Dossier
Auteur(s) : MARINE NEVEUX
La France est indemne de rage, mais ce statut demeure fragile compte tenu de sa situation géographique. Il convient par conséquent de rester vigilant. La sensibilisation du grand public est importante en raison des cas importés et de la rage des chauves-souris. Le praticien a un rôle pivot à jouer, de sentinelle, mais aussi d’information du public.
La rage n’est pas une maladie du passé, il importe de toujours la garder en mémoire. Tel est le message martelé, à juste titre, lors de la journée du 9 octobre dernier organisée par l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) et le ministère de l’Agriculture dans les locaux de l’Organisation mondiale de la santé animale (OIE) à Paris. Les vétérinaires, qu’ils soient praticiens ou qu’ils relèvent de l’administration, ont un rôle central à jouer pour lutter contre ce virus qui illustre parfaitement le concept One Health. Ces bons réflexes contribuent à faire que des situations gérables ne deviennent pas catastrophiques.
Dans les mois à venir, le ministère de l’Agriculture et l’Anses lanceront d’ailleurs une série de formations et d’informations pour les vétérinaires afin de maintenir un réseau de vigilance sur cette maladie peu fréquente.
« Il faut toujours garder en tête la rage dans le diagnostic différentiel des affections neurologiques, y compris chez des animaux qui n’ont pas quitté le territoire », souligne notre consœur Nathalie Pihier, chef de la mission des urgences sanitaires de la Direction générale de l’alimentation (DGAL). En effet, il convient de se souvenir de la chienne Cracotte, morte en 2008 en France après avoir contracté la rage auprès d’un chien contaminé par un animal importé illégalement du Maroc. En 2013, un cas d’importation irrégulier d’un chaton enragé depuis ce pays illustre aussi la nécessité de respecter les mesures de prévention.
Le vétérinaire joue par conséquent un rôle clef. Comme la maladie n’est pas dépistée du vivant de l’animal, il est essentiel de mettre en place des mesures de surveillance sanitaire.
Nathalie Pihier recommande ainsi, face à un animal suspect, de recueillir le maximum de données : les commémoratifs et les informations relatives au propriétaire, et de garder les coordonnées de ce dernier pour être en mesure de le contacter.
Au quotidien, la rage implique aussi de respecter certaines règles, notamment avant toute euthanasie : le praticien prendra soin de faire signer un certificat qui indique que l’animal n’a ni mordu ni griffé dans les 15 jours qui précèdent.
La surveillance des animaux mordeurs ou griffeurs ou éventuellement contaminés est soumise à plusieurs protocoles. Un animal mordeur exige une mise sous surveillance. Il est obligatoire de signaler à la direction départementale de la cohésion sociale et de la protection des populations – D (CS) PP – toute non-présentation de l’animal aux visites de contrôle effectuées par le vétérinaire, de même que toute modification de son comportement ou sa mort. Si l’animal doit être euthanasié, une dérogation est à demander à la DD (CS) PP.
Lorsqu’un animal est en non-conformité avec la réglementation (lors d’importation, par exemple), le risque est à évaluer et il convient de se mettre en rapport avec la DD (CS) PP. Le premier réflexe à adopter face à un animal suspect est de se protéger et d’isoler celui-ci.
Les voyageurs constituent une autre catégorie de personnes à sensibiliser face au risque rabique. Ils sont invités à se renseigner sur la situation du pays où ils se rendent et s’il s’agit d’une zone endémique. Il importe de leur recommander de ne pas s’approcher d’un animal errant ou au statut inconnu, de prendre contact avec un médecin et un centre antirabique lors de griffure, et de revenir en France pour bénéficier d’un traitement si la suspicion de risque est forte.
« Les douanes sont les seules habilitées à effectuer des contrôles sur les voyageurs », précise Nathalie Pihier. À partir du moment où une non-conformité est décelée, il convient d’isoler l’animal, de recueillir les commémoratifs et de se coordonner avec les agents des postes frontaliers ou des DD (CS) PP pour statuer sur son devenir selon le risque. « Entre 2009 et 2011, 600 surveillances d’animaux ne respectant pas les conditions d’importation ont été mises en place. »
Le rôle des DD (CS) PP est également capital. Ces services réalisent la synthèse des informations recueillies et les transmettent aux acteurs concernés si nécessaire. Ils suivent ou mettent en place des mesures de gestion (de la surveillance à l’euthanasie si besoin).
« 17 millions de personnes reçoivent chaque année une prophylaxie antirabique dans le monde », souligne Philippe Poujol responsable du centre antirabique de l’Institut Pasteur de Paris. Le risque de rage humaine est extrêmement faible en France. Le risque de morsure est cependant non négligeable, notamment pour les personnes qui voyagent. L’information est donc essentielle. « Les cas de rage humaine sont pratiquement toujours évitables grâce à une prophylaxie rapide, adaptée, menée à terme », insiste Philippe Poujol. L’identification et la mise en observation de l’animal permettent de réduire la prophylaxie vaccinale et le risque de réintroduction de la rage.
L’information du public est nécessaire. Le virus rabique ne montre pas de franchissement de la peau saine. Il peut être introduit lors de contact direct par morsure, éventuellement de griffure, de léchage sur une peau lésée et une muqueuse. Il peut être transmis par tous les mammifères en phase d’excrétion salivaire.
→ Conduite à tenir dans les pays d’endémie rabique : la quasi-totalité des mammifères terrestres et volants sont à considérer à risque de transmission, donc suspects, quel que soit le comportement de l’animal. Dans cette situation, « la prophylaxie recommandée par l’organisation mondiale de la santé (OMS) est débutée le plus rapidement possible sur place et, éventuellement, poursuivie dans un centre antirabique (CAR) lors du retour en France, détaille Philippe Poujol. La mise en observation de l’animal mordeur est illusoire. La consultation dans un CAR est systématique au retour pour contrôler la qualité de la prophylaxie et des produits employés ou pour débuter une prophylaxie ».
→ Conduite à tenir dans les pays indemnes de rage terrestre : il n’existe pas de recommandations officielles nationales en France. Celles de l’OMS sont peu adaptées au faible niveau de risque. En revanche, les chauves-souris, les animaux illégalement importés en provenance de pays d’endémie et ceux errants non identifiables sont à considérer comme à risque. Les animaux désorientés, agressifs au changement brutal de comportement, atteints de sialorrhée ou de paralysie sont jugés suspects.
Philippe Poujol rappelle l’importance de l’identification, puis de la mise en observation de l’animal mordeur et du signalement à la DD (CS) PP. « Il y a une incubation pour cette maladie, grâce à laquelle il est possible d’instaurer un traitement postexposition. La prophylaxie est à mettre en place le plus rapidement possible (voir encadré page 29). »
Le premier volet de la stratégie contre la rage est la prévention du risque d’introduction, explique Alexandre Fediaevky, chef du bureau de la santé animale (DGAL). Elle se fonde sur les conditions du statut sanitaire des carnivores domestiques qui arrivent en France. Celui-ci est :
→ déterminé par la vaccination (protocole) et le titrage des anticorps antirabiques ;
→ garanti par l’identification et le certificat officiel ;
→ proportionné au risque (dispenses et dérogations possibles : titrage et Union européenne, âge, liste de pays, etc.) ;
→ vérifiable, grâce à la traçabilité des échanges commerciaux, les inspections aux frontières (contrôle ante ?) ; « celles-ci ne sont pas systématiques, nous n’en aurions pas les moyens, mais la notion de pression de contrôle est intéressante », ajoute Alexandre Fediaevky ;
→ sanctionnable avec des dispositions pénales.
En outre, la capacité de détection et de surveillance est essentielle. Il existe des introductions non conformes repérées à l’occasion de la conservation d’un animal, de l’observation des sujets mordeurs, des suspicions cliniques et du contrôle épidémiologique. « Ces différents motifs de surveillance sont liés au caractère polymorphe de la maladie », poursuit Alexandre Fediaevky. Les conditions sont adaptées au risque. Ainsi, la durée varie selon ce qui est surveillé : l’incubation pendant 6 à 12 mois, l’excrétion pendant 15 à 30 jours.
Les conditions de détention s’effectuent par isolement, au chenil ou au domicile du propriétaire (avec présentation au vétérinaire). « Ces modalités sont encadrées sur le plan réglementaire avec, parfois, des arrêtés préfectoraux. »
La détection de la rage prend appui sur le dépistage clinique via les vétérinaires praticiens. La confirmation passe par la mort de l’animal.
Lors de confirmation, les animaux suspects sont aussitôt éliminés. Plusieurs mesures sont immédiatement mises en place : zone réglementée et recherche des contacts, mobilisation des maires, de la police, des médias, etc. Les animaux contaminés sont mis sous surveillance ou euthanasiés s’ils ne sont pas valablement vaccinés.
Les animaux éventuellement atteints sont surveillés ou non s’ils sont valablement vaccinés.
La limitation de la propagation repose sur de multiples mesures :
→ la gestion des animaux errants avec le renforcement des captures (ceux-ci sont alors gardés huit jours au minimum, puis euthanasiés s’ils ne sont pas réclamés) ;
→ la circulation dans la zone de restriction est contrôlée (chats enfermés, chiens à l’attache ou enfermés) ;
→ la surveillance de la circulation des animaux vers ou depuis la zone de restriction (vaccination, conditions de cession, etc.) ;
→ la vaccination obligatoire si besoin ;
→ la protection des autres pays : une notification leur est adressée lors de cas de rage importé. Une suspension du statut officiel de pays indemne de rage pendant six mois est prévue lors de cas importé. Lors de cas autochtone, cette suspension s’élève à deux ans.
La diffusion de différents niveaux d’information est requise : avertir sur les risques des destinations, rendre plus accessibles les modalités relatives aux conditions de voyages, rappeler les motifs de signalement, expliquer la conduite à tenir lors de suspicion.
« Cette information peut être véhiculée par la formation initiale des vétérinaires, des auxiliaires et des agents de l’État, estime Alexandre Fediaevky. Les campagnes d’information sont aussi régulièrement diffusées auprès du grand public. »
« Nous avons l’impression d’un management de crise. Est-ce que ce n’est pas dû à la population que nous avons en charge ?, interroge Didier Guériaux (DGAL). Habituellement, nous avons affaire à des professionnels, des vétérinaires, des éleveurs, tandis qu’avec la rage, nous sommes face à des propriétaires d’animaux qui échappent davantage à notre formation. » « Effectivement, nous avons davantage de difficultés à entretenir ce volet d’information du grand public hors période de crise, reconnaît Alexandre Fediaevky. L’alerter constamment par rapport à quelque chose dont il ne voit pas la concrétisation risque de l’user. Il y a donc un effet d’aubaine. »
« Effectuez-vous des formations auprès des médecins des services d’urgence ? », demande, en outre, Bruno Naquet (Conseil supérieur de l’Ordre des vétérinaires). N’y a-t-il pas, en effet, une sous-information ou un déni de ces professionnels de santé qui, ne connaissant pas la problématique, n’envoient pas en surveillance l’animal mordeur lorsqu’ils sont confrontés à une morsure chez l’homme ?
« Nous devons porter les messages qui nous préoccupent auprès de nos homologues du ministère de la Santé. Cela s’inscrit dans un des volets de la DGAL relatif à la prévention des zoonoses », répond Alexandre Fediaevky. « Un groupe informel a été constitué à la suite de la crise de confiance autour de l’antibiotique, avec la volonté de créer un espace partagé entre le monde du médecin et celui du vétérinaire », conclut Didier Guériaux.
Le traitement de la porte d’entrée :
→ est trop souvent négligé ;
→ nécessite un lavage abondant pendant 15 minutes à l’eau et au savon (le virus de la rage est détruit par ce dernier), à défaut à l’eau claire, et un rinçage abondant ;
→ requiert une antisepsie (les dérivés iodés sont plus efficaces que les ammoniums quaternaires).
La prophylaxie postexposition :
→ ne comporte aucune contre-indication ;
→ est à débuter le plus tôt possible, mais sans délai maximum ;
→ s’effectue réglementairement dans les centres antirabiques (CAR) agréés par le ministère de la Santé. Il existe 63 CAR et 14 antennes antirabiques (AAR) en France métropolitaine.
→ En France, seule la voie intramusculaire est utilisée avec l’autorisation de mise sur le marché (AMM) selon deux protocoles : Zagreb (injections à J0, J7, J21) et Essen (injections à J0, J3, J7, J14, J28).
Concernant la prophylaxie postexposition immunoglobulines spécifiques, il existe 2 types d’immunoglobulines :
– les Ig humaines, très bien tolérées et onéreuses, majoritairement utilisées en France ;
– les Ig équine amputées du fragment Fc.
Leurs indications sont définies par l’OMS.
• La rage est toujours une maladie d’actualité. Il convient de toujours la garder en mémoire, notamment dans le diagnostic différentiel des affections neurologiques, même pour des animaux qui n’ont pas quitté le territoire.
• Les bons réflexes face à une morsure, une importation illégale, etc., contribuent à ce que des situations gérables ne deviennent pas catastrophiques.
• Les cas de rage humaine sont pratiquement toujours évitables grâce à une prophylaxie rapide, adaptée, menée à terme.
• Dans les pays indemnes de rage terrestre, les chauves-souris, les animaux illégalement importés en provenance de pays d’endémie, et ceux errants non identifiables sont considérés comme à risque. Les animaux désorientés, agressifs au changement brutal de comportement, atteint de sialorrhée ou de paralysie, sont jugés suspects.
• La détection de la rage repose sur le dépistage clinique via les vétérinaires praticiens. La confirmation passe par la mort de l’animal. Lors de confirmation, il y a une élimination immédiate des animaux suspects. Plusieurs mesures sont aussitôt mises en place : zone réglementée et recherche des contacts, mobilisation des maires, de la police, des médias, etc.
• La lutte contre les fraudes et les contrôles aux frontières mérite d’être renforcée.
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