la possession de telles armes n’étaient pas concernées.

En avril 1972, 80 États ont signé la Convention sur l’interdiction de la mise au point, de la fabrication et du stockage des armes bactériologiques (biologiques) ou à toxines et sur leur destruction, également appelée Convention sur l’interdiction des armes biologiques (CABT), qui vise celles non destinées à des buts prophylactiques de protection ou à d’autres fins pacifiques. Entrée en vigueur en 1975, elle réunit à ce jour 162 États.

UNE ORGANISATION ET DES MOYENS ANTI-BIOTERRORISTES EN PLACE

Tant au niveau mondial que national, divers dispositifs, organisations, agences, instituts, réseaux, etc., de prévention et de lutte contre le bioterrorisme œuvrent et coopèrent entre eux et avec les services de l’État. Par exemple, au premier niveau, l’Organisation mondiale de la santé animale (OIE) joue un rôle dans la prévention et le contrôle des maladies animales dans le monde afin de prévenir le bioterrorisme, puisque son activité relève des objectifs de la CABT. L’OIE a en outre créé le système mondial d’information sanitaire (World Animal Health Information System, Wahis), une application internet qui permet de diffuser sur-le-champ à ses membres toute information relative à la santé animale. Les 178 pays de l’OIE ont l’obligation légale de déclarer immédiatement les événements sanitaires qui surviennent chez des animaux domestiques ou sauvages via ce système. Par ailleurs, l’OIE a mis au point, avec la collaboration de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et celle des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) un système d’alerte précoce et de réaction rapide pour les maladies animales transmissibles à l’homme (Glews). Il permet d’établir une relation entre les agents pathogènes d’origines animale et humaine à travers le partage d’informations complémentaires sur les maladies à caractère zoonotique. L’OIE et la FAO ont également développé des programmes communs de surveillance des affections animales dans le monde entier, comme le Global Framework for Progressive Control of Transboundary Animal Diseases (GF-TADs). L’OIE élabore en outre des normes relatives à la biosécurité des laboratoires qui manipulent des agents pathogènes d’origine animale (voir encadré en page 27).

De son côté, l’Union européenne a mis en œuvre, en 2004, une application pour suivre le déplacement des animaux et de leurs produits, le Trade Control and Expert System (Traces, système de contrôle du commerce et de l’expertise), sur la base de son prédécesseur, le projet Animal Movement (Animo). Au niveau communautaire, l’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa) chapote l’alimentation.

UN PLAN BIOTOX EN FRANCE

Au plan national, différents ministères (Alimentation, Santé, Défense, Intérieur, etc.), plusieurs agences (telles que l’Anses, etc.) et instituts (Pasteur, InVS, etc.) ou encore réseaux d’épidémiosurveillance, de santé animale et humaine coopèrent également dans le domaine de la surveillance sanitaire et de la prévention du bioterrorisme.

À la suite de l’affaire des lettres contaminées par l’anthrax aux États-Unis en 2001, le Premier ministre français de l’époque a rendu public, en octobre de la même année, le plan Biotox. Ce plan interministériel de maîtrise des agressions biologiques, élaboré en 1999, s’inscrit dans un dispositif plus vaste de contrôle des agressions terroristes, le plan Piratox. Il en constitue le volet biologique. Il prévoit dans un premier temps des mesures d’ordre général, comme le renforcement des dispositions du plan Vigipirate, activé depuis les attentats d’août 1995. Puis des dispositions plus spécifiques sont mises en œuvre, dont la sécurisation des laboratoires dits “sensibles” de type P4, des circuits de production, de détention et de circulation de produits biologiques à risque, et le renforcement de la sécurité autour de la distribution d’eau potable.

Le bioterrorisme, une longue histoire

Aux vie et viie siècles, la littérature rapporte que les Assyriens empoisonnaient les puits de leurs ennemis avec de l’ergot de seigle, un champignon dont la toxine produit de violentes hallucinations.

Au Moyen Âge, les actes de bioterrorisme consistaient à jeter par-dessus les fortifications des carcasses d’animaux malades dans le but de contaminer ceux élevés à l’intérieur des enceintes, voire l’eau des puits afin de provoquer famine et épidémies mortelles. Les archives historiques relatent également l’usage fait par les Mongols, en 1347 à Caffa, de cadavres pestiférés, jetés au-dessus des murailles pour infecter la population de la ville assiégée.

Lors de la Première Guerre mondiale, les Allemands ont inoculé le bacille de la morve aux chevaux des troupes alliées.

En 1984, la secte Rajneesh, établie en Oregon aux États-Unis, a contaminé des buffets de salades dans une dizaine de restaurants de la région à l’aide de Salmonella Typhimurium. Résultat : quelque 750 personnes malades et intoxiquées.

Entre 1990 et 1995, la secte japonaise Aum Shinrikyo a tenté à plusieurs reprises, mais vainement, de répandre des agents biologiques à Tokyo tels que ceux responsables de la maladie du charbon, de la fièvre Q ou encore de la toxine botulique.

En 1996, la bactérie Shigella dysentariae est incorporée dans des pâtisseries proposées dans la salle de repos du laboratoire d’un centre médical américain. Cet acte de malveillance a contaminé 12 personnes sur 45, et 4 ont dû être hospitalisées.

En 2001, les États-Unis sont confrontés à des terroristes qui propagent délibérément la maladie du charbon à l’aide de lettres contaminées. Bilan : cinq personnes décédées et près de 30 000 agents de la poste américaine placés sous antibiothérapie. Le coût de la désinfection a atteint 300 millions de dollars, pour deux centres de tri seulement.

Outre les actes avérés en matière de bioterrorisme, certains événements récents montrent l’impact énorme en termes de santé publique de certains agents microbiologiques, qui auraient pu faire l’objet d’attaques délibérées. C’est le cas par exemple d’E. coli 0154: H4. Cette bactérie, au profil ß-lactamase à spectre étendu, a affecté des milliers de personnes en Allemagne et quelques dizaines en France (Aquitaine), provoquant des dizaines de cas mortels en 2011. Les longues semaines d’investigation ont permis d’incriminer des graines de fenugrec importées d’Égypte en 2009 et 2010.

Enfin, le risque d’apparition de mutants de virus respiratoires particulièrement virulents, notamment de la grippe, reste d’actualité.

PROTECTION DE LA CHAÎNE ALIMENTAIRE

Un Guide des recommandations pour la protection de la chaîne alimentaire contre les risques d’actions malveillantes, criminelles ou terroristes a été élaboré en mai 2007 par les ministères de l’Agriculture, de la Santé, de l’Économie, et de l’Intérieur1. L’approche américaine de la Food Defense développée dans les années 2000, inscrite dans un contexte de risque terroriste avéré de type NRBC (nucléaire, radiologique, bactériologique, chimique, voire physique), peut constituer une aide supplémentaire pour tous les acteurs de la production, de la transformation et de la distribution des aliments en France. La Food Defense a pour objectif de réduire la probabilité d’une attaque malveillante. Les mesures mises en place doivent notamment permettre de prévenir l’intrusion d’individus étrangers, de produits altérés ou dangereux, le détournement d’usage de produits habituels ou de processus. Cela passe donc par le contrôle des accès, des livraisons et du personnel.

N. D.

1 http://agriculture.gouv.fr/IMG/pdf/guide-recommandations-mai-2007.pdf

Pour en savoir plus

Gilles Bornert et coll. : « Bioterrorisme et compétences vétérinaires », http://www.revmedvet.com/2006/RMV157_371_378.pdf

« Les organisations internationales et leur contribution à la protection de la communauté mondiale lors des catastrophes biologiques naturelles ou intentionnelles », Rev. sci. tech. Off. int. Epiz., 2006, 25(1), 163-172.

Convention sur les armes biologiques et à toxines (BTWC), http://www.unog.ch/bwc

N. Geeraerts, S. Goudot, O. Lakhdari, A. Leclerc : « Le bioterrorisme », rapport de projet tutoré de 1re année tronc commun, juin 2002, JTAP, http://julientap.free.fr/travail_fichiers/bioterrorisme.pdf

« Biosécurité et biosûreté au laboratoire de microbiologie vétérinaire et dans les animaleries », http://www.oie.int/fileadmin/Home/fr/Health_standards/tahm/Chap%201.1.2._Biosecurite_2008.pdf, manuel terrestre de l’OIE 2008.

R. Grunow et coll. : « Le projet EQAdeBa : mise en place de programmes d’assurance qualité pour la détection de bactéries hautement pathogènes présentant un risque en matière de bioterrorisme », cahier n° 7 EuroRéférence.

Guide des recommandations pour la protection de la chaîne alimentaire contre les risques d’actions malveillantes, criminelles ou terroristes (ministères de l’Agriculture, de l’Intérieur, de la Défense, de la Santé, DGCCRF).

F. Suffert : « L’épidémiologie végétale nouvelle discipline de guerre ? », Courrier de l’environnement de l’Inra n° 47, octobre 2002,http://www7.inra.fr/lecourrier/assets/C47Suffert.pdf

BIOSÉCURITÉ ET BIOSÛRETÉ EN LABORATOIRE

Des recommandations de niveau de confinement existent pour les quatre groupes d’agents pathogènes qui représentent un risque graduel pour la santé humaine. Elles sont décrites dans le Manuel des tests de diagnostic et des vaccins pour les animaux terrestres 2013 de l’OIE, au chapitre 1.1.3 dédié à la biosécurité et biosûreté au laboratoire de microbiologie vétérinaire et dans les animaleries1. Les laboratoires de référence nationaux ou internationaux ont une expérience importante des règles de biosécurité adaptées aux agents pathogènes et aux dispositions et équipements nécessaires pour les manipuler. Quand de nouveaux laboratoires sont créés, l’OIE conseille « de demander l’avis des autorités réglementaires concernées, des autorités compétentes de manière générale, ainsi que des instituts déjà établis et de se plier aux exigences réglementaires locales ».

Le travail avec des agents pathogènes dans des animaleries entraîne également des risques spécifiques. Aussi, chaque pièce doit être conçue en tenant compte des niveaux de confinement et des normes en vigueur, comme pour les laboratoires.

N. D.

1 http://www.oie.int/fileadmin/Home/fr/Health_standards/tahm/Chap%201.1.3._Biosécurité_2008.pdf

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