Marianne lève le voile sur la souffrance animale

Le numéro du 2 mai dernier du magazine Marianne livre un constat sans fard de la souffrance animale et interpelle les consciences. « Qui entend les bêtes souffrir ?, interroge le journaliste Éric Conan. Fini le temps où le sort des animaux n’intéressait que quelques groupies de Brigitte Bardot. Aujourd’hui, intellectuels et consommateurs s’en mêlent, et même les grands chefs prennent conscience que la gastronomie ne survivra que dans le respect des bêtes. »

Depuis quelques mois, plusieurs intellectuels font en effet entendre leur voix (en référence, notamment, au manifeste d’octobre dernier). Le sujet sur le statut juridique de l’animal relance aussi le débat sur son caractère sensible. Le journaliste souligne en outre la fin du désintérêt pour les animaux de rente, qui contrastait avec l’attention pour les animaux de compagnie.

« Le vécu moral de ceux qui travaillent avec les animaux nous apprend plus que les théories des philosophes, répond Sébastien Mouret, sociologue au centre de recherche Éthique et société de Paris-Descartes et auteur d’Élever et tuer des animaux (PUF). « L’acte de tuer, pour eux, n’est pas rien, ils l’éprouvent et continuent de l’éprouver malgré la répétition. Ils pensent que ce n’est pas un crime, mais que l’on ne peut pas faire n’importe quoi avec les bêtes. » Ce que confirme Lise Gaignard, psychanalyste au laboratoire de psychologie du travail. Celle-ci se souvient de l’« effort pour ne pas penser le travail parce que, si on le pensait, on ne pourrait pas le faire » du personnel en « grande souffrance » qu’elle recevait. Un personnel marqué par les exterminations de troupeaux lors de la crise de la vache folle et l’élimination de près de trois millions de veaux mâles de moins de 10 jours après la chute du prix du bœuf à laquelle incitait la prime Hérode.

Respecter l’animal et la dignité de l’éleveur

Le voile se lève sur les abattoirs. Il y a eu Ces bêtes qu’on abat (L’Harmattan), ainsi que le documentaire Entrée du personnel, qui a donné la parole à ces employés qui « tiennent » en s’alcoolisant ou en se détachant de ce qu’ils font grâce au fractionnement du travail sur la chaîne.

Le dossier met aussi en exergue les positions des professionnels, telles que celle d’un paysan charcutier, qui vit comme un « malheur » ce qu’est devenu l’élevage : « Soit on arrête de manger de la viande, soit on élève les bêtes autrement ; il y a un marché pour la qualité. »

Ce programme ambitieux, qui remet en cause une économie fondée sur le bas prix – « l’impasse morale et économique des systèmes industriels », selon Jocelyne Porcher de l’Institut national de la recherche agronomique (Inra) – propose comme solution alternative le sauvetage d’un « élevage encore pratiqué en France permettant à la fois le respect de l’animal et la dignité de l’éleveur ». « Ce n’est pas parce que la finance a perverti l’élevage en production industrielle de matières animales qu’il faut y renoncer », poursuit-elle, s’inquiétant de voir « les vegans défendre la viande synthétique. »