Un projet d’arrêté classe la kétamine en stupéfiant - La Semaine Vétérinaire n° 1620 du 06/03/2015
La Semaine Vétérinaire n° 1620 du 06/03/2015

1965-2015 : jubilé de la kétamine

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Auteur(s) : Éric Vandaële

L’Agence nationale du médicament vétérinaire (ANMV) a donné un avis favorable au classement de la kétamine injectable comme stupéfiant.

Année 1965, naissance de la kétamine comme anesthésique vétérinaire. En 2015, la kétamine fête donc ses 50 ans. Pas un seul praticien en exercice n’ignore cet anesthésique devenu l’un des plus sûrs et courants de la médecine vétérinaire. Un laboratoire américain l’a d’abord développée comme anesthésique de guerre pour l’homme. Et elle a été utilisée durant le conflit du Viêtnam sans besoin d’équipement de réanimation. Très sûre d’emploi, la kétamine est encore employée en pédiatrie pour des anesthésies de courte durée.

Mais ce jubilé est marqué par un projet d’arrêté qui classe la kétamine comme stupéfiant. Les deux agences du médicament humain (ANSM) et vétérinaire (Anses-ANMV) y sont favorables. L’ANMV recommande toutefois « une information préalable des vétérinaires, des distributeurs en gros et des laboratoires », sur la réglementation des stupéfiants1.

16 % des toxicomanes du Grand Ouest

L’Anses note toutefois que le lancement des médicaments à base de fentanyl (Recuvyra® et Fentadon®) et de méthadone (Comfortan®) ont déjà permis aux centrales, aux laboratoires concernés et aux vétérinaires canins de se familiariser avec la réglementation sur les stupéfiants. Mais ce n’est pas encore le cas des vétérinaires mixtes ou ruraux, ni de tous les distributeurs en gros.

Ce classement de la kétamine en stupéfiant est justifié par sa « banalisation » chez les toxicomanes. Cette drogue a quitté les « cercles d’initiés » où elle était auparavant marginalisée pour se diffuser plus largement dans des milieux plus jeunes. La kétamine n’induit pas de dépendance. Elle est désormais considérée comme une drogue sûre, « sans problème » par presque tous ses usagers.

Dans les centres d’accueil des drogués, 8,6 % des toxicomanes déclarent avoir pris de la kétamine dans le dernier mois écoulé. Mais les milieux parisiens en consomment peu (2,8 %) par rapport à ceux de l’Ouest (16 %) et du Grand Sud-Ouest (17 %).

40 à 50 € le gramme

L’origine “vétérinaire” de la kétamine reste toutefois très minoritaire par rapport aux importations du Royaume-Uni, d’Inde (en bidons de 1 à 10 l), voire d’Espagne pour les usagers du Sud-Ouest. Selon les régions, elle se négocie entre 40 et 50 € le gramme lorsqu’elle est disponible, ce qui n’est pas toujours le cas.

Les stocks déjà sous clé

Depuis 1997, la kétamine, comme d’ailleurs la tilétamine, est classée comme stupéfiant sauf… pour les préparations injectables qui sont restées en liste I des substances vénéneuses. Toutefois, deux obligations supplémentaires liées à la réglementation des stupéfiants s’appliquent déjà à ces deux anesthésiques dissociatifs.

D’une part, les stocks doivent être détenus sous clé dans un local ou une armoire à sécurité renforcée ne contenant que des stupéfiants.

D’autre part, les vols et les détournements doivent être signalés à la police, à l’agence régionale de santé (ARS) et à l’ANSM (unité stupéfiants et psychotropes).

En outre, les autorisations de mise sur le marché (AMM) des médicaments vétérinaires prévoient un « usage exclusif par le vétérinaire » de la kétamine, ce qui « interdit toute délivrance au public », notamment aux éleveurs pour les opérations de castration qu’ils sont autorisés à pratiquer.

Le registre comptable des stupéfiants

Le classement comme stupéfiant imposera surtout la tenue d’un rigoureux « registre comptable », papier ou informatique, des quantités entrées (x flacons de 10 ml, soit 1 000 mg de kétamine livrée par les centrales) et sorties (3 ml, soit 300 mg de kétamine utilisée le…). Les praticiens canins qui utilisent déjà le fentanyl (Fentadon®, Recuvyra®) ou la méthadone (Comfortan®) y sont sensibilisés, mais pas les ruraux. Dans le registre des stupéfiants, les noms des fournisseurs ou des utilisateurs ne sont pas obligatoirement notés. Sa finalité est surtout comptable afin de repérer des détournements, alors que le registre pharmaceutique habituel trace les médicaments délivrés au détail pour permettre des rappels de lot. Dans le registre comptable, le vétérinaire devrait réaliser une balance mensuelle des entrées et sorties et un inventaire annuel. Le registre est conservé 10 ans.

Une ordonnance sécurisée théorique

En théorie, la double réglementation sur le médicament vétérinaire et les stupéfiants obligerait à ce que toute administration de stupéfiant par le praticien fasse l’objet d’une ordonnance sécurisée remise au propriétaire de l’animal. En effet, le décret prescription-délivrance de 2007 oblige les vétérinaires, mêmes canins, à remettre des ordonnances aux propriétaires en y mentionnant les noms des médicaments qu’il a administrés lui-même (comme pour la kétamine ou d’autres anesthésiques, solutés massifs, etc.). Et le décret Kouchner de 1999 oblige à ce que les stupéfiants soient prescrits sur des ordonnances sécurisées. L’addition de ces deux obligations est contraire à l’objectif recherché par la sécurisation des ordonnances des stupéfiants. Car prescrire sur une ordonnance sécurisée des stupéfiants déjà administrés par le vétérinaire pourrait laisser croire à tort à un pharmacien peu averti qu’il peut vendre au propriétaire de l’animal ces médicaments. Alors que leur AMM en interdit déjà toute délivrance au public. Au minimum, le vétérinaire qui remet de telles ordonnances peut y ajouter la mention « ne pas délivrer » pour éviter de telles méprises.

Indépendamment de tous ses freins réglementaires, le classement de la kétamine comme stupéfiant est un symbole fort. Cela conduira probablement à en réduire son usage, aujourd’hui courant chez les animaux.

  • 1 Avis de l’Anses relatif à une proposition de classement des préparations injectables de kétamine comme stupéfiant.

  • 1 Observatoire français des drogues et des toxicomanies (2014). L’usage de kétamine en France : tendances récentes (2012-2013).

Les médicaments visés

Les spécialités vétérinaires à base de kétamine concernées par le projet de classement en stupéfiants sont les suivantes :

– Imalgene® 500 et 1 000 (Merial) indiqué chez les bovins, les ovins, les caprins, les porcins, les équins, en sus des chiens, des chats, des cobayes et des oiseaux,

– Clorketam® 1 000 (Vétoquinol) pour les chiens, les chats et les cobayes,

– Kétamine® 500 et 1 000 (Virbac) indiquée chez les chiens, les chats et les rongeurs,

– Ketamidor® 100 mg/ml (Axience) destiné aux bovins, aux porcins, aux équins, en sus des chiens et des chats,

– Anesketin® 100 mg/ml (Dechra) pour les chiens, les chats et les équins.

La kétamine a des limites maximales de résidus (LMR) fixées dans les productions animales, d’où les indications chez les ruminants, les porcs et les équidés. L’Anses recommande donc de sensibiliser les vétérinaires ruraux qui utiliseraient la kétamine à la tenue du registre comptable dans un contexte ambulatoire où cet anesthésique dissociatif peut être détenu en petites quantités dans les voitures.

Associée au zolazépam, la tilétamine (Zoletil®, Virbac) n’est pas concernée par ce projet de classement en stupéfiant.

La « dédiabolisation de la kétamine qui ne fait plus peur »

Une note de juin 2014 de l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT) rapporte les tendances récentes sur l’usage de la kétamine en 2012 et 20131. Cette note justifie probablement le projet d’arrêté de classement de la kétamine en stupéfiants.

L’usage détourné de la kétamine par les toxicomanes est apparu à la fin des années 1990. Il était initialement circonscrit à une minorité d’une population nomade (appelée « travellers »). Et la drogue « mythique » avait plutôt une « mauvaise réputation ». C’était « une drogue dangereuse », « un anesthésique de cheval » pour des « expérimentateurs fous ». En outre, ses effets « dissociatifs », « euphorisants », « hallucinogènes », d’« ivresse cotonneuse » tendent à « dissocier » et donc à « isoler l’usager “zombie” du reste du groupe », ce qui est généralement l’inverse de l’esprit de « communauté » recherché dans les milieux festifs où elle était le plus souvent consommée. Son image était donc plutôt négative.

Une drogue sans dépendance

Mais, aujourd’hui, « son statut de “médicament” rassure ». Ses effets sont mieux maîtrisés et elle est consommée à petites doses. L’image est donc devenue beaucoup plus positive. La brièveté de ses effets (20 à 40 min) est un atout, tout comme le fait qu’elle ne soit pas détectée dans les tests salivaires. Il serait donc possible à un usager de conduire après une consommation de kétamine sans être positif en cas de test. Elle est « sniffée » sous forme de poudre par 75 % de ses usagers, plus rarement injectée (32 %). Après avoir progressé, la voie injectable, plus difficile à maîtriser, semble beaucoup régresser. La voie orale n’est presque pas employée (5 % des usagers).

La kétamine n’induit pas de dépendance contrairement à d’autres drogues. Et les risques sanitaires liés aux effets pharmacologiques directs (perte de conscience, coma à haute dose) sont en nombre réduit. Son danger est réel, mais surtout indirect. Les affections les plus fréquentes associées à cette drogue sont des blessures, des coupures ou des fractures liées au comportement d’« ivresse kétaminée ». Les lésions sont d’autant plus graves parfois que l’usager « halluciné » sous kétamine « ne ressent pas la douleur » et subit des troubles de la vision.

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