Pourquoi nous aimons les belles histoires

Seattle, un grand chef indien des tribus Dumawish et Suquamish, est notamment connu pour son discours de 1854 lors des négociations avec le gouvernement des États-Unis, dans lequel il exprimait son refus de vendre les territoires indiens. « Le grand chef de Washington nous a fait part de son désir d’acheter notre terre… Mais peut-on acheter ou vendre le ciel, la chaleur de la terre ? Étrange idée pour nous ! Si nous ne sommes pas propriétaires de la fraîcheur de l’air, ni du miroitement de l’eau, comment pouvez-vous nous l’acheter ?… Nous le savons : la terre n’appartient pas à l’homme, c’est l’homme qui appartient à la terre. Nous le savons : toutes choses sont liées comme le sang qui unit une même famille. Tout ce qui arrive à la terre arrive aux fils de la terre… »

Ce magnifique discours est un faux. Les vraies paroles du chef Seattle n’ont que quelques phrases en commun avec la trop éloquente profession de foi qui s’est répandue depuis sur les posters, les pochettes de disques et les livres d’enfants. Celle-ci semble avoir été rédigée en 1971, par le scénariste du Texas Ted Perry, pour la convention des Baptistes américains. De flagrants anachronismes infirment la première attribution : « le fil qui parle » n’a pas encore franchi les montagnes de Seattle, les bisons y demeurent inconnus dans un rayon de 1 000 km, et le premier chemin de fer ne reliera les Grandes plaines à la côte Pacifique qu’en 1870… Mais cette supercherie médiatique ne doit rien retirer à la stature historique de Seattle, ni aux idées des défenseurs de l’environnement. Le chef est mort à 80 ans. Un an après, la ville qui avait pris son nom défendait à tous les Indiens d’y résider.

• Pour en savoir plus : article de Timothy Egan dans le New York Times du 21/4/1992, ou l’ouvrage de Daniel Bougnoux « Sciences de l’information et de la communication », 1993, pages 63 à 65.