Dossier
Auteur(s) : Marine Neveux
Le sens de la révision générale des politiques publiques (RGPP) n’est pas toujours partagé par les vétérinaires qui exercent dans le secteur public. Le but de cette réforme est louable, mais sa mise en œuvre est trop longue et insuffisamment accompagnée. Il importe aujourd’hui de clarifier ses objectifs et de savoir si elle tient ses promesses en termes de budget. Une enquête réalisée par La Semaine Vétérinaire et l’annuaire Roy permet, quatre ans après la mise en place de la RGPP, de dresser un bilan, de connaître le ressenti des confrères, ainsi que les difficultés et les avancées qu’ils relèvent.
Pratiquement quatre ans après la réorganisation des directions départementales des services vétérinaires (DDSV), plusieurs points de malaise persistent pour les vétérinaires. La révision générale des politiques publiques (RGPP) ne faisait pas consensus à l’époque et ne rassemble pas les foules aujourd’hui non plus, comme en témoigne une récente enquête (voir encadré). Une réforme trop politique ? Non préparée ? Conduite sans autre vision que la réduction des coûts ? Des guerres de chefs, de carrières et de cadres sont-elles en cause ? L’illusion d’économie est-elle avérée ? Quid des réussites de collaboration ?
La RGPP induit encore une démotivation croissante dans notre profession. Ce sentiment touchait 85 % des sondés un an après l’instauration de la RGPP, selon la même enquête menée en 2011, versus 70,5 % aujourd’hui. Certes, le malaise est moindre. La démotivation était forte la deuxième et la troisième années. « Aujourd’hui, les structures sont bâties, tant bien que mal, et consolidées », explique un vétérinaire. Les équipes gagnent à connaître un peu de stabilité.
En revanche, avec un recul de plusieurs années, le constat est encore plus critique : 72 % des confrères estiment en 2014 que la RGPP ne permet pas de découvrir de nouveaux domaines, alors que 38 % manifestaient cette résistance en 2011. Faut-il voir ici les illusions perdues de nouveaux horizons ? La RGPP visait, en effet, initialement à rapprocher les services et à mutualiser les compétences. Une autre désillusion concerne les approches complémentaires entre certains services auparavant distants : 43 % jugeaient que cela fonctionnerait en 2011. Aujourd’hui, ils ne sont plus que 6,5 % à être aussi affirmatifs !
« Ce n’est pas inintéressant de mieux connaître les autres services, tempère un confrère. De plus, cela a localement tissé des liens plus facilement. Il faut se battre davantage pour promouvoir l’intérêt de nos missions. Mais ce n’est pas plus une remise en cause par essence, juste un doux mélange… »
Le sentiment dépend également de la structure locale, confrontée ou non à des déménagements, à de nouvelles directions et/ou organisations : « Les cas des DDPP et des DDCSPP seraient à distinguer. Autant les premières sont claires, autant les secondes relèvent du mariage de la carpe et du lapin », selon un vétérinaire. Un autre explique : « Les compétences de la DGAL et de la DGCCRF étaient tout à fait définies auparavant. La coexistence et la coopération fonctionnaient bien. » Depuis la RGPP, le contexte tendu avec les agents de la DGCCRF, du fait de leur opposition marquée au regroupement, fait que la collaboration est désormais moins bonne…
S’il y avait eu de la bonne volonté de la part de tous les acteurs impliqués et une détermination des ministères donneurs d’ordre d’harmoniser et/ou de préciser les missions au niveau départemental, la situation serait meilleure, selon plusieurs confrères. Cependant, la résignation et l’adaptation s’installent parfois : « Maintenant, de nouvelles habitudes de cohabitation sont prises. Il sera difficile d’améliorer les choses. »
La RGPP n’est pas le sujet unique. « Elle n’a de sens que si les acteurs l’ont conduite à son terme. Le problème est là, affirme un vétérinaire. Souvent, il s’agit de juxtaposition de services, notamment entre les pôles “protection des populations” et “cohésion sociale”. Cette affirmation est moins vraie au sein des pôles eux-mêmes, de la “protection des populations” en particulier. La réorganisation est allée là où l’encadrement et les agents l’ont menée, avec assez peu de moyens de conduite du changement. »
Les carences semblent donc également de nature managériale ou organisationnelle par manque d’accompagnement au changement, de priorisation des missions, de cohérence entre les ministères, de rapprochement des statuts des différents corps. « Si la mise en commun de certains moyens matériels peut revêtir un intérêt économique et relever d’une gestion plus rigoureuse des deniers de l’État, la façon dont la RGPP/Réate a été menée, notamment via une diminution drastique des effectifs techniques au sein des directions départementales, sans oublier la constitution d’organigrammes pas toujours compréhensibles (et hétérogènes), aboutit inéluctablement à une perte de sens et de compétence. Le recours à l’accréditation “Cofrac” ne saura éternellement masquer cela », développe un confrère.
Les vétérinaires appréhendent la RGPP de façon variable en fonction des départements. Les constats le sont aussi selon les structures. Et un confrère de poursuivre que l’exercice des missions de commerce de détail par des agents du ministère de l’Agriculture sous l’autorité d’un chef de service du ministère des Finances (ex-DD CCRF) ne s’accompagne pas des moyens informatiques ad hoc (Sora pour la DDCCRF, Sigal pour la DGAL)…
Dans les DDPP, la cohérence est meilleure, notamment dans le domaine de la sécurité des aliments. L’entente se révèle bonne entre les fonctionnaires “CCRF” et les services vétérinaires si les agents sont encouragés à travailler ensemble et de façon coordonnée. « Pour autant, la DGCCRF et la DGAL restent dans une logique de cloisonnement, y compris dans le domaine de l’alimentation », souligne un confrère.
L’idée de rapprocher les deux services dans le cadre d’une direction départementale de la protection des populations se justifie au départ, mais a partiellement fait disparaître l’entité des services vétérinaires, tandis que celle “concurrence, consommation et répression des fraudes” se maintient grâce – ou à cause – de la volonté de la DGCCRF.
Pour autant, une évolution plus positive est notée : le sentiment des missions vétérinaires plus diluées et la perte d’identification est moins marquée en 2014 qu’en 2011. 72 % des confrères, versus 78 % en 2011, en témoignent cette année, même si cette différence n’est pas importante.
Du côté du grand public, « les structures sont illisibles pour les usagers », constate en revanche un vétérinaire. La qualité “non vétérinaire” des directeurs (un fonctionnaire issu de “la jeunesse et des sports”, par exemple) est totalement incomprise, voire discrédite l’action des agents. Il y a une mauvaise identification des services via les noms de structures (DDCSPP, par exemple), qui ne sont pas parlants, et des noms de services qui ne sont pas unifiés d’un département à l’autre. Il existe aussi un regroupement de services sans rapport les uns avec les autres : par ici la lutte contre les exclusions et les violences conjugales, par là les abattoirs, les restaurants, etc. « Du coup, il y a deux sous-directeurs qui ne gèrent que la “cohésion sociale”, un sujet lourd économiquement et politiquement, mais qui n’ont aucune idée du fonctionnement du côté vétérinaire », explique un confrère.
La peur d’une mise en péril de la surveillance sanitaire en raison de la baisse des effectifs et des budgets alloués aux contrôles et aux inspections est plus marquée aujourd’hui : un tiers des confrères s’accordent tout à fait sur ce risque (versus 18,5 % en 2011). Un vétérinaire confirme cet inquiétant constat : « Les effets néfastes de la RGPP ne sont encore que partiellement visibles. Seule une crise sanitaire majeure, que bien entendu personne ne souhaite, saura en révéler toute l’ampleur. »
« La sécurité sanitaire et son contrôle perdent des agents qui restent – mais pour combien de temps ? – compétents, en particulier sur les valences vétérinaires (santé publique), mais sans pilotage (ou avec de multiples pilotes et indicateurs de suivi, etc.) ni reconnaissance de la hiérarchie, tant qu’aucune crise ne pointe son nez », renchérit un autre.
Les sénatrices Sylvie Goy-Chavent et Bernadette Bourzai ont rendu un rapport au cours de l’été 2013 sur la mission commune d’information sur la viande en France et en Europe. Ce texte comprend 40 propositions. Les élues recueillent globalement un avis positif, mais quelles concrétisations ?
« La démarche s’est arrêtée en cours de route : un échelon régional a été créé et pourrait être fonctionnel si les préfets de département et les directeurs départementaux n’étaient pas si jaloux de leurs prérogatives, dénonce un confrère. Ils ne sont pas en mesure d’assurer certaines missions, mais ne veulent pas non plus les transférer à un échelon régional. Les fonctionnaires passent donc leur temps en circonvolutions diverses, réunions, concertations, coordinations, etc., pour tenter d’organiser un service correct sans froisser les susceptibilités. » Un autre estime que « l’étape de la suppression des départements est nécessaire et urgente. Elle pourrait générer d’énormes économies en termes de temps de travail de fonctionnaires ». À noter aussi que l’organisation sanitaire évolue sur un modèle régional (constitution des OVS et des OVVT).
La RGPP est une chose, la réduction drastique des effectifs en est une autre. « Si la première n’apporte pas grand-chose, la seconde est en revanche fort mal vécue et suicidaire en termes de pérennité de la compétence des services vétérinaires. Elle génère, en outre, un risque de plus en plus important pour la sécurité publique ».
Aux yeux de certains, l’objectif de la réforme n’est pas la réalité du terrain : « Il n’ y a pas eu de réelles réflexions sur ce qu’il fallait mettre en œuvre pour gagner en efficacité, mais uniquement une volonté d’agir rapidement et de réduire les effectifs à tout prix ». Un autre tempère, estimant qu’il s’agissait une décision politique initiale intelligente « mais qui, dans la durée, s’est trouvée vidée de son sens pour ne plus conserver que le discours sur la réduction du nombre d’agents, alors que la RGPP n’était pas cela ». Les chefs de services passent leur temps à se battre pour faire la preuve de leurs besoins en équivalent temps plein : « Toutes les directions sont en concurrence dans un contexte de saignée des effectifs. »
Alors que penser de la situation ? « Un mauvais scénario pour un film exécrable, avec des ficelles qui ne sont même pas dignes du cinéma muet. Deux sur vingt au box-office de la rénovation de l’Administration, conclut un confrère. Pourtant, les acteurs en bottes et les mains dans le cambouis étaient là, tôt le matin et jusque tard le soir. Mais ils faisaient tache dans le décor déjà démodé du scénariste qui, avec un budget de téléfilm de type Arte, ne pouvait guère mieux faire. Si encore il avait été motivé… »
• Il n’ y a pas eu de réelles réflexions sur ce qu’il fallait faire pour gagner en efficacité, mais uniquement une volonté d’agir rapidement et de réduire les effectifs à tout prix.
• Plus que la baisse des effectifs, c’est surtout l’augmentation continue des tâches à réaliser et du temps qu’elles nécessitent qui met à mal notre capacité d’action. En caricaturant à peine, une action qui prenait deux minutes avant en consomme dix aujourd’hui.
• L’interministérialité du niveau départemental alors que le niveau régional reste ministériel ne facilite pas le pilotage des actions de l’État.
• Les services vétérinaires peuvent déplorer une perte totale d’identité et de visibilité auprès du public.
• La démarche s’est arrêtée en cours de route : un échelon régional a été créé et serait fonctionnel si les préfets de départements et les directeurs départementaux n’étaient pas si jaloux de leurs prérogatives.
Ils ne peuvent pas assurer certaines missions, mais ne veulent pas non plus les transférer à un échelon régional. Les fonctionnaires passent donc leur temps en circonvolutions diverses, réunions, concertations, coordination et autres pour tenter d’organiser un service correct sans froisser les susceptibilités.
• Les agents des services vétérinaires jouent le jeu de la fusion, mais les agents CCRF coopèrent très peu pour que celle-ci soit opérationnelle et se réalise dans de bonnes conditions.
• L’arbitrage en termes de gestion des effectifs et des moyens par les directeurs non “vétérinaires” ou “fraudes” se fait uniquement par le relais des chefs de service, qui ne jouent pas toujours la transparence, tout à la défense de leurs prérogatives.
• La RGPP renforce la tendance de l’administration à s’occuper plus d’elle-même que de l’administré. En témoignent les tâches de reporting et de maîtrise de la qualité qui sont imposées aux services déconcentrés par les administrations centrales.
• Un objectif louable, mais une absence d’accompagnement au changement coupable !
• Nous continuons donc à marcher côte à côte avec les fraudes, sans jamais nous toucher.
• D’origine purement comptable, cette réforme permet aujourd’hui de s’interroger sur les missions et les enjeux pour l’Administration de demain. Dans l’immédiat, le départ à la retraite sans remplacement fait perdre à la structure des compétences, voire des capacités opérationnelles. À l’heure des contrats de génération dans le privé, on pallie en DDPP par la mutualisation régionale ou la délégation et il est légitimement possible de s’interroger sur les compétences à conserver dans les DDPP à plus long terme.
• Une guerre de chefs, de carrières et de cadres… Une illusion d’économie.
L’enquête a été réalisée auprès de 441 confrères par e-mailing selon les données de l’annuaire Roy. 131 vétérinaires ont répondu au questionnaire adressé en avril 2014. Les confrères contactés sont ceux qui travaillent dans le secteur publique : abattoirs ; DD (CS) PP ; directions régionales de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt ; directions régionales de l’environnement, de l’aménagement et du logement ; directions régionales et interdépartementales de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt ; directions régionales et interdépartementales de l’environnement et de l’énergie ; services départementaux d’incendie et de secours ; Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux ; DGAL ; inspection ; directions départementales des territoires ; ministère de l’Agriculture, de l’Agroalimentaire et de la Forêt, etc.
Les sénatrices Sylvie Goy-Chavant et Bernadette Bourzai ont rendu leur rapport l’été 2013 sur la mission commune d’information sur la viande en France et en Europe. Il comprenait 40 propositions.
Les vétérinaires sondés ont classé de 1 à 10 ces mesures en termes d’urgences et de pertinence.
Mesure : renforcer les effectifs des services de contrôle relevant de la DGAL et de la DGCCRF
Mesure : imposer des contrôles physiques des vétérinaires au poste d’abattage pour toutes les espèces, suivre les incidents d’étourdissement ou d’égorgement et disposer d’un outil statistique, abattoir par abattoir, permettant de connaître les tonnages abattus sans étourdissement et d’éviter les dérives.
Cofrac : Comité français d’accréditation.
DDCSPP : Direction départementale de la cohésion sociale et de la protection des populations.
DDPP : Direction départementale de la protection des populations.
DGAL : Direction générale de l’alimentation.
DGCCRF : Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes.
OVS : Organismes à vocation sanitaire.
OVVT : Organismes vétérinaires à vocation technique.
Réate : Réorganisation de l’administration territoriale de l’État.
Nouveau : Découvrez le premier module
e-Learning du PointVétérinaire.fr sur le thème « L’Épanchement thoracique dans tous ses états »
L’ouvrage ECG du chien et du chat - Diagnostic des arythmies s’engage à fournir à l’étudiant débutant ou au spécialiste en cardiologie une approche pratique du diagnostic électrocardiographique, ainsi que des connaissances approfondies, afin de leur permettre un réel apprentissage dans ce domaine qui a intrigué les praticiens pendant plus d’un siècle. L’association des différentes expériences des auteurs donne de la consistance à l’abord de l’interprétation des tracés ECG effectués chez le chien et le chat.
En savoir plus sur cette nouveauté
Découvrir la boutique du Point Vétérinaire
Retrouvez les différentes formations, évènements, congrès qui seront organisés dans les mois à venir. Vous pouvez cibler votre recherche par date, domaine d'activité, ou situation géographique.
Recevez tous les jours nos actualités, comme plus de 170 000 acteurs du monde vétérinaire.
Vidéo : Comment s'inscrire aux lettres d'informations du Point Vétérinaire