Dossier
Auteur(s) : Marine Neveux
Toutes les filières animales (rurale, hors sol, mais aussi équine et canine) mènent une réflexion relative à l’antibiorésistance. La démarche de la profession est raisonnée pour l’ensemble des espèces. Tour d’horizon sur les initiatives et focus sur les équidés, à la suite de la journée européenne de l’Association vétérinaire équine française (Avef)1 à Roissy-en-France (Val-d’Oise), le 21 février dernier.
En filière équine, l’antibiorésistance est-elle un mythe ou une réalité ? Albertine Léon, du laboratoire Labéo Frank Duncombe (Calvados), a tenté de répondre à cette question. Il existe une résistance naturelle et une autre acquise. Les antibiogrammes sont, bien entendu, des outils qui servent à évaluer la résistance des micro-organismes aux antibiotiques. « Les streptocoques du groupe C et Escherichia coli arrivent en tête (plus de 45 %) des germes pour lesquels un antibiogramme est demandé », détaille-t-elle. La biologie moléculaire et la technique de polymerase chain reaction (PCR) sont également intéressantes pour cibler les gènes résistants. « Entre 2006 et 2012, le nombre d’antibiogrammes effectués en filière équine a doublé. Ce phénomène est lié à la problématique de la métrite contagieuse, ainsi qu’à la prise de conscience des praticiens. » La fréquence des bactéries isolées des matrices représente 40 % des antibiogrammes réalisés pour le système respiratoire, 28,5 % pour l’appareil génital, 13,8 % pour le cutané et 1,8 % pour le tractus digestif.
La répartition des germes pathogènes selon les matrices étudiées met en évidence que les streptocoques du groupe C et E. coli sont les agents le plus souvent isolés des matrices respiratoire, digestive, cutanée et génitale (voir tableau).
> E. coli présente une grande résistance aux ß-lactamines, avec une augmentation des souches productrices de ß-lactamases à spectre étendu (BLSE) ou une céphalosporinase de haut niveau. Des résistances aux tétracyclines et aux sulfamides existent également. Les germes E. coli comprennent en outre un pourcentage important de bactéries multirésistantes (70 % pour le tube digestif, un taux qui semble élevé pour ces bactéries). La prochaine étape relative à E. coli consiste à étudier tous les micro-organismes résistants aux BLSE et céphalosporinases afin d’essayer de comprendre les mécanismes de résistance.
L’évolution de cette dernière est étudiée au regard de deux molécules, le ceftiofur et la gentamicine. Dans la matrice cutanée, la résistance est beaucoup plus marquée que dans les autres (respiratoire ou génitale).
> Concernant Pseudomonas aeruginosa, « le nombre de molécules susceptibles de traiter cette bactérie est restreint, souligne Albertine Léon. Le niveau de résistance aux ß-lactamines de 4e génération, aux aminosides et aux fluoroquinolones est déjà élevé, et celui à la marbofloxacine est important entre 2011 et 2012 ». Pseudomonas aeruginosa présente un niveau de résistance naturelle à certaines molécules. « En prenant en compte celle acquise, nous nous sommes aperçus qu’il n’y a peut-être que l’amikacine pour guérir les infections dues à cette bactérie. Nous serons donc probablement dans une impasse thérapeutique si d’autres solutions ne sont pas trouvées. »
> Contrairement à ce qui est observé chez l’homme, les niveaux de résistance à Klebsiella pneumoniae sont relativement faibles chez l’animal. Cependant, une tendance à la hausse est notée en 2011. Une surveillance dans les prochaines années est donc nécessaire.
> Pour le genre Enterobacter spp, certaines molécules présentent des niveaux de résistance importants aux ß-lactamines, aux tétracyclines, aux aminosides et aux quinolones. « Entre 2012 et aujourd’hui, plusieurs Enterobacter multirésistants ont été isolés, notamment à partir de surinfections de plaies », précise Albertine Léon.
En conclusion, concernant les bactéries Gram négatif, une augmentation du nombre de souches productrices de BLSE et de céphalosporinase pour E. coli, ainsi que le haut niveau de résistance à Pseudomonas aeruginosa sont à retenir. Pour Enterobacter cloacae, la présence de nombreuses souches de bactéries multirésistantes est à surveiller.
> Lors d’infection à Salmonella Thyphimurium, il existe un passage entre l’animal et l’homme. Des cas de multirésistance, qu’il convient de ne pas négliger, sont également constatés.
> Pour les streptocoques du groupe C, il y a quatre niveaux de résistance à la tétracycline, mais aucune résistance aux ß-lactamines n’est rapportée. « Lors d’infections à streptocoque, il est donc inutile d’utiliser les céphalosporines de 3e et 4e générations. La pénicilline suffit à les éradiquer. »
> En ce qui concerne les Staphylococcus aureus résistants à la méticilline (Sarm), leur évolution fait l’objet d’études depuis 2006 : moins de 1 % est noté avant 2010, 6 % en 2010 et 15,9 % en 2013 (versus 28 % en 2012). Est-ce déjà l’utilisation raisonnée de ces antibiotiques qui influe sur les résultats ? Il convient de vérifier si cette tendance se poursuit en 2014. « Un travail de typage moléculaire a débuté sur ces Sarm et une surveillance accrue est nécessaire », ajoute Albertine Léon.
Pour conclure avec les bactéries Gram positif, il importe de rappeler que les streptocoques du groupe C ne présentent pas de résistance aux ß-lactamines et que la surveillance des Sarm est à poursuivre. Concernant Rhodococcus equi, il n’existe pas de niveau de résistance important aux deux principales molécules, l’érythromycine et la rifampicine. Ces dernières sont à prescrire en combinaison pour traiter les infections dues à cette bactérie.
En termes de recherche, les perspectives visent une meilleure compréhension des mécanismes de résistance et à comparer ceux-ci à ce qui est observé chez l’homme, car les études sont beaucoup plus avancées en santé humaine. Au niveau des laboratoires, il importe de développer des outils de diagnostic rapide afin de répondre aux attentes des praticiens.
À plus long terme, il est nécessaire de « trouver des solutions alternatives à l’utilisation des antibiotiques, telles que les peptides antimicrobiens, les immunomodulateurs, etc. », poursuit Albertine Léon. La démarche d’élaboration, en partenariat avec l’Avef, du guide de bonnes pratiques des antibiotiques en filière équine est également une perspective pertinente. En outre, l’antibiorésistance chez le cheval représente un axe prioritaire (le quatrième) de la fondation Hippolia, ce qui témoigne d’une démarche collective.
Jean-Yves Madec, de l’Anses de Lyon, a développé la notion d’antibiotiques critiques. Plusieurs listes, qui ne sont pas identiques, existent. « Il y a beaucoup d’antibiotiques dans celles-ci, ce qui leur fait perdre une certaine crédibilité, estime-t-il. L’effort du prescripteur doit porter sur tous les antibiotiques. Il serait faux de dire que l’on va en retirer deux. Il n’y a pas d’antibiotiques vertueux, tous sélectionnent potentiellement la résistance ! »
En médecine humaine, les classifications font état d’antibiotiques critiques, très critiques, importants et hautement importants. « On tourne autour du pot et de cette notion de hiérarchisation des antibiotiques, ironise Jean-Yves Madec. L’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) a récemment évoqué des molécules sensibles (l’amoxicilline et le clavulanate). Ainsi émerge le sentiment que tout antibiotique pourrait devenir brutalement critique. En témoigne le cas de la colistine, qui est un peu sortie du débat sur le plan vétérinaire, mais qui apparaît dans la liste de l’ANSM sous forme injectable. » Aux antibiotiques critiques est associé le fait qu’il ne faut plus les utiliser, ce qui n’est pas le cas. « L’objectif n’est pas d’interdire ces molécules. Il y a une notion de hiérarchisation et un usage raisonné à mettre en place », selon Jean-Yves Madec, qui reconnaît que « cette question est sans fin : chaque fois qu’un antibiotique est utilisé, il y a un effet indésirable potentiel de sélectionner une résistance ».
Les listes sont dressées selon différents critères. Celle de l’Organisation mondiale de la santé animale (OIE) est établie à partir d’un questionnaire qui porte sur les antibiotiques importants en pratique. Par conséquent, les listes s’allongent. Le premier critère est une classe d’antibiotiques qui serait dite critique en médecine vétérinaire quand plus de la moitié des États sollicités ont classé comme telle cette famille dans le questionnaire. Le deuxième serait un antibiotique indispensable au traitement de certaines maladies animales, avec pas ou peu de solutions alternatives. « Il faut absolument hiérarchiser le risque, sinon il ne peut être géré de façon efficace, estime Jean-Yves Madec. La notion de criticité renvoie globalement à la difficulté (l’impossibilité) de disposer d’une autre possibilité thérapeutique. Pour être crédible, la liste doit être courte. »
En médecine vétérinaire, cette année verra la parution d’une liste officielle des antibiotiques critiques.
Comment sommes-nous arrivés à la situation actuelle ? « Parce qu’il y a de moins en moins d’antibiotiques, répond Jean-Yves Madec. C’est un modèle économique complexe à résoudre en termes d’équation. Il existe également des questions sociétales et politiques, mais le fait est que les antibiotiques constituent un bien précieux. » Il souligne en outre le caractère global de cette question, qui ne se limite pas aux frontières des pays. « Résapath est un réseau important sur le plan politique, mais aussi pour les praticiens, martèle-t-il. En deux ans, il y a eu une prise de conscience. Cela donne confiance aux prescripteurs et prouve qu’il y a des effets. » De plus, Jean-Yves Madec félicite la profession vétérinaire pour sa démarche responsable depuis plusieurs années. « Dans le cas du Sarm animal, il y a la notion de volume, mais aussi celle de la nature du clone. Lorsque des Sarm sont détectés en France, ce sont des clones humains, donc le débat est aussi à mener dans l’autre sens, de l’homme à l’animal. Ce problème est donc celui de tous. La situation épidémiologique est à considérer. » D’ailleurs, les Sarm à l’hôpital ne sont pas porcins. « Il y a donc un fantasme à ce sujet ! » La résistance aux céphalosporines de 3e génération (C3G) est susceptible de se retrouver chez toutes les espèces animales. Le colibacille constitue un point important, car cet agent infectieux fait partie de la flore commensale. « En traitant, il convient aussi de s’interroger sur l’effet que cela aura sur cette dernière : elle n’est pas pathogène, mais la résistance circule dans la flore commensale. C’est inapparent alors que le plasmide se répand. »
L’intervention de Pierre-Louis Toutain a apporté un éclairage particulièrement pertinent et a bousculé certaines idées reçues. Parmi les questions posées apparaît celle du choix des antibiotiques selon la sélectivité (étroitesse du spectre et distribution à la seule biophase). « Le risque de faire émerger des résistances est plus important avec des spectres larges. Il est aujourd’hui préférable de choisir un spectre étroit », conseille-t-il.
Autre exemple de question pratique pour le praticien : faut-il privilégier l’administration locale ou régionale d’antibiotique ? « Attention, lorsque la dose est excessive, cela ne fonctionne pas. Il faut donc prendre garde aux quantités trop importantes en administration locale », modère notre confrère. En outre, il juge qu’il convient d’agir rapidement, car la puissance des antibiotiques dépend de la taille des inoculums : « Plus l’intervention est tardive, plus les inoculums se développent. » La concentration minimale inhibitrice (CMI), selon qu’elle est mesurée sur un petit ou grand inoculum, peut s’échelonner de 1 à 100.
L’adage « frapper fort » se heurte à des écueils : ce n’est pas idéal pour les flores commensales. « L’objectif principal est de ne pas favoriser l’émergence de résistances. Aujourd’hui, les concentrations critiques à éviter se situent au-dessus de la CMI, mais en dessous de la concentration préventive de mutants. »
« La force de frappe représente un vrai dilemme, poursuit Pierre-Louis Toutain. Si l’action est précoce, il est possible d’utiliser des doses plus faibles », sans induire de résistances. « Frapper vite et juste est une vraie réflexion en médecine vétérinaire. Il n’y a aucune raison qu’il n’y ait qu’une seule posologie. »
L’administration d’antibiotiques critiques est-elle envisageable en seconde intention ? « C’est une série de décisions selon certains critères, mais où est la science derrière cette affaire-là ? », interroge Pierre-Louis Toutain, qui est volontairement critique à ce sujet. « Il faudrait réaliser une analyse de risques en quantifiant du “probable” et non en déclarant du “possible”. Les antibiotiques critiques sont employés en seconde intention lorsque l’inoculum est inéluctablement élevé. Par conséquent, chez le cheval, il serait plus judicieux d’utiliser des C3G en première plutôt qu’en deuxième intention, où les situations sont moins favorables. » De plus, certaines notions méritent de pousser la réflexion (le ceftiofur vit moins d’une demi-journée dans le lisier, etc.). La suppression des C3G est-elle vraiment pertinente ?
« En outre, aujourd’hui, toutes nos quinolones sont éliminées par la flore digestive. C’est là que réside le problème. En cherchant, il doit être possible de trouver des quinolones parfaitement respectueuses de la flore digestive. »
> Durée du traitement. « Réfléchissez bien à votre prescription dans le temps, recommande Pierre-Louis Toutain. Des essais cliniques sont nécessaires pour justifier la durée de certains traitements. »
> Association d’antibiotiques. « L’objectif est triple : élargir le spectre antibactérien, prévenir l’émergence de mutants résistants et réduire la toxicité. »
> Données pharmacocinétiques
– influence de l’âge : « Un poulain n’est pas un petit cheval, développe Pierre-Louis Toutain. Les Américains ont testé chez les animaux la biodisponibilité et le temps maximal où la concentration est la plus élevée. Une antibiothérapie par voie orale chez le poulain est envisageable le premier mois. Ensuite, cela pose problème. »
– la nourriture : elle exerce une grande influence, un phénomène lié à la cellulose présente dans la ration, qui fixe de nombreuses substances. « Un antibiotique per os est à administrer avant le repas, et non après. »
– le choix du site : il a son importance. Dans le cas de la pénicilline procaïne, « selon le muscle où l’injection est effectuée, les biodisponibilités peuvent être très différentes. L’encolure est à privilégier ».
> Inhalation et antibiotiques. Les inhalations d’antibiotiques soulèvent un problème de santé publique, car un nébuliseur expose potentiellement la personne qui l’applique au cheval. « Ce n’est pas une bonne idée d’aller dans cette direction. »
> Le cas des biofilms. « Pour toutes les infections chroniques, cette notion est vraiment à intégrer aujourd’hui : il faut éviter, donc prévenir les biofilms. »
Depuis plusieurs années, les différents groupes d’étude de l’Association des vétérinaires pour animaux de compagnie (Afvac) mènent une réflexion relative à l’usage raisonné des antibiotiques. Des recommandations sont formulées selon les différentes situations et les maladies rencontrées, aussi bien en médecine interne qu’en dermatologie, etc. L’Afvac est engagée dans la rédaction de la synthèse du référentiel pour chaque espèce et chaque discipline. Dans ce cadre, le forum panprofessionnel sur le médicament vétérinaire est un rendez-vous incontournable du congrès de l’association, ouvert à tous les confrères1.
1 Voir La Semaine Vétérinaire n° 1565-1566 des 20 et 27/12/2013 en pages 27 à 29.
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