Dossier
Auteur(s) : Chantal Béraud
Pratique en plein développement, la médiation animale semble appelée à recourir davantage aux compétences des vétérinaires dans le futur. Les deux mondes de la santé humaine et animale se rejoignent ici à un passionnant carrefour, dédié au mieux-être d’autrui.
Des chats en maison de retraite. Des chiens qui se font brosser par des mamies atteintes d’Alzheimer. Bienvenue dans le monde de la médiation animale ! Un monde où les animaux de ferme côtoient régulièrement des publics handicapés de toutes sortes. Boris Albrecht, directeur de la Fondation Adrienne-et-Pierre-Sommer1, présente cet univers créatif. « La médiation animale, explique-t-il, c’est la recherche d’interactions positives issues de la mise en relation entre l’homme et l’animal dans le domaine médical, social et éducatif. Les chiens et les chevaux sont les plus utilisés. Sous l’égide de la Fondation de France, nous informons, finançons des initiatives et soutenons la recherche en la matière. J’en profite pour annoncer que le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) va prochainement ouvrir un laboratoire dédié à la médiation animale, avec notre appui. »
« En France, poursuit Boris Albrecht, c’est un vétérinaire, le Dr Ange Condorcet, qui, dès les années 1970, a commencé à théoriser et à écrire sur ces pratiques. Mais personne dans sa profession n’a pris son relais. D’après la législation, ces activités doivent respecter les lois sur le handicap et le Code rural. Toutefois, rien n’est totalement reconnu ni labellisé nationalement. Actuellement, nous encourageons les acteurs de terrain à nous aider à dessiner les grandes lignes des bonnes pratiques. Dans ce sens, nous travaillons avec des agences régionales de santé (ARS), en Champagne-Ardenne et en Auvergne, pour bâtir des cahiers des charges correspondant à des interventions de qualité. » Les vétérinaires ont-ils un rôle à y jouer ? « Oui, car ce sont eux les garants de la santé de l’animal. Aujourd’hui, cette profession s’implique dans les soins et dans le conseil comportemental. Mais elle pourrait être davantage active en matière de prévention. Par exemple, à Tarbes (Hautes-Pyrénées) est installée une ferme qui accueille des visites d’handicapés mentaux. Une vétérinaire a fait le débriefing d’une séance filmée et elle a conseillé de réajuster une pratique, quand un animal a manifesté un signe de stress. Oui, je crois qu’un travail pluridisciplinaire reste à promouvoir entre les médecines humaine et animale. »
La formation en médiation animale ne suit pas toujours des voies formelles. « Certaines personnes s’autoproclament zoothérapeutes après une seule semaine d’enseignement, confirme Boris Albrecht. Personnellement, nous considérons comme thérapeutes des professionnels investis dans la médiation animale mais qui sont déjà thérapeutes dans leur métier premier de médecin, de psychiatre, d’infirmier, etc. Plus de 52 structures proposent des formations pour un métier qui n’existe pas vraiment. Certains professionnels de médiation animale forment des gens autour d’eux, car ils n’arrivent pas à vivre pleinement de leurs activités. Depuis janvier 2014, un diplôme est cependant reconnu, celui d’équicien, créé à l’initiative d’Handi Cheval2. Enfin, il existe aussi cinq diplômes universitaires (DU), comme celui de Paris-Descartes et celui du Dr Didier Vernay, en Auvergne. » Ce dernier, neurologue attaché au centre hospitalier universitaire (CHU) de Clermont-Ferrand, membre de l’association française pour la médiation animale Licorne et Phénix, est responsable pédagogique du DU Rama (relation d’aide par la médiation animale). « Cette formation, explique-t-il, s’adresse à des personnes qui pratiquent déjà la médiation animale et qui souhaitent analyser leurs pratiques. Parmi elles figurent des éducateurs canins, des aides-soignantes et des assistants vétérinaires. Chaque année, un ou deux vétérinaires suivent aussi ce cursus annuel de trois semaines, dispensé à la faculté de médecine3. » Une discipline sensible, qu’il convient, selon lui, d’aborder dans un esprit total d’ouverture, sans être trop ancré dans une attitude mentale de “sachant”. « Il est parfois difficile pour un vétérinaire de pénétrer une logique différente. Là, il n’est pas dans une salle de consultation, où il doit développer un savoir-faire. Le principe consiste en la mise en œuvre d’un savoir-être dans une relation d’aide. Nous mettons en présence une personne en situation de handicap avec un animal au top de sa forme. D’où il résulte parfois une chaîne d’interactions magiques entre le malade, l’intervenant, le soignant, qu’on ne parvient pas à obtenir par d’autres moyens. C’est le fruit d’un énorme travail, où il est important d’être présent et absent à la bonne dose. Nous entrons dans un champ relationnel différent, que l’animal permet de créer. Il faut s’autoriser à ne pas savoir pour changer la longueur d’onde d’interprétation. Un vétérinaire qui voudrait vraiment s’engager devrait observer in situ, en étant partie prenante sur le terrain. Le problème est qu’il s’agit d’un travail chronophage, dans un domaine pour lequel il n’existe pratiquement pas de financement. »
Praticienne à Pont-du-Château (Puy-de-Dôme) et intervenante au DU Rama, Mélanie Martin-Teyssere est justement l’une de ces vétérinaires qui s’impliquent sur le terrain. « J’ai d’abord rédigé une thèse sur les fermes pédagogiques, parce que j’y ai travaillé comme animatrice et parce que j’ai aussi été employée dans un centre social. Un animal qui ne juge pas permet d’ouvrir le dialogue, de mettre en confiance. Par exemple, je connais une orthophoniste qui travaille avec son chien dans son cabinet, notamment pour entrer en contact avec des enfants autistes qui autrement vivent dans leur bulle… »
À quoi doit veiller un vétérinaire en termes de zoonose ? « En ferme pédagogique, il faut juste répondre aux obligations sanitaires classiques. J’avais développé dans ma thèse quelques recommandations supplémentaires, comme d’arroser la cour de la ferme avant l’arrivée des enfants, pour qu’il y ait moins de poussière ou qu’ils aient moins de choses à porter à leur bouche. En revanche, je m’oppose à de la médiation faite avec un reptile, en raison de transmissions virales et bactériologiques qu’on ne sait pas gérer. » Concernant les conseils d’hygiène d’un chien, « il convient, au minimum, d’en discuter avec son maître, pour savoir dans quelles activités il est impliqué. Un chien qui fréquente un service de soins palliatifs en hôpital doit être brossé tous les jours, lavé et vermifugé tous les mois. Dans un autre cas, avec le médecin hygiéniste du CHU de Clermont-Ferrand, nous avons mis en place un protocole qui détaille, bien sûr, les traitements, mais aussi quelle est la solution de repli si le chien est malade, qui lui donne à manger, etc. ». Certaines actions sont aussi à encadrer : « Par exemple, des patients aiment bien quand un chien les lèche. Il suffit d’établir un rituel de lavage des mains après… »
Comment juger du bien-être de l’animal ? « En maison de retraite, un chien placide, qui accepte le contact, est indiqué. En revanche, un travail avec des adolescents difficiles demande un chien capable de répondre avec davantage d’énergie. Par ailleurs, certains animaux supportent ou pas les odeurs particulières des hôpitaux… C’est pourquoi les médiateurs possèdent souvent plusieurs chiens avec des caractères différents. L’idéal est d’observer le comportement de l’animal avant, pendant et après son activité de médiation, soit directement, soit en visionnant un film. Chaque animal a son propre rythme de travail. Quant aux pathologies observables, il s’agit de plaies de léchage, de troubles digestifs, de l’alimentation, du sommeil ou tous les signes liés à l’anxiété. Si nécessaire, le vétérinaire doit prononcer des arrêts de travail ou conseiller la mise à la retraite du chien. Certaines situations d’échec peuvent aussi être palliées via des réajustements de pratiques. Par exemple, ce chien vivant en maison de retraite était devenu dépressif par manque d’un référent humain. Pour le guérir, il suffisait qu’il ne dorme plus tout seul dans le hall de l’établissement. »
« Enfin, précise Mélanie Martin-Teyssere, j’ai suivi une formation auprès du Dr Nathalie Simon [voir paragraphe suivant]. Elle ne se focalise pas sur la pathologie : elle cherche plutôt à comprendre là où ça pêche dans l’interaction entre l’homme et l’animal. Cette manière d’agir influence jusqu’à ma pratique quotidienne : désormais, je suis plus attentive aux demandes des propriétaires. Je réfléchis aux comportements qu’ils attendent de leurs animaux, dans quel contexte familial ils évoluent, et j’essaie de trouver une solution qu’ils acceptent de mettre en pratique. Du coup, je connais moins d’échecs dans ma clientèle. »
Vétérinaire généraliste et comportementaliste en Loire-Atlantique, Nathalie Simon distingue deux niveaux d’intervention en médiation : « Il s’agit soit d’aider une structure à se doter d’une activité en relation avec l’animal, soit d’aider le propriétaire d’un animal à améliorer leurs conditions de vie commune. Mon programme intitulé “Le chien, compagnon pour l’insertion” est destiné aux propriétaires n’ayant pas de logement ou seulement un logement précaire. L’animal peut être un atout pour leur permettre d’avancer dans la vie, de se reconstruire, à condition de respecter des conditions spécifiques. Cela suppose que le vétérinaire ou l’éducateur canin forme un duo avec le travailleur social référent de la personne. J’ai en particulier collaboré, près de Nantes, avec l’association Saint-Benoît à une expérience pilote concernant les chiens des sans domicile fixe (SDF), financée par la Fondation Adrienne-et-Pierre-Sommer. » Car si les chiens de rue apportent réconfort, chaleur, sécurité à un SDF, ils gênent aussi parfois l’approche des travailleurs sociaux. « Lors des maraudes, si la personne semble inconsciente, il ne faut pas essayer de la toucher sans tenir compte du chien ! J’apprends aux travailleurs sociaux à détecter les comportements à risque. Une méfiance de l’animal, ça se voit dans son regard. Si le SDF accepte son interlocuteur (travailleur social ou vétérinaire), les chiens peuvent être, au contraire, faciles à traiter, et même devenir un moyen pour nouer le contact, pour responsabiliser la personne. » De même, passer de la rue à un autre style d’hébergement suppose une évolution commune par étapes. « Un suivi santé, notamment, est nécessaire : on trouve des cas de gale, des teignes dans les squats. Et quand des appartements sont envahis par des puces, les bailleurs sociaux ne veulent naturellement plus les louer ! Le chien et son maître doivent aussi réapprendre en quoi consistent un toit, des murs, une porte, etc. Il est également important d’éviter certains traumatismes : si le SDF oublie son chien et le laisse enfermé trop longtemps dans son nouvel appartement ou le punit en revenant, l’animal n’aura naturellement plus confiance dans le retour de son maître. Il convient d’envisager les étapes de suivi nécessaires pour la personne et son chien en amont. Généralement, en trois ou quatre rendez-vous, les obstacles sont surmontés. Si le monde politique voulait investir un peu d’argent et de volonté dans ce genre d’action, nous éviterions bien d’autres problèmes, dont des maltraitances. » Grâce à ce programme, de nombreux centres d’accueil pour SDF de Loire-Atlantique acceptent désormais d’héberger les SDF et leurs chiens. Ailleurs, à Reims, un Fonds international pour la protection des animaux (IFAW) mène aussi une action importante pour que les travailleurs sociaux utilisent les chiens de SDF comme moyen de médiation.
« Plus globalement, précise Nathalie Simon, j’ai développé des formations pour les vétérinaires et les assistantes vétérinaires de conduite accompagnée vétérinaire (CAV)4. Le niveau 1 a pour objectif d’aider un propriétaire à éduquer un chiot dès son acquisition. Celui de CAV 2 permet de diagnostiquer et de rattraper autant que possible des erreurs éducatives vécues par des chiots. Enfin, en CAV 3, j’apprends aux vétérinaires à utiliser un logiciel Evaleha, qui permet d’évaluer les situations de vie avec des chiens de toutes sortes. Les cas de médiation animale avec des chiens sont très intéressants à étudier grâce à cette méthode. »
3 Contact : durama63@gmail.com.
« Près de 10 % des prisons françaises mènent une activité liée à la médiation animale », indique Boris Albrecht, directeur de la Fondation Adrienne-et-Pierre-Sommer. Des sorties en centres équestres sont organisées pour les détenus en courte peine. La maison d’arrêt de Strasbourg accueille des chiens visiteurs et héberge une ménagerie avec lapins, cobayes, etc. Pour les longues peines, un travail éthologique est mené à la maison centrale d’Arles. Il s’agit d’un face-à-face avec des chevaux camarguais : le détenu doit réaliser un parcours à pied avec l’animal, en collaborant avec lui pour franchir les obstacles. « Cela l’oblige à savoir se placer par rapport au cheval, à travailler sa voix, etc. Si le contact passe mal, c’est qu’il y a un problème. » Un psychologue travaille par ce biais avec le détenu sur le ressenti des émotions, son comportement, etc. « Quant à l’association Handi’chiens, elle fait participer des prisonniers à l’éducation de chiens destinés à être remis à des personnes handicapées, complète Boris Albrecht. Prochainement, des femmes du centre de détention de Rennes vont même assurer, de A à Z, l’éducation de chiots jusqu’à leurs 24 mois. » C’est aussi un moyen de lutter contre le suicide des détenus.
L’achat des médicaments et des aliments de qualité pose problème pour soigner les animaux des personnes démunies. « Souvent les vétérinaires essaient de repérer, comme ils le peuvent, les propriétaires pauvres qui sont de bonne foi », témoigne à cet égard Claude Paolino, vétérinaire à Six-Fours-les-plages (Var). « Généralement, nous facturons 30 % moins cher, nous faisons cadeau de boîtes d’antiparasitaires en limite de péremption, etc. J’ai plusieurs fois traité des chiens de SDF. On voit de tout : il y a des gens faciles, gentils… mais quelques-uns sont agressifs. Leur attitude en salle d’attente est un facteur important. » Autres problèmes : les SDF procèdent parfois entre eux à des échanges de chiens non identifiés. Et comme ces animaux constituent souvent leur famille, ils sont généralement opposés à toute stérilisation.
« En tout cas, j’essaie de responsabiliser les propriétaires en les faisant quand même payer un minimum, poursuit Claude Paolino. Parfois, des factures ne sont pas réglées. En revanche, je ne sais pas comment arrêter le virement de 10 € que me verse depuis des mois un SDF, car il a disparu depuis ! En fait, tout dépend de combien de clients de ce genre fréquentent un cabinet. Certains confrères sont débordés… Seules, les cliniques ne peuvent malheureusement que réaliser une aide ponctuelle qui s’apparente à du bricolage. »
Nouveau : Découvrez le premier module
e-Learning du PointVétérinaire.fr sur le thème « L’Épanchement thoracique dans tous ses états »
L’ouvrage ECG du chien et du chat - Diagnostic des arythmies s’engage à fournir à l’étudiant débutant ou au spécialiste en cardiologie une approche pratique du diagnostic électrocardiographique, ainsi que des connaissances approfondies, afin de leur permettre un réel apprentissage dans ce domaine qui a intrigué les praticiens pendant plus d’un siècle. L’association des différentes expériences des auteurs donne de la consistance à l’abord de l’interprétation des tracés ECG effectués chez le chien et le chat.
En savoir plus sur cette nouveauté
Découvrir la boutique du Point Vétérinaire
Retrouvez les différentes formations, évènements, congrès qui seront organisés dans les mois à venir. Vous pouvez cibler votre recherche par date, domaine d'activité, ou situation géographique.
Recevez tous les jours nos actualités, comme plus de 170 000 acteurs du monde vétérinaire.
Vidéo : Comment s'inscrire aux lettres d'informations du Point Vétérinaire