L’euthanasie : les questions à aborder - La Semaine Vétérinaire n° 1587 du 31/05/2014
La Semaine Vétérinaire n° 1587 du 31/05/2014

Dossier

Auteur(s) : Marine Neveux

L’euthanasie d’un animal, de compagnie ou de rente, n’est pas un acte ordinaire, même s’il fait partie de l’exercice vétérinaire. Plusieurs éléments entrent en ligne de compte dans sa pratique : la réglementation, la sensibilité des parties, le cadre, la vision du praticien… L’Académie vétérinaire de France en a fait le thème d’une session visant à éclairer ce moment délicat.

L’euthanasie est un acte difficile. Chaque situation comporte ses spécificités inhérentes au contexte, à l’animal, au détenteur et au vétérinaire, qui apporte aussi sa sensibilité, son vécu. L’Académie vétérinaire de France a organisé une session sur ce thème, le 15 mai dernier à Paris, à l’occasion du lancement du guide Phénix, afin d’aider les confrères dans leur démarche. Accompagner l’animal, le propriétaire, faire que la mort de l’animal se passe au mieux requiert toutes les qualités du praticien, et valorise notre profession. Une enquête réalisée par La Semaine Vétérinaire en septembre 20121 montrait en effet que les expressions manifestées le plus souvent par les clients pour remercier les praticiens après une euthanasie sont, en tête, l’empathie/la compassion, la douceur, la disponibilité/la patience. Cette même étude révélait que, pour quatre praticiens sur dix en canine, l’acte reste délicat à gérer quel que soit le contexte. Donc mieux vaut avoir mené sa propre réflexion sur le sujet.

RESPECTER LA RÉGLEMENTATION

Les circonstances qui motivent une euthanasie sont variées : l’acte peut être demandé à la suite d’une maladie, d’une requête du propriétaire, d’une réquisition administrative ou judiciaire. L’euthanasie se distingue de l’abattage et de la mise à mort. Les animaux de compagnie font uniquement l’objet d’euthanasie. Pour ceux de rente, deux cas de figure existent : l’euthanasie ou l’abattage. La dernière solution est la plus fréquente. En revanche, la première est autorisée si l’abattage est interdit ou si la situation s’inscrit dans un contexte accidentel, concerne un animal en misère physiologique ou intransportable, etc. « La qualité ne se substitue pas aux obligations », martèle Ghislaine Jançon, membre du Conseil supérieur de l’Ordre (CSO). L’euthanasie nécessite donc de respecter la législation et la réglementation.

Le vétérinaire dispose d’une clause de conscience dans le Code de déontologie, si l’euthanasie le heurte ou s’il ne dispose pas de la compétence ou du matériel nécessaire.

Le respect de l’animal est aussi le fil conducteur de l’acte et de la réglementation qui l’entoure. Cette obligation figure en première page du Code de déontologie. Les relations entre le propriétaire et l’animal sont également à prendre en compte. Le praticien doit donc être à l’écoute et adapter sa position aux circonstances, sans toutefois déroger aux règles, notamment lors de la restitution du corps de l’animal.

INFORMER À TOUTES LES ÉTAPES

Une information explicite est fournie à toutes les étapes de l’acte d’euthanasie, en amont et en aval, sur les décisions à prendre, le déroulement, les suites possibles, le devenir du corps, les coûts précis (en séparant ceux des actes et l’élimination de la dépouille), etc. Le consentement éclairé peut être privilégié à l’aide d’une demande écrite.

La notion de respect du bien-être animal se retrouve aussi dans l’article L.214-1 du Code rural, qui définit l’animal comme un être sensible auquel il convient d’éviter les souffrances lors de toute manipulation. L’euthanasie est, par ailleurs, abordée dans le Code sanitaire pour les animaux terrestres de l’Organisation mondiale de la santé animale (OIE).

Le vétérinaire reste maître de sa technique d’euthanasie, mais il ne doit pas induire de souffrances inutiles.

PRENDRE DES PRÉCAUTIONS

Avant de pratiquer une euthanasie, le praticien est tenu de s’assurer de la légitimité du demandeur : propriétaire, détenteur, gardien, autorité administrative, etc. Etablir un formulaire d’euthanasie est la précaution minimale à prendre avant d’effectuer l’acte.

Le vétérinaire doit aussi vérifier que l’animal peut faire l’objet de cet acte. D’autre part, un animal euthanasié ne peut en aucun cas entrer dans la filière alimentaire. Si la décision concerne un animal errant, il convient de s’assurer de l’existence d’une convention avec la mairie. Il est utile de faire signer un formulaire de dépôt à la personne qui amène la bête. Il faut aussi s’assurer du respect des délais de garde par la fourrière. Face à un animal jugé dangereux, ce délai est de huit jours lors de suspicion de danger ou de 48 heures, avec l’avis du vétérinaire désigné par le préfet, en cas de danger grave ou immédiat. S’il s’agit d’un animal sauvage, il est utile de contacter au préalable les organismes compétents pour mieux évaluer la situation.

LA NÉCESSITÉ DE PARLER DE L’EUTHANASIE

« Avoir le pouvoir de vie ou de mort, c’est très intime, reconnaît notre confrère Claude Béata (L 83). Cela renvoie à l’expérience personnelle. lI est donc difficile d’en présenter une approche. Nous nous sommes rendu compte que parler d’euthanasie était une nécessité. » En outre, l’animal est de plus en plus prégnant dans le débat public : les réflexions sur le changement de statut, le fait que l’animal devienne un être sensible selon le Code civil, etc. Le vétérinaire n’a plus la possibilité de le considérer seulement comme une chose.

LES ASPECTS PRATIQUES DE L’EUTHANASIE EN CANINE

La pratique quotidienne montre qu’il est nécessaire de s’adapter à chaque situation, car l’euthanasie est associée à un entourage humain qui diffère à chaque fois, à des animaux de tailles différentes, etc. « Nous devons aussi composer avec notre éthique personnelle, avoue Catherine Mège, vice-présidente de l’Association française des vétérinaires pour animaux de compagnie (Afvac). Il faut être capable d’écoute, d’empathie, mais aussi de bien communiquer. »

L’information et la concertation avec le propriétaire interviennent durant toutes les étapes qui précèdent et suivent l’acte. L’euthanasie n’est d’ailleurs pas une obligation, l’animal peut s’endormir chez lui. Le pronostic est souvent désespéré, mais il est parfois possible de mettre en place des soins palliatifs afin de planifier l’euthanasie. Dans d’autres cas, cette dernière est à réaliser en urgence.

Tripartite, la prise de décision dépend de l’animal, du propriétaire et du vétérinaire. « Il convient de prendre le temps avec un animal qui a passé 15 ans aux côtés de son maître », poursuit Catherine Mège.

Au sujet des modalités, il importe, pour commencer, de décider du lieu. Souvent, les propriétaires souhaitent que l’animal meure chez eux. Le fait d’assister ou non à ses derniers instants est une autre décision qui leur appartient. « Le choix est laissé au propriétaire, et il convient de lui expliquer ce qu’est l’euthanasie », développe notre consœur. Le moment et le rendez-vous nécessitent de prévoir une large plage horaire et que l’acte puisse être différé afin de le programmer sereinement.

Concernant les formalités, la demande d’euthanasie écrite est utile. Elle reconnaît, par exemple, que l’animal n’a ni griffé, ni mordu, etc. « Les procédures doivent être connues de toute l’équipe. Il convient d’éviter les discordances et les erreurs », insiste Catherine Mège.

Pendant l’acte lui-même, il est préférable de travailler dans une salle différente de celle de la consultation habituelle. Une pièce un peu intime et une table confortable sont à privilégier, et les nuisances sonores (téléphone, rires dans une salle adjacente, etc.) à éviter. « La technique est propre à chacun selon sa maîtrise. Elle est, là encore, mise en œuvre dans le respect de l’animal et du propriétaire. La voie intraveineuse est fortement conseillée. La décision d’une sédation préalable ou non appartient à chacun. »

Il convient d’annoncer les étapes le plus clairement possible, d’anticiper ou de répondre à des questions telles que « va-t-il fermer les yeux ? ». Expliquer la chronologie des événements, prévenir du réflexe inspiratoire post-mortem est important. « La bonne entente de l’équipe, le respect des protocoles, la préparation du matériel et des locaux, la fluidité des actes, la formation de tous à affronter les réactions, etc. : ces gestes doivent être naturels et adaptés », égrène Catherine Mège.

Le propriétaire souhaite parfois passer un dernier moment avec son animal juste après sa mort, pour lui dire « au revoir ». Pour d’autres, ce moment interviendra lors de la récupération du corps. La dépouille doit donc être présentable.

Les formalités liées à la convention d’incinération peuvent être effectuées avant la décision du devenir de l’animal. La facture est réglée avant ou après l’euthanasie.

L’identification du corps marque la fin des procédures. L’information est transmise à toute l’équipe au moyen, par exemple, d’un tableau, pour indiquer quel animal est mort et éviter des erreurs de communication ou des courriels de rappel de vaccination. Le retour des propriétaires à la clinique pour la restitution des cendres est souvent un moment douloureux. « Il convient de mettre en place un protocole pour les informer de la réception de celles-ci et de réserver un instant afin qu’ils viennent les récupérer, souligne Catherine Mège. Il est également possible de proposer son aide, des livres, de parler aux enfants, etc. »

En conclusion, l’acte d’euthanasie est délicat, et fait appel à toutes les qualités du praticien. Le bon déroulement des étapes est gratifiant pour celui-ci.

LES ASPECTS PRATIQUES DE L’EUTHANASIE EN ÉQUINE

« Chez les équidés, le statut particulier de l’animal constitue une problématique, explique Vincent Boureau, responsable de la commission comportement et bien-être de l’Association vétérinaire équine française (Avef). Le cheval est la fois un animal de compagnie (avec tout ce que cela suppose en termes d’éducation, d’attachement), mais aussi de sport, avec une valeur économique et la motivation sportive. »

En outre, la notion de propriétaire chez les équidés entraîne une autre difficulté : l’interlocuteur n’est pas toujours facile à identifier !

Plusieurs cas de figure sont possibles : pour un équidé en fin de vie, le temps de la réflexion, de la préparation est pris. Il existe aussi des situations où, par exemple pour les animaux de sport ou de course, l’euthanasie est décidée sur le terrain de concours, en public. Il est donc indispensable d’anticiper ces éventualités. En équine, notre confrère insiste sur la nécessité de s’adapter à la situation. Celle-ci peut avoir un fort impact émotionnel, notamment sur les jeunes cavaliers. Malgré tout, le recueil du consentement et la prise de décision sont à mettre en œuvre.

Concernant la méthode, les risques de chute sont à limiter. La tranquillisation préalable est donc conseillée et il convient de gérer l’environnement matériel et humain. Face à un équidé qui appartient à une espèce de grand format, il importe de prévoir de faciliter les conditions d’enlèvement et le coût de traitement du corps.

Enfin, l’espèce équine fait intervenir des critères économiques, mais un cheval, y compris accidenté, est susceptible d’avoir plusieurs carrières dans sa vie. La possible reconversion dans un élevage doit être évaluée avant d’envisager l’euthanasie. Le coût de l’entretien d’un animal non productif est aussi à prendre en compte. Grâce aux plateaux techniques et aux progrès de la médecine équine, il existe des solutions alternatives thérapeutiques, qui sont à proposer. Le consentement éclairé doit donc être obtenu.

En raison du risque d’engagement de la responsabilité civile professionnelle du praticien, il est parfois recommandé de prendre la décision d’euthanasie à plusieurs, en particulier concernant les chevaux de prix. Lorsque différents vétérinaires soignent le même animal (ce qui est fréquent dans cette filière !), il est conseillé de téléphoner à son confrère avant de prendre une décision.

Certaines euthanasies chez les équidés sont également motivées par des critères sanitaires. Il importe, bien entendu, de ne pas oublier l’exclusion de l’animal de la filière bouchère lors d’euthanasie. Par ailleurs, « l’éthique doit être la motivation principale dans la pratique équine, car l’euthanasie est avant tout à envisager si le pronostic vital est engagé et s’il y a atteinte au bien-être animal », souligne Vincent Boureau. Il convient d’évaluer la douleur et de mettre en œuvre tous les protocoles de traitement et la pharmacopée. Toujours sur le plan éthique, il est préférable d’anticiper l’enlèvement du corps (un mercredi, dans un centre équestre, avec des enfants n’est pas idéal…).

Ne pas oublier non plus de dispenser l’information relative aux solutions alernatives à l’équarrissage, telles que l’incinération (coûtant près de 2 000 €). « Encore plus chez le cheval que chez les autres espèces, il n’y a pas de protocole standard, selon Vincent Boureau. Il ne faut pas oublier des éléments qui nous mettraient dans une situation difficile, y compris des points basiques, tels que la tranquillisation. »

« Les chevaux vivent de plus en plus longtemps, la question de la fin de vie peut se poser à un moment donné », ajoute-t-il en évoquant la problématique des unwanted horses outre-Atlantique.

LES PARTICULARITÉS LIÉES AUX ESPÈCES DE RENTE

« En rurale et en pratique mixte, nous menons une relation professionnelle, explique Christophe Brard, président de la Société nationale des groupements techniques vétérinaires (SNGTV). Cela ne signifie pas l’absence de sentiments, mais il y a moins d’affectif. » L’acte d’euthanasie est effectué à la ferme, au sein des installations du propriétaire, ce qui n’est pas anodin.

Le système CLE (Check-list euthanasie) du guide Phénix permet de se poser plusieurs questions, par exemple avant d’intervenir, telles que : « Ai-je le matériel nécessaire ? ».

Sur le terrain, chaque confrère a également constaté, au cours de sa pratique, que l’euthanasie d’un animal malade présente des particularités. Un vétérinaire a, par exemple, été confronté à une vache accidentée l’hiver dans un ravin. L’euthanasie a été plus lente, car l’animal se trouvait en hypothermie et le métabolisme était très réduit. L’acte et le protocole sont donc toujours adaptés à la situation.

Le stockage du produit d’euthanasie doit être sécurisé : « Une armoire fermée à clef, un inventaire, ainsi qu’un cahier sur lequel est indiqué le flacon qui a été pris sont nécessaires, détaille Christophe Brard. Dans les véhicules, le nécessaire se trouve dans une partie vérouillée. Il faut retirer les produits si la voiture reste dans un parking ou chez le garagiste, etc. » « En médecine des animaux de rente, l’acharnement thérapeutique est de moins en moins courant. Il n’y a pas de règle non plus. Il faut construire un dialogue très clair avec le propriétaire, poursuit-il. Concrètement, nous ne faisons plus du tout d’abattage. Amener un animal accidenté à l’abattoir, c’est terminé. »

Dans tous les cas, informer est, là encore, primordial : sur la façon de procéder, sur les assurances pour les propriétaires, etc. « Le plus important est d’assurer la sécurité des personnes qui se trouvent autour de l’animal. Une contention correcte suppose déjà un licol et l’immobilisation de l’animal. Il faut aussi se demander si le lieu est bien choisi. »

Le maître mot reste le respect de l’animal. Après l’euthanasie, il convient de constater la mort et de ne pas partir trop tôt. Il faut avoir en tête que certains propriétaires possèdent des animaux de rente à titre d’animaux de compagnie. Notre confrère conseille aussi de bien veiller à l’élimination des produits et du matériel. Seringues, aiguilles, flacons, etc. : « Il faut tout ramener. » Mieux vaut renseigner les registres sanitaires et la rédaction de l’ordonnance, qui précise la quantité de produit délivré. « L’attitude sera toujours empreinte de dignité et d’attention », conclut notre confrère.

  • 1 Voir La Semaine Vétérinaire n° 1509 du 28/9/2012, pp. 25-30.

LE GUIDE PHÉNIX POUR LES CONFRÈRES

Chaque confrère pratique l’euthanasie de la meilleure façon possible, mais nous pouvons tous avoir besoin de conseils, d’appui et de rappels concernant la réglementation. Le projet Phénix1 a ainsi vu le jour, à la suite du travail de QualitéVet et des différentes organisations professionnelles vétérinaires et des confrères représentant les spécificités liées à chaque espèce. « Ce guide ne peut exister que s’il est fondé sur le respect de la pratique de chacun, explique Claude Béata (L 83). Ce n’est certainement pas un outil avec des directives qui pourraient un jour devenir opposables. »

L’idée de la check-list euthanasie (CLE) consiste à remplacer les affirmations et les positions morales par des questions.

1 Voir La Semaine Vétérinaire n° 1586 du 23/5/2014, pp. 14-15, et le guide Phénix sur www.//phenix-qualitevet.org.

DES RESPONSABILITÉS

> En cas de refus d’euthanasie d’un animal dangereux (disparition de certains propriétaires à ce moment-là), le vétérinaire effectue la déclaration et le maire prend la responsabilité. Ce dernier a la possibilité de décider une réquisition administrative.

> Les auxiliaires vétérinaires ont parfois accès aux produits d’euthanasie, ce qui pose la question de la responsabilité des confrères. Attention, le praticien est tenu de conserver sous clé ces substances. Cela implique aussi le respect du Code du travail et du risque encouru par le personnel salarié.

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