Géraldine Blanchard : « Les propriétaires attendent un vrai conseil en nutrition » - La Semaine Vétérinaire n° 1637 du 03/07/2015
La Semaine Vétérinaire n° 1637 du 03/07/2015

ENTRETIEN

Pratique canine

L’ACTU

Auteur(s) : Valentine Chamard

Si elle est reconnue depuis 2014 comme une spécialité à part entière en France, la nutrition clinique vétérinaire peine à intéresser les praticiens, regrette notre consœur.

Quelle est la place de la nutrition dans les cliniques ?

Les vétérinaires nutritionnistes sont malheureusement rares en France. Nous sommes une dizaine de spécialistes diplômés de l’European College of Veterinary and Comparative Nutrition (ECVCN) et je suis la seule à exercer en dehors du cadre universitaire ou des industries du pet food. Les vétérinaires généralistes devraient pouvoir formuler une ration pour 80 % des cas présentés (90 % pour les titulaires d’un certificat d’études supérieures et 99 % pour les spécialistes). Les praticiens, me semble-t-il, pensent souvent faire de la nutrition dès lors qu’ils parlent de croquettes et en vendent. Or la nutrition va au-delà…

Comment expliquer cet engagement encore restreint des confrères ?

La nutrition souffre d’une mauvaise image auprès des confrères, qui lui reprochent de « ne pas faire assez docteur » d’une part, et qui ont en mémoire les calculs de rations pour vaches laitières, d’autre part. Les confrères ne se forment donc pas, lui préférant d’autres disciplines. Même si les esprits évoluent, les formations en nutrition clinique n’attirent pas les vétérinaires, qui recherchent des solutions simples. Or la nutrition, ce n’est pas simple ! C’est l’une des raisons pour lesquelles j’ai créé un site1 qui permet d’établir facilement des rations sur mesure, adaptées aux habitudes alimentaires de chaque animal, pour les rations ménagères comme pour l’alimentation industrielle, mais aussi en prenant en compte les à-côtés et les friandises. Ce que beaucoup de vétérinaires ont du mal à faire ou à faire assez vite pour que cela s’inscrive dans le temps d’une consultation !

Que préconisez-vous pour que la nutrition soit mieux valorisée ?

Le vétérinaire devrait être le prescripteur, le détenteur d’un savoir-faire. La formulation d’une ration devrait être un service professionnel indépendant, adapté à chaque animal et à chaque propriétaire, et rétribué en tant que tel. Les clients sont prêts à payer pour cette prestation, plus rémunératrice que la vente d’aliments pour le vétérinaire. Ce conseil, qui inclut l’étude de la composition nutritionnelle, l’équilibre global et la quantité d’aliments consommés, n’est pas forcément associé à la vente d’un aliment, domaine dans lequel le vétérinaire n’est pas concurrentiel. En revanche, si celui-ci vend du conseil, il sera totalement gagnant en termes d’image. La seule vente d’aliments, sans prescription associée, galvaude le capital confiance que les propriétaires placent dans le vétérinaire.

Quel regard portez-vous sur l’éclosion des sociétés tournées vers l’alimentation animale, tenues par des non-vétérinaires2 ?

La nature a horreur du vide. Il existe un besoin, et le consommateur se tourne vers ceux qui y répondent… ou prétendent le faire. Cette situation n’existerait pas si les praticiens étaient conscients que la nutrition est une spécialité… vétérinaire !

Comment savoir si un aliment industriel est de qualité ?

C’est très difficile ! La loi n’indique que des contraintes minimalistes en termes nutritionnels. Un aliment dit complet, étiquette à l’appui, obéit donc à des recommandations qui peuvent être insuffisantes. En effet, entre ces contraintes minimalistes et les formulations optimales, tout un panel d’aliments est possible. Globalement, on ne peut juger de la qualité d’un aliment d’après son étiquette. On peut écarter un aliment ne couvrant pas au moins les besoins sur la base de l’étiquette. Pour aller plus loin, il faudrait cependant connaître en plus l’apport de tous les nutriments (une quarantaine) et la digestibilité in vivo de l’aliment (on peut l’estimer indirectement par la quantité de selles émises pour 100 g de matière sèche consommée). Plus qu’une étiquette, le meilleur reflet de la qualité d’un aliment est sa consommation par l’animal et son retentissement sur son poil, son tonus, son haleine et sa masse musculaire.

Que pensez-vous des rations entièrement industrielles ?

La distribution de croquettes est pratique et si ces dernières sont adaptées, cette solution peut parfaitement convenir, notamment chez le chien adulte. En revanche, la vision qui consiste à les considérer comme une référence en matière d’alimentation me perturbe. Comment peut-on estimer que la norme physiologique d’un être vivant soit de ne manger que des croquettes ? Je n’ai pas de jugement de valeur sur ces produits, j’en prescris, mais je pense qu’il faut savoir prendre de la distance. Par ailleurs, si certaines maladies, notamment de carences, ont disparu grâce à l’alimentation industrielle, force est de constater que de nouvelles sont apparues, comme les MICI3. L’étude de la flore intestinale du jeune carnivore encore allaité qui consomme de l’amidon alors que son activité amylasique est très faible (avant 6 semaines) apportera peut-être des pistes. Les connaissances sur les interactions entre la flore intestinale et l’hôte, présentes dès la période d’allaitement, en sont encore à leurs balbutiements.

Déplorez-vous le discours moralisateur de certains praticiens ?

Les propriétaires se font souvent réprimander si, en complément des croquettes, ils donnent à leur animal des friandises ou de la pâtée (« Vous achetez de l’eau ! »). Or il est tout à fait possible d’associer la distribution d’un morceau de viande ou de poisson à un aliment industriel. C’est ce que font 30 % des possesseurs de chats. Tout est possible, c’est une question de quantité et d’équilibre global. Quant à distribuer des friandises, c’est une habitude pour 90 % des propriétaires de chiens. Il ne faut pas oublier que ce sont des animaux de compagnie et qu’on ne peut culpabiliser les propriétaires pour cela. Le rôle du vétérinaire ne devrait pas être de juger mais de s’adapter, de proposer des solutions, en indiquant des quantités, et en prescrivant par exemple un complément minéralo-vitaminique pour équilibrer la ration qui contient de la viande ou du poisson. Les propriétaires seront alors ravis d’avoir une solution adaptée à leur façon de nourrir leur animal. Quant à la ration ménagère, je ne compte plus les vétérinaires qui y sont opposés. Certes, la méconnaissance génère des erreurs. Par exemple, la ration ménagère à la composition simpliste d’un tiers de viande pour un tiers de riz et un tiers de légumes est encore prescrite. Or, carencée en acides gras essentiels, minéraux, vitamines et oligo-éléments, il lui manque 40 % des nutriments indispensables. Elle représente une garantie de pathologie à long terme, alors que le propriétaire n’attend qu’une chose : que le vétérinaire joue son rôle de conseil et lui propose des recettes équilibrées… et pas gratuitement !

Quelles sont les avancées majeures en matière de nutrition vétérinaire ?

Depuis 2011, les besoins en protéines du chat ont été revus. Jusqu’alors, le paramètre de référence pour étudier ce besoin était la rétention azotée. Mais le maintien de la masse maigre est bien plus physiologique. Or le besoin minimal en protéines du chat est de 5,2 à 6 g par kg par jour pour maintenir sa masse maigre (bien supérieur au 1,5 g de protéines par kg par jour nécessaire pour une balance azotée nulle). Cela remet en cause toutes les tables de recommandations actuelles ! Quant aux études récentes marquantes chez le chien, je citerai la comparaison des fonctionnalités génétiques du loup et du chien (seulement 36 variants d’écart, incluant les gènes de la domestication, la capacité à digérer l’amidon et le métabolisme des lipides), qui montre que le chien est un carnivore adaptatif, qui accepte l’amidon mais préfère lipides et protéines.

  • 1 www.cuisine-a-crocs.com.

  • 2 Magasins dédiés, sociétés de “conseillers en nutrition” à domicile (telles que Yuccana), campagnes commerciales de dénigrement des compétences des vétérinaires (https://youtu.be/uOZSb_2K0TY), etc.

  • 3 Maladies inflammatoires chroniques de l’intestin.

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L’ouvrage ECG du chien et du chat - Diagnostic des arythmies s’engage à fournir à l’étudiant débutant ou au spécialiste en cardiologie une approche pratique du diagnostic électrocardiographique, ainsi que des connaissances approfondies, afin de leur permettre un réel apprentissage dans ce domaine qui a intrigué les praticiens pendant plus d’un siècle. L’association des différentes expériences des auteurs donne de la consistance à l’abord de l’interprétation des tracés ECG effectués chez le chien et le chat.

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