Acides aminés alimentaires : un enjeu d’avenir pour la composition corporelle et la qualité des viandes

Ces dernières années, plusieurs études en matière de nutrition ont été publiées. Elles répondent à la nécessité de trouver un équilibre dans les rations des volailles afin d’optimiser la croissance musculaire et la qualité des viandes sans nuire à l’efficacité des systèmes de production. Ces travaux ont fait l’objet d’une revue présentée par Sophie Tesseraud et coll. (Inra de Nouzilly) lors des dernières Journées de la recherche avicole et des palmipèdes à foie gras, en mars dernier à La Rochelle. Cette revue se concentre essentiellement sur les effets de l’apport alimentaire en acides aminés et en protéines.

Des voies métaboliques étroitement connectées

De nombreux travaux ont en effet prouvé que l’apport d’acides aminés dans l’alimentation stimule la synthèse des protéines, tout en inhibant la protéolyse. À titre d’exemple, Yaman et coll. ont démontré en 2000 que les acides aminés sont directement impliqués dans la stimulation de la synthèse protéique postprandiale. À noter que la méthionine et la lysine sont des acides aminés dits limitants, car la carence alimentaire en un seul de ces acides suffit à freiner la protéosynthèse. Dans les années 80, Muramatsu et coll. avaient déjà observé que supplémenter un régime en méthionine augmente le taux de synthèse des protéines musculaires des volailles (évalué en pourcentage par jour).

Par ailleurs, la disponibilité en acides aminés affecte non seulement la synthèse protéique, mais aussi la protéolyse, modifiant à la fois les deux composants du renouvellement et du dépôt protéique (c’est-à-dire la différence entre les deux processus). Au niveau du muscle pectoral, c’est le rendement du filet qui en pâtit (protéolyse deux fois plus importante pour une carence en lysine de 25 % selon Tesseraud et coll., 1996 et 2001). Comme l’a expliqué Sophie Tesseraud, « la régulation nutritionnelle du métabolisme dépend aussi du rythme d’apport des nutriments ». Il existe ainsi une régulation de la protéolyse musculaire en fonction du rythme des apports alimentaires dans le temps. Par exemple, les variations d’apport de lysine peuvent modifier l’expression des gènes MuRF1 et Atrogin-1 qui contrôlent la protéolyse. Ces adaptations moléculaires peuvent être rapides, selon des cycles de 48 heures : il s’agit du phénomène “yo-yo”. Il ne faut pas non plus négliger l’impact de la génétique sur le métabolisme, pas plus qu’il ne faut oublier l’importance du facteur âge : un poulet âgé présente des intensités de synthèse des protéines plus faibles qu’un jeune, et un moindre effet des facteurs anaboliques.

Les rôles particuliers de la lysine et de la méthionine

La lysine est l’acide aminé essentiel le plus abondant au sein des protéines des muscles squelettiques. Il est de fait celui qui exerce les effets les plus nets sur la composition des carcasses et le développement musculaire, en particulier celui du muscle Pectoralis major, parfois considéré comme un réservoir d’acides aminés mobilisables (Tesseraud et coll., 1996). L’incorporation de lysine dans l’aliment à des taux supérieurs aux besoins pour la croissance musculaire augmente le pH ultime (pHu) de la viande et diminue son pouvoir de rétention en eau. La qualité du filet destiné à la transformation, en particulier, en est nettement améliorée. Il est cependant important d’augmenter en parallèle le niveau d’apport énergétique, sinon c’est le surplus d’acides aminés qui est valorisé à des fins énergétiques, et transformé en glycogène lui-même stocké dans le muscle. Le pH ultime diminue alors au lieu d’augmenter. Selon Berri et coll. 2013, les viandes au pH ultime le plus acide sont produites avec des rations enrichies en acides aminés (+10 %), mais pauvres en lysine (0,7 %). Cette dernière apparaît ici comme capable de réguler la part d’acides aminés utilisée à des fins énergétiques ou bien anaboliques.

La méthionine, quant à elle, participe à la synthèse de la cystéine, un acide aminé soufré lui-même nécessaire à la synthèse de deux des principaux antioxydants cellulaires : le glutathion et la taurine. L’apport de méthionine dans l’alimentation (en particulier sous la forme MHA : méthionine hydroxy-analogue) aide donc à la lutte contre le stress oxydatif et la peroxydation des lipides membranaires au cours de la conservation post-mortem du filet et de la cuisse de poulet (Mercier et coll. 2009 ; Berri et coll. 2012a). L’efficacité de stratégies nutritionnelles consistant en une variation de l’apport en acides aminés sur une période courte de trois jours en fin d’élevage a récemment été évaluée (Berri et coll., 2012b) : les effets sur le pH ultime, la couleur, l’exsudat ou encore les rendements de transformation des filets sont probants, d’autant que les performances zootechniques des animaux ne semblent que peu altérées.