Chronique d’une disparition

Le 11 septembre 1973, le général Pinochet installait la dictature au Chili. Neuf mois plus tard, au nord, trois chevrières d’une communauté andine libéraient leurs bêtes sur l’Altiplano, enfilaient leurs plus beaux habits et se pendaient à un gros rocher, avec leurs deux chiens. La photo des corps sans vie réunis par un système complexe de cordes et de nœuds fit la une des journaux. Ce suicide collectif suscita diverses interprétations. En 1983, il inspira une pièce de théâtre : Las Brutas. Le film s’en inspire mais à l’opposé de toute théâtralité. Tourné sur les lieux mêmes du drame, son réalisme sec est à l’image des vastitudes désolées et de ses personnages taiseux. Il décrit la vie austère des trois sœurs – parquer les bêtes, faire le fromage, carboniser le bois, s’abriter dans la grotte qui leur sert de cabane – un mode de vie primitif qui fait corps avec l’âpre nature (chèvres parmi des arbustes rabougris, étendues pierreuses balayées par le vent), mais qui les replie également sur elles-mêmes et les prive de féminité. Méfiantes à l’égard des hommes, elles en croiseront seulement deux, un vieux colporteur et un citadin en fuite. Ils seront comme l’écho d’un présent dénié mais qui, hors champ, impose un nouvel ordre sans pitié. En interdisant le pastoralisme, le régime militaire condamne le monde ancestral des sœurs Quispe. Nous assistons à cette tragédie sournoise, portée toute entière par l’impressionnante photographie du film.

Les Sœurs Quispe de Sebastian Sepulveda, avec Digna Quispe, Catalina Saavedra, Francisca Gavilán, Chili, 1h20, en salles le 4 juin 2014.