La grogne des professions libérales - La Semaine Vétérinaire n° 1597 du 19/09/2014
La Semaine Vétérinaire n° 1597 du 19/09/2014

Loi de croissance et de pouvoir d’achat

Actu

À la une

Auteur(s) : MARINE NEVEUX*, CLARISSE BURGER**

Face aux premières annonces d’Arnaud Montebourg, les professions réglementées réagissent. Ceux qui ont été qualifiés de « privilégiés » s’en défendent, agitent les contre-rapports. Notaires, huissiers et pharmaciens battent déjà le pavé.

Fin août, un nouveau ministre de l’Économie est nommé à Bercy. Pour?autant,?le?gouvernement garde le cap de la réforme. Emmanuel Macron poursuit le travail engagé par son successeur, Arnaud Montebourg, sur les professions règlementées. Le gouvernement veut adopter le projet de loi dès cet automne, par ordonnances. Finalement, c’est la voie du débat parlementaire qui s’ouvre.

Bien maigre consolation. Puis Emmanuel Macron tempère la réforme. En effet, la concertation n’a pas été de mise dans ce dossier. Si des brides du projet de loi, comme du rapport de l’Inspection générale des finances (IGF) ont été distillées (sciemment ?) dans la presse grand public, les professions concernées n’ont pas été informées. Elles ne disposent même pas des annexes des textes.

Les vétérinaires organisent leur communication

« Nous sommes toujours dans l’attente d’une réponse du ministre de l’Économie, témoigne Pierre Buisson, président du Syndicat national des vétérinaires d’exercice libéral (SNVEL). Nous serons reçus à la fin du mois par Philippe Vinçon, chargé de l’Agriculture à l’Élysée. »

« Nous sommes présentés comme des rentiers, poursuit-il. Le point central est une question d’honneur et de respect de ces professions. C’est la deuxième fois en moins d’un an que nous sommes confrontés à un tel déni de la réalité, de la concertation. » En outre, les conséquences d’une loi inadaptée seraient dramatiques en termes d’emploi pour les vétérinaires avec une pénalisation de l’emploi dans les cliniques, des ASV, etc.

Un mouvement des professionnels gagnera-t-il tous les libéraux le 30 septembre prochain ? « Pour les confrères, nous allons fournir des outils de communication. déclare Pierre Buisson. » Des kits vont ainsi être remis aux vétérinaires. Ils pourront les imprimer pour communiquer sur la profession, ses réalités : « Le plateau technique, les gardes, comment ce système permet de conserver un réseau sur le territoire avec le système actuel, une veille sanitaire, etc., développe le président du SNVEL. »

Trois mesures sur le médicament vétérinaire

Trois mesures sur le médicament vétérinaire figurent dans le projet de loi « pour la croissance et le pouvoir d’achat ». Celui-ci comporte des zones floues, des ambiguités, voire des contradictions à plusieurs niveaux.

→ Vente libre (hors monopole vétérinaire, pharmaciens, groupements) des médicaments sans ordonnance animaux de compagnie et productions animales.

Cela revient aussi à supprimer l’interdiction de tenir officine ouverte. Car, sinon, il serait paradoxal que Leclerc puisse le faire et que seuls les vétérinaires n’y aient pas droit !

→ Vente par Internet des médicaments sans ordonnance pour animaux de compagnie.

Le projet de loi actuel envisage la vente en ligne de médicaments vétérinaires non soumis à prescription pour les animaux de compagnie. Il motive cette décision par la jurisprudence “Doc Morris” (voir encadré) qu’a connu le monde de l’officine il y a une dizaine d’années. Depuis cette jurisprudence, la France est obligée d’accepter l’offre par Internet de médicaments non soumis à prescription obligatoire proposée par des opérateurs établis dans un autre État membre.

Mais le projet de loi est assez confus et ne semble pas avoir été bien réfléchi sous l’angle vétérinaire… Il fait plutôt figure de recopiage partiel. L’application de la jurisprudence “Doc Morris” aux vétérinaires n’est pas totalement claire en pratique. En revanche, elle est périlleuse sur le fond et en termes d’emploi dans les cliniques vétérinaires.

Concrètement, si ce projet de loi était voté en l’état, cela signifierait la vente des antiparasitaires externes, antiparasitaires internes et médicaments exonérés dans les grandes surfaces, les jardineries, les animaleries, etc. Les médicaments nécessiteraient de disposer d’une autorisation de mise sur le marché (AMM) dans le pays où ils sont vendus.

Ce projet va plus loin en termes de conséquences pour les vétérinaires que pour le monde de l’officine. Car il nie alors les ayants droit du médicament vétérinaire et leur retire le monopole. Quid du conseil associé aux ventes de médicaments vétérinaires, qui tient compte de la pharmacovigilance et des intoxications potentielles ?

Par ailleurs, si la vente des médicaments par des sites internet peut se faire en médecine humaine, cela nécessite l’existence d’une officine. En serait-il de même pour la vente des médicaments vétérinaires ?

Le projet de loi pourrait, également, aller jusqu’à supprimer l’interdiction faite aux vétérinaires de tenir officine ouverte pour les médicaments non soumis à prescription. N’est-ce pas réintroduire la confusion sur l’officine ouverte ?

Enfin, faut-il s’attendre à un énième débat sur le découplage alors que le sujet du médicament va revenir sur le devant de la scène et surtout devant des parlementaires et lobbyistes ? Le spectre d’une remise en question plane toujours au niveau européen.

→ Les sanctions contre les vétérinaires qui tiennent leurs éleveurs captifs.

Le projet de loi reprend des arguments déjà avancés du lobby pharmacien, à savoir le postulat taillé à traits grossiers que « les vétérinaires peuvent être amenés à ne pas remettre d’ordonnance, rendant ainsi leur clientèle captive, en l’empêchant de pouvoir s’adresser à d’autres ayants droit et bénéficier de prix éventuellement plus avantageux ». Le sujet est porté sur le terrain des pratiques anticoncurrentielles. La sanction pourrait s’élever à deux ans d’emprisonnement et 30 000 € d’amende pour les vétérinaires ne remettant pas d’ordonnance à l’utilisateur.

Enfin, l’ouverture du capital des sociétés d’exercice libéral (SEL) figure dans le projet de loi, une mesure qui fâche aussi. Le capital social des métiers réglementés est encadré, la limite d’ouverture variant selon le secteur (25 % ouvert aux tiers non vétérinaires). La mesure propose une ouverture aux tiers du capital et des droits de vote à moins de 50 % pour l’ensemble des professions libérales. L’Unapl la refuse.

Doc Morris

La jurisprudence “Doc Morris” a été un moment fort de l’évolution de la circulation des médicaments en Europe. La Cours de justice des communautés européennes (CJCE) a en effet rendu la décision “Doc Morris”, en décembre 2003, précisant que les autorités allemandes ne respectaient pas le droit communautaire lorsqu’elles interdisaient la vente par correspondance de médicaments non soumis à prescription médicale.

Il s’avère que, depuis 2000, une pharmacie établie aux Pays-Bas vendait des médicaments par Internet dans toute l’Europe, dont l’Allemagne. L’association allemande des pharmaciens avait contesté cette pratique. Elle n’a pas eu gain de cause. La Cour a autorisé la pratique entre pays membres, distinguant les médicaments autorisés ou non en Allemagne. Seuls ceux autorisés dans l’État peuvent être délivrés.

Depuis, l’Académie nationale de pharmacie a émis des recommandations sur la vente de médicaments à partir de site internet, comme en 2013, motivant notamment la nécessité d’une vente adossée à une officine ouverte.

Une rentrée rythmée par des ripostes

Le gouvernement veut légiférer pour déréglementer 37 professions libérales visées par le fameux rapport de l’IGF, dont les vétérinaires. Depuis cet été, annonces et ripostes se multiplient.

Le 10 juillet

Pour « redresser l’économie », Arnaud Montebourg veut réformer les professions réglementées aux services trop onéreux, et rendre ainsi aux Français « 6 milliards de pouvoir d’achat ».

Le 14 juillet

Un rapport choc de l’Inspection générale des finances (IGF) est dévoilé dans Les Échos, pointant les situations de rente de certains métiers réglementés.

Le 22 août

L’Ordre national des pharmaciens (ONP) riposte par un contre-rapport s’opposant, entre autres, à l’autorisation de la vente de médicaments sans prescription, hors officines.

Le 27 août

Emmanuel Macron, nouveau ministre de l’Économie, de l’Industrie et du Numérique, veut porter la loi « de croissance et de pouvoir d’achat », en accord avec le projet de loi de son prédécesseur, Arnaud Montebourg.

Le 10 septembre

Emmanuel Macron veut faire cette réforme « dans la concertation ».

Le 11 septembre

L’Union nationale des professions libérales (Unapl) se réunit en conseil extraordinaire. Le

15 septembre

Début de la grève des huissiers prévue sur une semaine.

Le président de la Chambre nationale des professions libérales (CNPL), Daniel-Julien Noël, saisit le Premier ministre « pour lui rappeler ses engagements pris devant le Parlement lors de son investiture ».

Le 17 septembre

Grève des notaires, publication d’un contre-rapport de la profession (la fin de monopole de certains actes est préconisée dans le rapport de l’IGF).

Le 26 septembre

Rendez-vous entre l’Unapl et le ministre de l’Économie, Emmanuel Macron.

Le 30 septembre

Une « journée sans professions libérales » programmée par l’Unapl, qui devrait regrouper plusieurs secteurs réglementés.

Philippe Vinçon, conseiller à l’Agriculture de François Hollande, recevra la profession.

CLARISSE BURGER

Lire aussi nos articles

→ Les professions réglementées font office de bouc émissaire, La Semaine Vétérinaire n° 1594 du 29 août 2014 en pages 13 à 16.

Il y a intérêt à se mobiliser, La Semaine Vétérinaire n° 1595 du 5 septembre 2014 en page 16.

Formations e-Learning

Nouveau : Découvrez le premier module
e-Learning du PointVétérinaire.fr sur le thème « L’Épanchement thoracique dans tous ses états »

En savoir plus

Boutique

L’ouvrage ECG du chien et du chat - Diagnostic des arythmies s’engage à fournir à l’étudiant débutant ou au spécialiste en cardiologie une approche pratique du diagnostic électrocardiographique, ainsi que des connaissances approfondies, afin de leur permettre un réel apprentissage dans ce domaine qui a intrigué les praticiens pendant plus d’un siècle. L’association des différentes expériences des auteurs donne de la consistance à l’abord de l’interprétation des tracés ECG effectués chez le chien et le chat.

En savoir plus sur cette nouveauté
Découvrir la boutique du Point Vétérinaire

Agenda des formations

Calendrier des formations pour les vétérinaires et auxiliaires vétérinaires

Retrouvez les différentes formations, évènements, congrès qui seront organisés dans les mois à venir. Vous pouvez cibler votre recherche par date, domaine d'activité, ou situation géographique.

En savoir plus


Inscrivez-vous gratuitement à nos Newsletters

Recevez tous les jours nos actualités, comme plus de 170 000 acteurs du monde vétérinaire.

Vidéo : Comment s'inscrire aux lettres d'informations du Point Vétérinaire

Retrouvez-nous sur