SPÉCIAL AFVAC
Dossier
Auteur(s) : Marine Neveux
Le forum panprofessionnel sur le médicament vétérinaire est un rendez-vous incontournable du congrès de l’Afvac, ouvert à tous les confrères. Organisations professionnelles, administration, chercheurs, industrie, agence du médicament, etc., les conférenciers viennent d’horizons variés, ce qui permet de confronter les approches. Cette année, la thématique développée visait les antibiotiques critiques, l’antibiorésistance et le plan ÉcoAntibio 2017.
Dès les premières interventions du forum de l’Afvac, le décor est planté : « Les bactéries sont naturellement résistantes. La résistance n’est pas créée, elle est liée à des gènes présents dans l’environnement », affirme Jean-Yves Madec (Anses de Lyon). Par exemple, Enterococcus faecalis est naturellement résistant aux céphalosporines de 3e génération (C3G). De même, « pour inhiber le staphylocoque doré avec l’acide nalidixique, il en faut une quantité élevée, donc il est dit que ce staphylocoque est naturellement résistant aux fluoroquinolones. On peut prendre n’importe quelle bactérie et trouver une résistance naturelle », développe notre confrère. S’il existe donc des résistances naturelles, d’autres sont acquises, comme « la résistance d’E. coli à la céfovécine. Un E. coli de base est sensible aux C3G, donc il peut acquérir des mécanismes de résistance qu’il ne possédait pas au départ ». La résistance acquise passe surtout par les plasmides, qui diffusent rapidement d’une bactérie à l’autre. « Nous essayons de déterminer quels sont les plus importants », précise Jean-Yves Madec.
« Lors d’infection nosocomiale vétérinaire, il convient de déterminer si cela correspond à un même clone résistant qui dissémine », souligne Jean-Yves Madec. S’il existe des Staphylococcus aureus résistants à la méticilline (Sarm) chez le chien, « ce sont toutes des colonies humaines », constate-t-il. La problématique de l’antibiorésistance ne peut donc se limiter à l’animal, « l’homme est le dénominateur commun dans ces exemples de Sarm, c’est le contact qui intervient et qui transmet au chien ».
Des études se sont aussi intéressées aux infections nosocomiales à Klebsiella pneumoniae. « L’observation des bactéries productrices de ß-lactamases à spectre élargi (BLSE) chez le chien montre que la moitié d’entre elles possèdent des plasmides humains. L’examen des bactéries elles-mêmes révèle qu’elles ne proviennent pas de l’homme. C’est donc la proximité entre l’homme et l’animal qui intervient dans ces échanges. Un autre exemple témoigne de cette notion : cette proximité de plasmides n’est pas notée chez les bovins. Donc la relation homme-animal est un enjeu chez le chien. » Les plasmides s’échangent et il est difficile de les tracer : « Nous avons tous une responsabilité, d’où l’intérêt du concept “une seule santé”. »
« Staphylococcus pseudintermedius, entérobactéries, Pseudomonas aeruginosa : les bactéries multirésistantes sont une réalité en pratique canine, énumère Jean-Yves Madec. Nous sommes déjà confrontés à des situations d’impasse thérapeutique. L’infection nosocomiale existe, c’est un réservoir majeur, d’amplification et de dissémination, qu’il convient de combattre. »
« Pour envisager des options de gestion efficaces, il faut absolument hiérarchiser le risque », poursuit notre confrère. Concernant les antibiotiques critiques, « la notion de criticité renvoie globalement à la difficulté, voire à l’impossibilité, de disposer d’une solution alternative. La liste de ces molécules doit être courte pour être crédible ». En pratique médicale humaine courante, il s’agit des ß-lactames de dernière génération (C3G et C4G), des carbapénèmes et des fluoroquinolones. « L’enjeu pour l’avenir serait l’évolution harmonieuse et concertée de la criticité entre les médecines vétérinaire et humaine. » Et Jean-François Rousselot (Afvac) d’ajouter : « Certains médecins ont confondu antibiotiques critiques et antibiotiques de la réserve hospitalière, ce qui est très différent. »
En outre, l’innovation en antibiothérapie est de plus en plus réduite. « Nous travaillons actuellement avec les stocks existants. » L’exemple de Salmonella montre que l’agent pathogène est à la jonction des deux santés, animale et humaine. Les C3G et les fluoroquinolones sont le traitement de choix chez l’homme. Un clone multirésistant, Salmonella Kentucky ST 198, est observé un peu partout en Europe et témoigne d’une augmentation des souches résistantes à la ciprofloxacine. « L’acquisition de la résistance aux fluoroquinolones est graduelle. Le clone a disséminé chez l’homme en Europe. »
Le staphylocoque doré résistant à la méticilline est le plus connu. La prévalence humaine à l’hôpital en Europe est variable. « Il existe des clones en milieu hospitalier, sélectionnés par l’usage intense à l’hôpital, mais les mesures d’hygiène permettent de diminuer ce phénomène. Cependant, la prévalence est tout de même élevée, notamment dans les pays du Sud. Cette bactérie se déplace sur un mode clonal. » De même, les entérobactéries résistantes aux C3G augmentent partout en Europe. « Les E. coli ne sont pas présents que dans les hôpitaux, mais aussi en ville. » Pour Klebsiella pneumoniae, sa résistance aux fluoroquinolones augmente de façon importante chez l’homme. Celle aux carbapénèmes « s’est propagée de façon importante. Aux États-Unis, le gène KPC est celui de la résistance aux carbapénèmes, mais aussi aux bactéries totorésistantes ». Israël héberge le même clone qu’aux États-Unis. Ainsi, le sujet est international chez l’homme, « mais c’est aussi vrai chez l’animal. Le staphylocoque doré voyage avec le porc », constate Jean-Yves Madec.
« La lutte contre l’antibiorésistance ne se limite pas aux antibiotiques critiques. Cela nécessite un ensemble cohérent de mesures », martèle Gérard Moulin (ANMV). Il existe en médecine humaine plusieurs listes évolutives, construites avec des critères différents. Quels sont, en effet, ces antibiotiques d’importance critique ? « L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a établi plusieurs listes en 2005, révisées tous les deux ans : celle des antibiotiques critiques, des hautement importants, des importants, mais aussi des antibiotiques critiques prioritaires. La volonté de l’OMS est de tendre vers une certaine stabilité. » Du côté de l’Organisation mondiale de la santé animale (OIE), les listes établies en 2006 sont révisées selon les besoins. Une révision a ainsi eu lieu en mai 2013, avec l’ajout de recommandations sur l’utilisation des C3G/C4G et des fluoroquinolones. « Un rapprochement des deux listes de l’OMS et de l’OIE est réalisé, poursuit Gérard Moulin. Le principe de base est de reconnaître que certains antibiotiques sont à la fois importants pour la médecine humaine et vétérinaire. » Il existe aussi des recommandations qui attirent la vigilance sur l’autorisation et l’utilisation en médecine vétérinaire de molécules aujourd’hui seulement employées en médecine humaine.
La Commission européenne a posé quatre questions à l’Agence européenne du médicament (EMA). L’Antimicrobial Expert Group (Ameg) a été créé pour travailler sur ces problématiques, notamment sur une demande de catégorisation des antibiotiques selon leur importance pour la santé humaine (l’échéance est fixée à juin 2014). L’EMA doit prendre en compte le travail de l’OMS et reconsidérer l’intérêt des antibiotiques en médecine humaine. « Néanmoins, le critère pour la santé humaine ne doit pas être le seul pris en compte », estime Gérard Moulin. En février prochain, le document sera soumis à la consultation publique jusqu’en avril. « En France, il n’existe pas aujourd’hui de liste officielle des antibiotiques critiques vétérinaires », précise Gérard Moulin. Le plan ÉcoAntibio prévoit néanmoins, dans sa mesure n° 25, de lister ceux « dont il faut prioritairement préserver l’efficacité pour l’homme ».
Dans les différents pays européens, plusieurs familles sont citées (fluoroquinolones, CG3/CG4, aminoglycosides, colistine) et des mesures ont été prises (voir notre hors série). Par exemple, aux Pays-Bas, un projet d’interdiction de l’utilisation des C3G/C4G et des fluoroquinolones est étudié pour le traitement de groupes d’animaux et, à long terme, pour la colistine et les aminoglycosides. Il existe aussi un projet d’interdiction des C3G/C4G chez les vaches hors lactation.
Toujours en Europe, la Finlande interdit l’usage “hors AMM” des C3G/C4G. Certains États ont mis en place un contrôle des prescriptions, ainsi que des restrictions volontaires comme en France depuis 2010, pour l’usage des C3G/C4G en filière porcine. Le Danemark a fait de même en 2010.
En outre, des recommandations d’utilisation sont établies par de nombreux pays. En France, la mesure n° 6 du plan ÉcoAntibio prône le développement de guides de bonnes pratiques. « En Europe, il existe une approche plus ou moins contraignante selon les pays. Vers l’été 2014, la catégorisation des antibiotiques critiques devrait être effective. » Dans l’Hexagone, cela s’effectuera via la loi d’avenir pour l’agriculture et, courant 2014, par décret et arrêté sur les antibiotiques critiques.
Les différents groupes de travail de l’Afvac mènent une réflexion, depuis plusieurs années, sur l’usage raisonné des molécules critiques. Cette démarche responsable de la profession a permis d’établir des recommandations selon les différentes situations et maladies rencontrées. Au congrès de Nantes, la question s’est de nouveau posée lors du forum panprofessionnel, tant en médecine interne qu’en dermatologie. « Peut-on soigner efficacement sans antibiotiques critiques ?, a interrogé Marie-Christine Cadiergues (vice-présidente de l’Afvac et spécialiste en dermatologie). Oui, dans de nombreux cas, mais s’il y a de vraies indications. Par exemple, il convient d’éviter d’utiliser ces molécules pour de simples abcès chez le chat. » L’animal de compagnie vit au centre de la famille, il est proche de ses propriétaires, ce qui majore le risque de contamination. « Au quotidien, il faut être à même de mieux sérier nos prescriptions et l’utilisation des antibiotiques selon les bonnes recommandations cliniques et bactériologiques, précise notre consœur. Il convient de trouver des solutions alternatives et d’identifier les pratiques à risque afin de les limiter. » L’Afvac s’est engagée dans la rédaction de la synthèse du référentiel (voir encadré) pour chaque espèce et chaque discipline, car les indications ne sont pas les mêmes en chirurgie, en pathologie rénale, etc.
Autre vœux, « celui de réviser certains résumés des caractéristiques des produits (RCP), et surtout, pour les nouveaux antibiotiques, celui de prévoir la notion de service médical rendu ».
Plusieurs questions méritent d’être soulevées en dermatologie lorsque le praticien aborde un cas. Savoir si la dermatose est bien infectieuse est la première à se poser, afin d’établir un diagnostic précis de la pyodermite. Pour le diagnostic bactériologique, la nature du prélèvement est également importante : il convient de prélever des lésions fermées, voire en profondeur, en effectuant des biopsies.
La seconde question à se poser concerne la faisabilité d’un traitement substitutif. « La dermatologie a la chance de disposer de topiques antibactériens (antiseptiques, antibiotiques, miel, etc.) », développe Marie-Christine Cadiergues. Le miel a des effets intéressants : débridement, résorption de l’œdème périlésionnel, réduction de la douleur et de l’exsudation, accélération de la phase inflammatoire ou de la phase de réparation, élimination des mauvaises odeurs. Son effet inhibiteur est effectif sur 60 espèces de bactéries, aérobies et anaérobies, gram positif ou négatif.
Le traitement local associé est tout aussi important : tonte lésionnelle, shampooings, antiseptiques (peroxyde de benzoyle qui aide à tuer les germes en profondeur, chlorhexidine), etc. « Il est utile d’éduquer le propriétaire pour ces soins locaux. »
De même, lors de plaies nécrotiques, « la première étape consiste à parer, nettoyer, enlever tous les débris, avant de poser un pansement. Il en existe différents types qui permettent de disposer d’un traitement efficace ». Ainsi, il convient de bien diagnostiquer une pyodermite, de rechercher une cause sous-jacente, de réaliser systématiquement des calques cutanés et un antibiogramme, de connaître les autres options thérapeutiques, de promouvoir l’éducation thérapeutique.
Christine Médaille a conclu sur l’intérêt et les limites de l’antibiogramme, qui fait partie de l’examen bactériologique : « C’est avant tout l’objet d’un dialogue entre le praticien et le biologiste. L’antibiogramme est indispensable lors d’infection profonde ou systémique, en cas de récidive ou de mode chronique, chez un animal immunodéprimé ou débilité, face à une infection nosocomiale, lorsque le prélèvement est invasif et non renouvelable. »
→ Catégorie 1 : antibiothérapie cutanée de choix, avec deux subdivisions :
– catégorie 1a : antibiotiques qui ont gardé leur activité sur Staphylococcus pseudintermedius et largement fait leurs preuves en dermatologie (à plus de 90 %) ;
– catégorie 1b : antibiotiques ayant globalement une activité sur 70 à 90 % des Staphylococcus pseudintermedius.
→ Catégorie 2 : antibiothérapie cutanée d’usage restreint, avec deux subdivisions :
– catégorie 2a : antibiotiques utilisables dans des indications bien précises et toujours avec un antibiogramme. Par exemple, les fluoroquinolones utilisées lors de pyodermite superficielle ou profonde ne répondant pas au premier traitement adapté et bien conduit (avec antibiogramme). Il convient de toujours revoir le diagnostic étiologique. Autre cas de figure : les pyodermites profondes avec un risque septicémique, car les fluoroquinolones ont une activité en présence de pus et de débris cellulaires, de même qu’un effet intracellulaire et macrophagique, et sont donc pertinentes ;
– catégorie 2b : regroupe les cevofécines dans les cas rares où l’observance est difficile.
→ Catégorie 3 : antibiotiques déconseillés en raison de fréquentes résistances, de mauvaise diffusion cutanée, de toxicité potentielle.
→ Catégorie 4 : antibiotiques à ne jamais utiliser, en raison des risques de développement de résistances en médecine humaine, tels que C3G avec AMM dans d’autres espèces, antibiotiques à usage humain et hospitalier (imipénem, vancomycine, etc.).
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