Dossier
Auteur(s) : Frédéric Thual
« Satisfaisant, mais peut mieux faire », estiment les autorités de contrôle de la filière vétérinaire. Face à l’évolution du mode d’exercice, les structures voient les sources de risques augmenter et le nombre d’inspections se multiplier. Malgré un accompagnement important, certains vétérinaires, débordés par les lourdeurs administratives, sont tentés de faire la sourde oreille. Pourtant, se mettre en conformité est une nécessité.
Ce jour-là, l’auscultation d’un chien constituait un exercice de routine pour cette clinique vétérinaire. Jusqu’à ce que l’animal se redresse subitement et donne un violent coup de tête à l’auxiliaire présente pour les soins. Légèrement blessée, la jeune femme se retournera plus tard vers son employeur au titre de la faute inexcusable et réclamera des dizaines de milliers d’euros de dommages et intérêts ! « Des histoires comme celle-là, il en existe de plus en plus. Le risque est partout et il n’est pas seulement lié à la radioprotection », prévient Catherine Roy, vétérinaire-experte et consultante spécialisée dans la prévention des risques professionnels. « C’est l’évolution de la société. Les gens deviennent de plus en plus procéduriers. Hier, seules les grandes entreprises étaient concernées. Aujourd’hui, les actions en justice touchent davantage les très petites, petites et moyennes entreprises (TPE et PME), donc les cliniques vétérinaires. Certains salariés sont déterminés à faire reconnaître une maladie professionnelle ou un accident du travail en imputant la responsabilité à l’employeur, par exemple pour des défauts d’installation en matière de radioprotection », constate-t-elle. Résultat, avec les crises sanitaires, les scandales du médicament et la multiplication des inspections, les vétérinaires sont inquiets. « D’où la nécessité de se mettre en conformité », conseille-t-elle face à l’augmentation des contrôles et des inspections menés en vertu des Codes du travail et de la santé publique. Les domaines concernés sont la radioprotection, la pharmacie, ainsi que les contrats de travail pour les tâches qui impliquent des risques biologiques, chimiques, physiques, psychosociaux ou liés à des prestataires extérieurs. À cela s’ajoutent la gestion des déchets de soins et les questions d’affichage réglementaire, comme le tarif de prestations ou l’indication des prix de vente des produits au public.
« Loin d’être spécifique à la profession vétérinaire, le contexte réglementaire s’inscrit dans le dispositif de prévention des risques professionnels, renforcé par le Plan santé au travail, qui concerne à la fois la santé, l’environnement, l’industrie, etc. », précise Catherine Roy. Les dentistes, les radiologues, la recherche, les centres hospitaliers, et certains secteurs de l’industrie sont à la même enseigne. Depuis 1991, la loi impose au chef d’établissement « de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé des travailleurs ». Onze ans plus tard, il est demandé aux entreprises de rédiger un document unique (DU) d’évaluation de tous les risques professionnels. Son absence peut être sanctionnée par une amende de 1 500 €, et de 3 000 € en cas de récidive. Face à la complexité de la démarche, la Caisse régionale d’assurance maladie des Pays-de-la-Loire, en partenariat avec la médecine du travail et des représentants vétérinaires (Afvac, Avef, SNGTV), a mis en place, en mars 2008, un guide d’évaluation des risques pour les structures vétérinaires.
Généraliste, ce document unique constitue l’outil de base pour dresser l’inventaire des risques. Il peut aider les récalcitrants à entrer dans les cases de l’administration et à passer au travers des “griffes” des inspecteurs. « S’il y a bien un message à faire passer, c’est de répondre aux contrôles. Le point noir, c’est le comportement des vétérinaires qui ont tendance à faire la sourde oreille. Si l’administration peut se montrer compréhensive, il faut lui montrer sa bonne volonté », estime Ghislaine Jançon, adjointe au secrétaire général du Conseil supérieur de l’Ordre (CSO) et membre de la Commission de radioprotection vétérinaire (CRV).
Fondée en 2006, la CRV se réunit deux fois par an avec le CSO, le Syndicat national des vétérinaires d’exercice libéral (SNVEL), l’Association vétérinaire équine française (Avef), l’Association française des vétérinaires pour animaux de compagnie (Afvac) et les écoles vétérinaires pour faire œuvre de pédagogie auprès des praticiens.
Interface directe entre les professionnels et les autorités de contrôle (Autorité de sûreté nucléaire, Direction générale du travail), invitées une fois sur deux, la CRV joue un rôle de lobbying indéniable pour arrondir les angles, assouplir les relations et alléger, autant que possible, des réglementations de plus en plus complexes et contraignantes. « Il s’agit de trouver la juste mesure et de ne pas prendre un marteau pour écraser une mouche », résume Ghislaine Jançon. La dernière “victoire” de ces facilitateurs date de 2010. Désormais, les détenteurs de générateurs de rayonnements ionisants en activité canine ne sont plus soumis à une autorisation, mais à une simple déclaration. Seules les autres utilisations (activité équine, scanner) restent tenues à une autorisation. Un assouplissement a été obtenu parallèlement à la réduction des temps de formation de la personne compétente en radioprotection (PCR) vétérinaire, ramenés à deux fois deux jours. Toutefois, « avec l’évolution technologique incitant à l’acquisition de matériels de plus en plus sophistiqués (scanner, IRM, etc.), les techniques sont plus larges, plus dangereuses et la sécurité impose davantage de contraintes. C’est un problème supplémentaire », constate Ghislaine Jançon.
En France, parmi les 5 793 structures vétérinaires (comptant 16 000 praticiens et 14 000 non-vétérinaires), 90 % détiendraient un appareil de radiodiag-nostic. Depuis l’allégement du régime législatif mis en place il y a trois ans, le nombre de déclarations vétérinaires a presque doublé d’une année sur l’autre. Elles passent de 798 en 2010 à 1653 en 2011 et à 2 370 l’an dernier, tandis que 350 autorisations sont délivrées chaque année par l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN).
Pour l’autorité administrative, si la situation s’améliore dans le nucléaire de proximité (santé, recherche, industrie), elle reste insuffisante, notamment en ce qui concerne les démarches administratives où des marges de progrès existent. « La profession s’organise, on ne peut pas dire que rien n’est fait », constate Jérôme Fradin, chargé d’affaires et inspecteur de la radioprotection au sein de l’ASN. « Mais les situations administratives restent globalement insatisfaisantes », poursuit Pierre Siefridt, chef de la division de Nantes en charge des contrôles en Bretagne et en Pays-de-la-Loire. Comme dans la plupart des divisions françaises, 110 à 150 inspections sont menées chaque année dans ces deux régions, dont une poignée chez les vétérinaires. « Nous adressons systématiquement des lettres de suivi après chaque déplacement. Il faut parfois relancer trois à quatre fois avant d’obtenir une réaction », déplore-t-il. Les principales remarques faites à l’issue des inspections sont le manque de contrôles techniques en interne, la mauvaise organisation de la radioprotection, l’absence de délimitation des zonages, l’insuffisance de protections individuelles et de dosimètres opérationnels permettant de mesurer le rayonnement en temps réel.
Consciente de la densité de la réglementation et des enjeux de la radioprotection et faute aussi de moyens, l’ASN a décidé de concentrer ses efforts sur la filière équine entre 2012 et 2014, « où se trouvent les appareils de radiographie les plus à risque, car ils sont souvent utilisés en extérieur et mettent à contribution du personnel externe », indique Pierre Siefridt. En 2012, une étude menée par l’ASN auprès de 47 établissements utilisant des appareillages équins mobiles (soit 15 à 30 % des structures spécialisées dans cette branche), montre que seuls 19 % étaient parfaitement en règle ! Si un peu plus d’un tiers (36 %) étaient en cours de régularisation, 45 % n’avaient entamé aucune démarche. « Jusqu’ici, nous n’avons jamais prononcé de sanctions. Mais nous sommes à l’aube d’ouvrir une procédure pénale », lâche Pierre Siefridt, las de ne pas être suffisamment entendu. « Aujourd’hui, ce sont les retardataires qui posent problème, car ils pénalisent la profession dans son ensemble », regrette Jean-Yves Gauchot, président de l’Avef.
Face à des démarches administratives nécessairement plus longues et plus contraignantes en équine qu’en canine, l’Avef redouble d’efforts depuis six ans pour sensibiliser ses adhérents : constitution d’une commission “imagerie et radioprotection”, participation à des groupes de travail, élaboration d’un guide de bonnes pratiques, fourniture de documentations techniques, intervention auprès des instances représentatives, appel à des experts, mise en œuvre d’une formation équine spécifique de PCR, etc. Bref, un ensemble d’informations pour se mettre en conformité et aborder le plus sereinement possible les inspections. « Les dialogues avec les autorités compétentes sont constructifs et ont permis certains aménagements dans le cadre de la directive européenne Euratom », ajoute Jean-Yves Gauchot. L’objectif de ce traité, né en même temps que la Communauté économique européenne (CEE) et initialement prévu pour promouvoir l’énergie nucléaire en Europe, se concentre aujourd’hui sur la recherche et la sécurité. Une nouvelle directive Euratom, relative aux normes de base en radioprotection, est prévue pour 2014. Elle devra être transposée dans les deux prochaines années.
Très tôt, le SNVEL a pris en compte le besoin d’accompagnement des professionnels. Avec la création de la structure Formavéto et le concours d’experts certifiés, le syndicat a permis la mise en œuvre de formations dédiées aux professionnels sur des périodes relativement courtes, afin de mieux appréhender les risques. « On ne sera jamais totalement dans les clous, mais ceux qui suivent ces sessions sont beaucoup mieux préparés pour répondre aux sollicitations des inspecteurs et les convaincre de leur bonne foi », indique Catherine Roy, formatrice certifiée par le Comité français de certification des entreprises pour la formation et le suivi du personnel travaillant sous rayonnements ionisants (Cefri).
Dans le sillage du ministère de la Santé qui, en 1997, a élaboré un guide de tri des déchets médicaux, le CSO a proposé, au début des années 2000, un guide spécifique aux activités vétérinaires pour l’élimination des déchets de soins. Réactualisé en juin dernier par Ghislaine Jançon, ce nouvel ouvrage de référence devrait être prochainement mis en ligne sur le site ordinal.
Il y a dix ans, la SNGTV choisissait de publier un guide des bonnes pratiques du médicament vétérinaire. Diffusé à 400 exemplaires, il a été réédité en 2005 et en 2008. La nouvelle édition, prévue pour la fin de l’année, sera enrichie d’un chapitre sur les antibiotiques et les risques liés à l’antibiorésistance. « Nous sommes allées au-delà des exigences réglementaires, mais ce n’est pas un document opposable », prévient Jacqueline Bastien. L’auteure souligne que cet ouvrage est né d’un besoin de sécurisation identifié dans l’ensemble de la profession, en rurale comme en canine. De l’amont vers l’aval, du fabricant à l’éleveur, de l’industrie au consommateur. « L’objectif est d’offrir une lecture opérationnelle et des solutions pratiques », précise-t-elle. L’outil propose une analyse des risques, liste les attentes en matière de sécurisation, fournit des fiches pratiques et un guide d’auto-évaluation, à l’instar d’une démarche de certification. Car, lors d’une visite des inspecteurs de la pharmacie, tout est passé au peigne fin : le double des ordonnances, l’inventaire annuel, la gestion des périmés, des stocks, des produits dangereux, la température des frigos, etc. De plus en plus, la traçabilité est au cœur des contrôles. D’où la nécessité de s’informatiser, de tenir ses logiciels à jour, de savoir s’en servir et de prendre le temps de les configurer pour éviter bien des écueils.
Menés par les divisions territorialisées des ministères de l’Agriculture (DGAL) et de la Santé (DGS), les contrôles de la délivrance au détail des médicaments vétérinaires se font, selon la DGAL, de façon aléatoire ou ciblée, au vu des constats dans les élevages, dans les groupements agréés ou chez les fabricants et distributeurs d’aliments médicamenteux. En 2012, la DGAL a mené 133 inspections. « L’objectif est de contrôler 3 % de l’ensemble des cabinets vétérinaires d’un département, quelle que soit l’activité, en respectant un minimum d’un contrôle par département. » Seules les pratiques commerciales sont exclues de son champ d’investigation. Pour elle, le principal point de non conformité, tant chez les vétérinaires que dans les élevages, réside « dans l’application du nouveau dispositif de prescription et de délivrance hors examen clinique qui existe depuis plus de cinq ans ». Le besoin de communication et de formation y serait toujours nécessaire. « Lors de la délivrance, l’identification des animaux est trop souvent imprécise. Avec en corollaire un renouvellement facile et une impossibilité de s’assurer de l’adéquation entre la quantité prescrite et celle délivrée », constate la DGAL.
Tenu en toutes circonstances responsable par le Code du travail, chaque employeur peut, selon les missions, désigner une PCR en interne ou en externe pour mieux appréhender les risques. Mais, à ce jour, la formation allégée mise en place par Formavéto n’est accessible qu’aux vétérinaires. « On commence à former des ASV pour gérer les aspects administratifs de la radioprotection, note cependant Catherine Roy. Bientôt, la législation devrait le permettre. Le vétérinaire pourra ainsi s’affranchir des tâches administratives chronophages et se concentrer sur le métier pour lequel il a été formé. » Car, avec l’élargissement des contrôles, le besoin de sécurisation et l’évolution des mentalités, la crainte des inspections a aussi ouvert un juteux marché où s’engouffrent de nombreuses entreprises de PCR externe, où les aides seraient plus ou moins pertinentes et onéreuses, se retranchant, au final, derrière la responsabilité de l’employeur. Un autre risque…
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