Dossier
Auteur(s) : Marine Neveux
Lors de leur assemblée générale, qui s’est déroulée le 5 avril dernier, les membres de l’Œuvre d’assistance aux bêtes d’abattoirs (OABA) ont souligné que la bientraitance animale comportait différentes facettes. Il en va de même des difficultés auxquelles cette association, créée il y a 53 ans, se heurte : cas de maltraitance individuelle, non-respect de la réglementation à plus large échelle, débats à la teinte politico-médiatique.
L’OABA dresse un douloureux constat chaque année. En témoignent le bilan de l’an passé et les 31 procédures pénales majoritairement relatives à des animaux délaissés ou maltraités par leur détenteur. « Quelques dossiers concernant les abattages clandestins sont également examinés, indique Frédéric Freund, directeur de l’OABA. Il ne s’agit pas toujours de mises à mort effectuées dans le cadre de l’Aïd-el-Kébir. La crise économique semble inciter de plus en plus de personnes à “se servir” dans les prés pour se procurer de la viande… Certains installent des abattoirs clandestins et n’hésitent pas à écouler de nombreuses tonnes de chair. Cette véritable économie parallèle comporte néanmoins de réels risques sanitaires. En outre, que dire des conditions dans lesquelles les animaux sont tués ? »
L’OABA rappelle également le cas de la personne qui s’était filmée en train de maltraiter un chaton. « Cette médiatisation a eu un effet pervers inattendu, s’indigne notre confrère Jean-Pierre Kieffer, président de l’OABA. Certains jugent bon de l’imiter. Nous avons ainsi pris connaissance d’actes de cruauté sur plusieurs animaux de ferme en ce début d’année 2014. » Près d’Orange, 24 brebis et agneaux ont été massacrés à coup de barres de fer et de battes de baseball. Plusieurs moutons ont subi le même sort sur un terrain situé aux portes de Perpignan. « À Massy, dans l’Essonne, cinq jeunes gens ont été interpellés après avoir volé une chèvre dans un parc. Ils l’ont frappée avant de lâcher leur chien sur la pauvre bête. Quatre adolescents ont également été arrêtés en Haute-Garonne après avoir torturé à mort un canard », égrène notre confrère.
Près de Blaye, en Gironde, plusieurs bovins et caprins ont été pris pour cibles par un mystérieux tireur et abattus au fusil. Dans l’Indre, des vaches ont été empoisonnées au raticide. À Saint-Gaudens, en Haute-Garonne, un incendie criminel a fait périr 180 bovins en septembre dernier… L’OABA s’est manifestée auprès des services de gendarmerie et de police chargés de ces enquêtes. Malheureusement, « il n’est pas évident d’identifier les auteurs de ces faits immondes », regrette Frédéric Freund.
La question du non-respect des normes réglementaires est récurrente. « La réglementation relative à la protection des animaux d’élevage est malmenée dans certains pays de l’Union européenne. » La Commission de Bruxelles a ainsi récemment engagé une procédure contentieuse contre six États membres, dont la France, qui ne se plient pas aux exigences de la directive de 2008, applicable depuis le 1er janvier 2013. « Le litige concerne l’obligation de maintenir les truies en groupe et non dans des stalles individuelles pendant une partie de leur gestation. En ce début d’année, 15 % des élevages français ne respecteraient toujours pas cette règle. » Cette situation fait écho au différend relatif à l’aménagement des cages des poules pondeuses.
Le non-respect des temps de transport est une autre problématique encore et toujours pointée. L’association réclame régulièrement que le trajet des bêtes à destination l’abattoir n’excède pas huit heures, ainsi qu’une introduction de ce principe dans le droit européen. « Fin 2013, l’OABA a également dénoncé, une nouvelle fois, les scandaleuses conditions d’exportation des animaux vivants vers les pays du pourtour méditerranéen en relayant le communiqué diffusé par l’association Compassion In World Farming (CIWF), poursuit Jean-Pierre Kieffer. Celle-ci a publié sur Internet les vidéos tournées par ses enquêteurs dans le plus grand abattoir du Liban. Beyrouth est la destination finale de nombreux ovins et bovins en provenance de France, de République tchèque et d’Espagne. Les enquêteurs de CIWF y ont été témoins des traitements inacceptables infligés aux bêtes. » L’Union européenne exporte effectivement 3,4 millions d’animaux environ chaque année (bovins, porcs, moutons). Les trajets sont parfois particulièrement longs (plus d’une semaine pour certains) et bon nombre d’entre eux se déroulent dans des conditions difficiles, voire mortelles.
Plus largement, « pour l’avenir, il conviendra, à mon avis, de distinguer l’éthique de la réglementation », intervient Allain Bougrain-Dubourg, président de la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO). Et de constater que chaque ministère rencontre des difficultés financières et humaines. « Une véritable cellule antitrafic est à mettre en place, martèle-t-il. Le bureau de la protection animale manque singulièrement de moyens, donc de créativité. »
« En 2013, l’OABA a visité 54 abattoirs, soit six de moins que l’année précédente », souligne Frédéric Freund. Le directeur de l’OABA déplore que « de nombreux établissements refusent l’accès de leur site à nos délégués. La filière n’a toujours pas digéré nos sorties médiatiques relatives à la problématique de l’abattage rituel… Si l’OABA entretient des relations cordiales avec la fédération des abattoirs publics (FNEAP), dans lesquels nos représentants peuvent entrer sans trop de difficultés, force est de constater qu’il n’en va pas de même dans les établissements du groupe Bigard-Charal-Socopa-Arcadie. » Sur les 124 visites réalisées par l’OABA de février 2011 à septembre 2013, 21 sites (17 %) sont conformes, 59 (47,5 %) présentent plusieurs non-conformités et 44 (35,5 %) en affichent des majeures. « Ces dernières concernaient les problèmes d’étourdissement, l’absence de contention des animaux, la suspension de bêtes encore conscientes et l’habillage avant la fin de la saignée. »
Ces chiffres inquiétants sont d’ailleurs confirmés par plusieurs comptes rendus, tels que le récent rapport annuel public dévoilé le 11 février 2014 par la Cour des comptes. Cette dernière précise qu’elle a inspecté l’action du ministère de l’Agriculture en termes de sécurité sanitaire de l’alimentation. Selon ce bulletin, « les contrôles réalisés sont peu nombreux et les non-conformités rarement sanctionnées. Au total, l’absence de contrôles à un niveau significatif et de sanctions suffisantes met en lumière des anomalies graves ». L’Office alimentaire et vétérinaire (OAV) de l’Union européenne dresse le même constat depuis plusieurs années, à l’image de la dernière mission d’audit menée en France en juin 2013, dans plusieurs abattoirs de volailles. Une nouvelle fois, le caractère insuffisant des contrôles officiels est souligné.
Les éclats médiatiques relatifs à la viande font florès dans les journaux. En témoignent notamment les articles consacrés aux plats estampillés “100 % pur bœuf” qui contenaient du cheval. Le rapport des sénatrices Sylvie Goy-Chavent et Bernadette Bourzai propose des pistes afin de résoudre les problèmes liés aux fraudes et aux trafics. En mars 2013, après le scandale de la viande chevaline, le Sénat a mandaté une mission commune d’information sur la filière “viande” en France et en Europe. Un travail exposé publiquement en juillet 2013 présente 40 mesures destinées à améliorer la sécurité sanitaire, relancer l’économie du secteur et répondre aux attentes sociétales en termes de bien-être animal. L’OABA déplore l’absence de mise en œuvre et l’inaction du gouvernement consécutives à ce rapport.
« Nos dirigeants ne souhaitent nullement débattre de la problématique de l’abattage rituel, dénonce Frédéric Freund. Les différentes propositions de loi déposées au Sénat ou à l’Assemblée nationale sont toutes restées sans suite. Plusieurs pays européens s’emparent pourtant de ce sujet : la Pologne et le Danemark proscrivent la mise à mort sans étourdissement, les Pays-Bas mettent en place un système d’assommage obligatoire avant la saignée, les instances vétérinaires du Royaume-Uni, en ce début d’année 2014, proposent d’interdire l’égorgement des animaux sans étourdissement préalable. Et la France, elle, se distingue en développant l’abattage sans étourdissement… »
Nos confrères prennent d’ailleurs position : 92,3 % des vétonautes disent oui à l’étourdissement et adhèrent à la position de John Blackwell, président de l’Association des praticiens britanniques, dans un récent sondage proposé sur le site www.lepointveterinaire.fr1. Michel Baussier, président du Conseil supérieur de l’Ordre, s’est lui-même exprimé sur la question de l’abattage rituel à l’occasion des auditions de la mission d’information du Sénat. Le sujet interpelle aussi la profession depuis quelques années, pour ne citer que les positions de la Federation of Veterinarians of Europe (FVE) ou la motion votée lors de l’assemblée des délégués au cours des Rencontres nationales vétérinaires de Bordeaux d’octobre 2010. Celle-ci prônait un meilleur encadrement et un respect de l’animal accru, sans prendre position pour l’interdiction de l’absence d’étourdissement lors de la mise à mort à caractère religieux. La motion demandait « la stricte application de la dérogation à l’étourdissement dans le cadre exclusif de l’abattage rituel destiné à la production des viandes halal et casher, le recours à des méthodes permettant de mettre un terme à la longue agonie des animaux égorgés lors des abattages rituels, un étiquetage informatif clair des consommateurs pour identifier la viande provenant de bêtes abattues sans étourdissement ».
L’OABA a introduit deux recours contre cette pratique. Le premier a donné lieu à un arrêt du Conseil d’État, le 5 juillet 2013. Ce dernier estime que l’exception qui permet de s’affranchir de l’étourdissement des animaux ne saurait « être regardée comme autorisant un mauvais traitement ». De même, toujours selon cette juridiction, cette dérogation « n’est ouverte pour l’abattage rituel que lorsque celui-ci n’est pas compatible avec le recours préalable à l’étourdissement ». « Cela signifie clairement, ainsi que nous le critiquions, traduit l’OABA, qu’une religion a la possibilité de transgresser purement et simplement le principe général de protection des animaux lors de l’abattage. » Le second recours est toujours entre les mains du Conseil d’État. Il concerne la certification “agriculture biologique” délivrée à des steaks hachés halal, prélevés sur des bovins égorgés sans étourdissement. L’OABA estime que le règlement européen relatif au “bio”, qui prône des « normes élevées en matière de bien-être animal », est incompatible avec une mise à mort réalisée sans assommage. « Si la haute juridiction administrative venait à rejeter notre recours, la crédibilité du label “AB” ne manquerait pas d’être sérieusement remise en cause… », conclut l’association.
1 Voir La Semaine Vétérinaire n° 1577 du 21/3/2014 en page 12.
2 Voir aussi La Semaine Vétérinaire n° 1580 du 11/4/2014 en page 16.
La profession vétérinaire s’investit à plusieurs titres en matière de protection animale. Jean-Luc Vuillemenot a présenté une réflexion sur la proposition de loi de notre consœur Geneviève Gaillard2 relative au statut des animaux. Notre confrère Jérôme Languille, chef du bureau de la protection animale du ministère de l’Agriculture, développe les dossiers sur le long terme. « L’action de nos services, nos directions départementales de la protection des populations (DDPP) représentent plus de 17 000 contrôles en matière de protection des animaux réalisés dans l’Hexagone, dont 4 000 relatifs aux mises aux normes des installations qui abritent des truies gravides. » Notre consœur Ghislaine Jançon, présidente du groupe homme-animal au Conseil supérieur de l’Ordre des vétérinaires, a tenu pour sa part « à souligner l’implication quotidienne des vétérinaires en termes de bien-être animal. La protection des animaux se fait de façon dispersée et nous la mesurons mal. La réforme de l’Ordre comprendra des éléments qui nous permettront d’agir collectivement pour le bien-être animal ».
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