Dossier
Auteur(s) : Stéphanie Padiolleau
Aujourd’hui, la moitié des pays européens sont indemnes de tuberculose bovine. La contamination de la faune sauvage et ses conséquences sur les élevages constituent toutefois une préoccupation grandissante.
En Europe, les programmes de contrôle ou d’éradication sont en place depuis plus de 50 ans dans certains États. Le statut « officiellement indemne de tuberculose » (OTF), que tous cherchent à obtenir, est attribué à un pays lorsque la prévalence annuelle dans les cheptels est strictement inférieure à 0,1 %, avec un taux de troupeaux officiellement indemnes supérieur à 99,9 %. En outre, il demeure toujours conditionné au respect de la réglementation européenne. Les avantages conférés par ce statut sont nombreux : les contrôles exigés pour les mouvements de bovins intracommunautaires sont allégés, ainsi que la prophylaxie qui peut même être suspendue, et il est souvent exigé dans les transactions commerciales, notamment en matière d’export. Car outre le risque pour la santé publique, moindre pour les agents de la tuberculose bovine par rapport à ceux de la tuberculose humaine, ce sont surtout les éleveurs qui payent un lourd tribut à la maladie animale (voir encadré ci-dessous). Didier Delmotte, président de la Fédération européenne pour la santé animale et la sécurité sanitaire (Fesass), parle1 de « triple punition » lors de suspicion de tuberculose : des pertes sont liées à la restriction de mouvements et à une diminution des revenus, et il y a des pertes d’image et de confiance de la part des partenaires commerciaux, ainsi que la peur d’une confirmation de la maladie qui noircit l’avenir de l’exploitation. Les procédures, réglementaires, sont généralement longues.
L’arrivée de nouveaux moyens diagnostiques (dosage de l’interféron gamma, spoligotypage) a permis de réduire le nombre de troupeaux abattus en totalité, et d’améliorer les connaissances épidémiologiques sur la maladie. Cependant, leur utilisation n’est pas tout à fait conforme à la réglementation communautaire en raison d’un manque d’homogénéité des techniques dans l’ensemble de l’Europe2. Pourtant, couplé à des abattages sélectifs ou diagnostiques, le dosage de l’interféron gamma permet de réduire la destruction totale des cheptels suspects, qui était la pierre angulaire des programmes d’éradication de la tuberculose. Et il est désormais couramment utilisé afin d’améliorer la sensibilité de l’intradermotuberculination, le seul test de référence validé en Europe, mais dont les résultats sont moins fiables en situation de faible prévalence. L’épidémiologie de la tuberculose est complexe, avec des facteurs de risque à plusieurs niveaux :
> individuel : race, âge, sexe, génétique, statut immunitaire et alimentaire ;
> troupeau : taille et conduite, type d’élevage, historique par rapport à la maladie, stratégie de dépistage, contacts (humains, espèces domestiques, faune sauvage, autres troupeaux), achats et mouvements, environnement ;
> national ou international : prévalence de l’affection dans la région, le pays et dans le reste du monde, globalisation des échanges, importations, réglementations internationales.
L’interdiction de mouvements imposée aux élevages suspects et les mesures de biosécurité constituent un bon moyen de limiter les risques de propagation de la tuberculose. Cependant, cela ne suffit pas toujours. Après des années de réduction du nombre de foyers dans l’ensemble de l’Europe, la contamination de la faune sauvage, qui était peu fréquente et essentiellement un dommage collatéral de la tuberculose bovine, constitue dans certains pays des zones réservoirs de la maladie qui peuvent être localement importantes, jusqu’à générer, comme c’est le cas en Irlande et surtout au Royaume-Uni, un vrai casse-tête sanitaire et sociétal. Le contrôle des populations sauvages reconnues comme réservoirs (cerfs, sangliers ou blaireaux selon le cas) peut alors devenir nécessaire, et plusieurs pays (France3, Espagne, Portugal, entre autres) organisent une surveillance de ces espèces. Une autre voie, explorée par quelques États afin d’améliorer le dépistage et la surveillance, est la formation des éleveurs et des vétérinaires. Il s’agit soit de sensibilisation via des réunions d’information, soit de formations présentielles théoriques et pratiques (avec réalisation d’intradermotuberculinations), généralement obligatoire, pour les vétérinaires. L’Espagne et le Royaume-Uni ont également prévu des contrôles de la façon dont les vétérinaires s’acquittent de leur tâche. Mais pour le moment, lorsque soit la technique est mauvaise, soit la partie administrative est mal gérée, seul le Royaume-Uni y associe des mesures punitives qui peuvent aller jusqu’au retrait de l’agrément sanitaire de la structure où travaille le praticien fautif. Le développement de vaccins, pour la faune sauvage (blaireaux) ou pour les ruminants domestiques, est surtout à l’étude au Royaume-Uni et en Irlande qui partagent le blaireau comme réservoir de la maladie. Cependant, la réglementation en Europe n’est pas adaptée à l’utilisation de vaccins sur son sol4 et, d’un point de vue plus général, c’est toute la législation internationale qui prohibe le recours à la vaccination pour le bétail.
Globalement, le bilan communautaire est encourageant : en 2013, 15 membres de l’Union européenne, soit les deux tiers du cheptel (voir carte 1), ont bénéficié du statut OTF en regard des exigences réglementaires, ainsi que la Norvège et la Suisse.
Certains pays gagnent leur statut OTF région par région, comme l’Italie et le Portugal. Toutefois, la situation épidémiologique varie selon les États, qu’ils soient indemnes ou non. Réglementairement, le statut dépend de la prévalence de troupeau et du taux d’élevages indemnes. La Grèce, avec 166 troupeaux atteints sur un total de 31 858 en 2012, n’est pas indemne en raison d’une prévalence de 0,25, alors que la France garde son statut malgré 169 exploitations atteintes cette même année, mais sur un total de 224 514 et avec une prévalence de 0,08 (voir carte 2 et tableau 2).
Sept pays membres possèdent des programmes nationaux qui ne sont pas subventionnés par l’Europe, soit parce que cela n’est plus nécessaire au regard d’une situation épidémiologique favorable (voir tableau 1), soit parce qu’ils n’ont pas présenté de programme en vue d’une participation financière aux instances européennes, soit parce que les programmes n’ont pas satisfait aux exigences de la Commission pour justifier l’octroi de cette aide, comme cela a été le cas en Grèce en 2004.
Cette année, de même qu’en 2013, six pays bénéficient d’un cofinancement européen pour leur programme d’éradication : l’Irlande, l’Espagne, la Croatie, l’Italie, le Portugal et le Royaume-Uni (voir graphique 1). Ce financement couvre la moitié des coûts des programmes d’éradication de la tuberculose bovine approuvés, à raison de 0,50 € par animal testé, 1,50 € par intradermotuberculination, 5 € par test à l’interféron gamma, 10 € pour les cultures bactériologiques et jusqu’à 375 € par animal abattu (en Irlande, seuls le dépistage par le test à l’interféron gamma et le remboursement des animaux abattus sont inclus dans l’aide européenne). Progressivement, l’Italie, et l’Espagne où la faune sauvage est sous surveillance car sa contamination est avérée, améliorent leurs résultats.
Alors qu’en 2008 la situation épidémiologique était favorable, le Portugal a vu remonter considérablement l’incidence de la maladie. Les points critiques identifiés (voir graphique 2) sont l’augmentation des populations de cerfs et de sangliers, les fréquents contacts avec la faune sauvage, les grands troupeaux extensifs des régions du centre et du sud du pays : entre 2000 et 2010, la taille moyenne des élevages a doublé, passant de 14,8 à 30 vaches par exploitation, et le nombre total de troupeaux a chuté de 77 577 à 34 401 (soit plus de 55 % de réduction) avec une baisse du nombre de têtes inférieure à 10 %.
Une amélioration de la formation des vétérinaires chargés des contrôles a été instaurée, avec 401 praticiens formés sur l’année 2010 sur les 485 recensés (soit plus de 83 %). Les résultats des tests sur le gibier (effectués d’août 2011 à mars 2012) montrent que 3,8 % des cerfs chassés présentent des lésions typiques de tuberculose et, parmi les animaux qui ont des lésions, typiques ou autres, 78 % sont infectés. Pour les sangliers, 5,5 % des animaux chassés montrent des lésions typiques et 59 % sont infectés, une proportion qui ne change pas pour la saison suivante (jusqu’en mars 2013), alors que, chez les cerfs, 86 % de ceux avec des lésions sont infectés.
La tuberculose à M. caprae, présente en Europe de l’Est, est soumise à la même réglementation que celle à M. bovis, et également zoonotique.
En Croatie (voir carte 3 en page 30), la fréquence des deux souches est comparable et, en 2006, M. caprae a été à l’origine de deux cas de contamination humaine. En Autriche, qui bénéficie du statut OTF depuis 1999, cette souche a été identifiée chez une vache pour la première fois en 2008, dans le Tyrol, durant les contrôles de routine à l’abattoir. À la suite de ce foyer, l’augmentation de la surveillance a eu pour conséquence la détection d’autres animaux positifs. La souche mise en cause, de M. caprae, est la même que celle retrouvée chez les populations de cerfs dans les régions de Lechtal, du Tyrol et de l’Allgäu en Allemagne, ainsi que chez des bovins domestiques. Les enquêtes épidémiologiques montrent que les bovins contaminés ont soit séjourné dans ces régions (estive, contamination par contact avec les cerfs), soit sont entrés en contact avec des animaux issus d’exploitations infectées.
En 2012, le ministère autrichien de la Santé a imposé un contrôle de l’ensemble de la population bovine du Tyrol . 6501 animaux ont été testés, et trois exploitations détectées infectées à M. caprae, alors que M. bovis n’y a pas été mis en évidence. Depuis le printemps dernier, c’est désormais la Suisse qui s’interroge, après la confirmation de dix foyers de tuberculose en 2013 sur son sol impliquant également M. caprae : la pratique de l’estive y est répandue, et les populations de cerfs du Tyrol autrichien peuvent entrer en contact avec les bovins suisses en estive.
Le Royaume-Uni est actuellement le pays d’Europe où la situation est la plus préoccupante, et qui bénéficie de l’aide financière la plus élevée (notons que l’écosse a obtenu son statut OTF en 2009). La maladie y était presque éradiquée (voir graphique 3 en page 28) quand, assez brutalement, les foyers se sont multipliés dans le sud et l’est de l’Angleterre et du pays de Galles. Malgré l’augmentation des mesures de contrôle (dépistage, mise sous surveillance, contraintes pour les mouvements d’animaux, abattages des troupeaux atteints), la situation peine à s’améliorer. Le blaireau est identifié comme le réservoir sauvage qui contribue le plus à cet état des choses. Animal emblématique, sa densité de population est d’autant plus importante qu’il est protégé, donc non chassé. C’est aussi un animal sauvage qui apprécie la proximité des troupeaux bovins, et qui n’hésite pas à entrer dans les bâtiments d’élevage pour se nourrir. Alors que la république d’Irlande a imposé un strict contrôle de la population de blaireaux, initialement moins dense que chez ses voisins, et voit sa prévalence s’infléchir vers le bas, le Royaume-Uni envisage toutes les solutions possibles pour atteindre son objectif d’éradication de la maladie d’ici à 2015. Une tentative de réduction des populations de blaireaux dans deux comtés s’est soldée par un échec logistique (les quotas d’animaux à abattre fixés sont apparus impossibles à atteindre) et médiatique retentissant, alors même qu’un abattage massif était évalué comme contre-productif par les études scientifiques. Outre-Manche, la vaccination de la faune sauvage est déjà sur les rails, en attente de résultats, et celle des ruminants est envisagée.
1 Symposium sur la tuberculose bovine organisé par la Fesass le 25/9/2013 à Bruxelles.
2 Efsa : « Scientific opinion on the use of a gamma interferon test for the diagnosis of bovine tuberculosis », décembre 2012.
3 Voir le dossier dans La Semaine Vétérinaire n° 1537 du 26/4/2013.
4 Efsa : « Scientific opinion on field trials for bovine tuberculosis vaccination », décembre 2013.
Au Royaume-Uni
> 5,5 millions : nombre total de tests tuberculeux effectués en 2011.
> 28 000 : nombre approximatif de bovins abattus pour le contrôle de la tuberculose en 2012.
> 3 900 : nombre (arrondi) de nouveaux foyers incidents en 2012.
> 11,5 % d’élevages de bétail placés sous restriction de mouvements en 2011 (23,6 % des exploitations bovines dans le sud-ouest du pays).
> 500 millions de livres sterling : coût pour le contribuable britannique durant 10 ans.
> 1 milliard de livres : coût estimé pour la décennie future en l’absence d’action supplémentaire.
> 3 400 £ : coût moyen d’un foyer de tuberculose dans une ferme, dont environ 1 200 £ à la charge de l’éleveur.
En France : Bourgogne1
> 175 élevages positifs depuis 2002 (sur environ 1600).
> 12 millions d’euros de coût annuel en Côte-d’Or, soit 10 millions à la charge de l’État : 5 % de frais vétérinaires, 7 % pour le dépistage, 13 % pour les analyses de laboratoire et 72 % afin de compenser les pertes des éleveurs (1,5 pour les éleveurs et 0,5 du Groupement de défense sanitaire).
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