L’ENQUÊTE DU MOIS
Auteur(s) : Déborah Culang*, Nadia Haddad**
Fonctions :
*ENVA.
**Unité pédagogique maladies contagieuses. ENVA, Anses, Inra, UMR Bipar.
La féminisation de la profession vétérinaire est très marquée en France et en Europe depuis une vingtaine d’années. Ce métier est traditionnellement exercé en libéral, mais le salariat est aussi pratiqué. La problématique de l’organisation et de la gestion du travail amène les consœurs à s’interroger sur les conditions d’une grossesse en harmonie avec leur activité (prise en charge, congé maternité, remplacement, etc.). Une étude a comparé les situations.
Actuellement, vaut-il mieux exercer en tant que salariée ou en tant que libéral pendant la grossesse, pour une vétérinaire praticienne ? Afin de répondre à cette question, un état des lieux reposant sur la perception par les femmes des avantages et des inconvénients de leur statut dans un contexte de grossesse était donc important à réaliser. L’objectif est d’apporter quelques informations aux praticiennes, voire de leur donner des conseils. L’enquête menée pour une thèse de doctorat vétérinaire de l’École nationale vétérinaire d’Alfort livre ses résultats.
Les femmes enceintes, quel que soit leur statut professionnel, peuvent bénéficier d’un congé maternité. Lors de leur première grossesse, 93,9 % des praticiennes salariées et 76,7 % de celles exerçant en libéral prennent de facto un congé maternité, soit une proportion élevée pour chaque statut. Cependant, les femmes salariées le font plus souvent. En outre, ces dernières sont plus fréquemment satisfaites par la durée de leur congé maternité (65,4 %) que les femmes en libéral (25,7 %). Ces résultats étaient prévisibles. En effet, la Sécurité sociale offre au minimum 16 semaines de congé maternité, alors que le Régime social des indépendants (RSI) accorde au maximum 15 semaines.
D’autre part, des différences significatives existent entre les statuts en libéral quant à la durée du congé maternité (infographie page 49). Cette durée est discriminante entre les trois statuts. De façon schématique (et statistiquement significative), à chacun d’entre eux est associée une durée de congé maternité. Les praticiennes en exercice individuel ont plus fréquemment une durée de congé inférieure à un mois, alors qu’à l’association correspond généralement un congé compris entre un et trois mois et qu’enfin la collaboration libérale permet plus souvent de bénéficier de plus de trois mois. Cependant, quel que soit le statut, la durée du congé maternité des praticiennes libérales reste, dans la très grande majorité des cas, inférieure à celle des salariées.
La Sécurité sociale et le RSI prévoient de verser aux femmes, respectivement salariées et en libéral, une indemnité journalière pendant la durée de leur congé maternité. L’enquête montre que les salariées sont plus satisfaites par ce montant (77,4 % de satisfaction) que leurs consœurs en libéral (seulement 23 %). Les salariées peuvent percevoir la quasi-totalité de leur salaire pendant leur congé maternité, à condition de gagner moins de 3 170 € brut mensuel, montant correspondant au plafond de la Sécurité sociale. Le RSI propose une indemnité qui varie selon la durée. Par exemple, pour 74 jours de congé maternité, la praticienne en libéral recevra 6 934,82 € au total, soit environ 2 800 € par mois. Avec cette somme, elle doit assurer ses frais professionnels, son éventuel remplacement et se rémunérer. Les résultats de l’enquête concernant le degré de satisfaction ne sont donc pas surprenants.
L’association, le salariat et la collaboration libérale permettent aux vétérinaires de travailler à plusieurs au sein d’une même structure à travers une organisation du travail prédéfinie entre les différents membres. L’absence de l’un d’entre eux pour une raison quelconque ou bien une incapacité temporaire pour réaliser certaines activités peuvent entraîner une désorganisation du travail et augmenter la charge des autres vétérinaires. Par conséquent, les relations entre associés, entre salarié et employeur et entre collaborateur libéral et vétérinaire titulaire pourraient se dégrader. L’enquête montre (infographie ci-dessus) qu’une proportion non négligeable des consœurs en association, en collaboration libérale et salariées ont subi une dégradation de leurs relations de travail au cours de leur première grossesse.
En outre, parmi les praticiennes qui n’ont pas pris de congé maternité, 31,4 % de celles en association et 12,5 % de leurs consœurs en collaboration estiment que la raison principale de cette impossibilité réside dans une dégradation des relations professionnelles, respectivement entre associés et avec le vétérinaire titulaire.
Ainsi, la détérioration des relations est une réalité qui peut empêcher certaines praticiennes de prendre un congé maternité ou contribuer à en réduire la durée, ou bien encore être en lien avec le fait que la majorité des praticiennes ne changent pas leur rythme de travail durant leur grossesse.
La recherche d’un remplaçant lors de la grossesse ne concerne que les praticiennes en association et celles en exercice individuel. 76 % des premières et 69 % des secondes sont remplacées pendant leur première grossesse. Quel que soit le statut, un remplaçant a donc souvent été sollicité. Dans plus de 90 % des cas, il s’agit d’un salarié. Il semble relativement aisé de se faire remplacer pendant sa première grossesse.
43,8 % des praticiennes en association ont pris totalement en charge le salaire du vétérinaire remplaçant, alors que pour 46,4 % d’entre elles, les frais de remplacement sont réglés par la clinique. Ainsi, la situation est partagée. Quant aux praticiennes en exercice individuel, 93,6 % d’entre elles ont payé elles-mêmes leur remplaçant. La prise en charge des émoluments du remplaçant lors de la première grossesse est donc plus fréquente dans le cas des femmes en exercice individuel que dans celui des femmes en association. Ce résultat est assez logique a priori, puisque, sauf à anticiper d’autres options, les praticiennes en exercice individuel doivent régler tous les frais professionnels et n’ont pas d’autre choix que de payer elles-mêmes leur remplaçant, alors que, selon le type d’association, la société peut prendre en charge certains frais, comme un remplaçant. Dans le cadre de la prise en charge du remplacement, l’exercice en association semble donc plus intéressant que l’exercice individuel.
L’association peut offrir des dispositions particulières en cas d’absence, car le règlement intérieur peut établir un contexte de remplacement de l’associé absent et en stipuler le fonctionnement. Cependant, 66 % des femmes en association lors de leur première grossesse ne bénéficiaient pas d’un règlement explicitant les modalités de leur remplacement par les associés lors de leurs absences liées à la maternité ; soit deux consœurs sur trois, ce qui est regrettable.
Le contrat de prévoyance est un allié pour tous les professionnels libéraux, notamment en cas d’absence pour maladie. Il est également proposé aux salariés pour lesquels la prise en charge par la Sécurité sociale peut s’avérer insuffisante. Un arrêt de travail pour grossesse ou couche pathologique est possible. Il existe actuellement des contrats de prévoyance proposant des garanties prenant en compte la grossesse pathologique : indemnités journalières, prise en charge des frais professionnels et indemnités de remplacement. L’étude répertorie (infographie ci-contre) la proportion de praticiennes ayant souscrit un contrat de prévoyance prenant en charge la grossesse pathologique.
La proportion des praticiennes salariées n’ayant pas de contrat de prévoyance est considérable. Pourtant, il peut s’avérer utile lors d’un congé pathologique de longue durée pour une grossesse pathologique (plus de deux semaines) ou lors d’une couche pathologique, car, dans ces situations, la Sécurité sociale n’assure pas un revenu équivalent au salaire habituel. De plus, la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi oblige les employeurs à souscrire un contrat de prévoyance pour leurs employées à partir de janvier 2016. Compte tenu des résultats fournis par le questionnaire, il est permis d’avancer les hypothèses suivantes concernant les praticiennes interrogées ayant fourni une réponse négative à cette question : soit elles n’avaient pas de contrat de prévoyance souscrit par leur employeur lors de leur première grossesse, soit ce contrat ne couvrait pas cet événement, soit, enfin, elles n’avaient pas souscrit elles-mêmes de contrat de prévoyance pour la grossesse pathologique. Seules 54,5 % des praticiennes en libéral ont un contrat de prévoyance prenant en charge la grossesse. Pour expliquer un tel pourcentage, plusieurs hypothèses : soit ce choix est délibéré, soit il existe peu ou pas de contrats de prévoyance prenant en charge la grossesse, soit, enfin, les femmes concernées par notre enquête n’avaient pas effectué de recherche à ce sujet. La deuxième hypothèse, probablement la plus plausible (certaines praticiennes nous ont confié n’avoir pas opté pour ce type de prestation car elle n’existait pas lors de leur première grossesse), est révélatrice d’une réelle carence, qui justifie que les assurances développent de tels contrats afin de répondre aux besoins.
À travers l’enquête, il a été demandé aux praticiennes si elles avaient choisi le statut professionnel sous lequel elles exerçaient lors de leur première grossesse en fonction de cet événement (infographie ci-dessus).
Pour la plus grande proportion d’entre elles, la perspective ou l’existence d’une première grossesse n’a pas été prise en compte. Ce choix ou cette opportunité d’exercice repose clairement sur d’autres critères professionnels ou personnels.
Deux femmes salariées sur trois, lors de leur première grossesse, recommandent ce statut et 71,8 % l’ont gardé pour leurs grossesses ultérieures. Il est par ailleurs frappant de noter que, alors que seules 17,8 % des femmes en libéral lors de leur première grossesse recommandent ce statut, 91,9 % d’entre elles restent en libéral pour leur(s) grossesse(s) suivante(s). Cette apparente contradiction pourrait s’expliquer par le fait qu’une installation en libéral est très coûteuse et qu’il ne semble pas envisageable d’arrêter l’activité à cause de la maternité, même si 88,6 % des praticiennes en libéral reconnaissent avoir des difficultés professionnelles au cours de leur première grossesse. Le désir d’exercer en toute indépendance pourrait également rendre acceptables les difficultés et les inconvénients d’une telle pratique.
Finalement, quel statut préférer ? Une femme vétérinaire doit être libre de choisir son statut en fonction de ses aspirations professionnelles, au même titre qu’un homme, et non dans la seule perspective d’une grossesse, mais sans avoir à payer très cher, à divers titres, les conséquences d’une telle liberté de choix. Or, force est de constater qu’actuellement, exercer en libéral individuel lors de sa grossesse est bien sûr possible, mais très difficile : la prise en charge par le RSI est moins satisfaisante pour les praticiennes en libéral que celle par la Sécurité sociale pour les salariées. En outre, aujourd’hui, le congé maternité, s’il est pris, est en général de très courte durée, la praticienne devant gérer elle-même son absence, avec les frais de remplacement et professionnels que cela implique. Un tel constat n’est cependant pas une fatalité, des solutions existent.
En effet, au vu des données fournies par l’enquête, l’anticipation apparaît comme la clé donnant accès à une telle liberté de choix (en d’autres termes, si le statut de libéral est privilégié, la grossesse mérite d’être anticipée), mais aussi à une situation minimale de confort, quel que soit le statut.
Des initiatives sont à préconiser tant sur un plan contractuel qu’individuel : ainsi, il apparaît clairement que les contrats de collaboration libérale et d’association doivent mettre en place des clauses relatives à la grossesse, stipulant la durée du congé maternité octroyée et, dans le cadre de l’association, les modalités de remplacement (statut et prise en charge du remplacement), ainsi que les modalités de rémunération de la praticienne enceinte. Ces précisions pourraient très probablement permettre d’éviter toute dégradation des relations professionnelles, qui est actuellement vécue par une proportion non négligeable des consœurs, au point d’avoir un impact sur le congé de maternité.
Sur le plan individuel, quel que soit le statut en libéral, il est très important de souscrire un contrat de prévoyance prenant en charge précocement la grossesse pathologique, car les assureurs imposent un délai de carence entre la date de souscription et celle présumée de conception. Ces contrats peuvent assurer des indemnités journalières, les frais professionnels et de remplacement, et sont déductibles grâce à la loi Madelin.
Remerciements :
Ce travail doit tout aux consœurs qui ont consacré beaucoup de leur temps à répondre aux nombreuses questions qui leur ont été posées. Qu’elles soient remerciées pour leur confiance.
Il n’aurait pas été possible sans l’implication du Conseil de l’Ordre et de l’équipe de l’annuaire Roy (Les Éditions du Point Vétérinaire), qui ont participé activement à la diffusion du questionnaire auprès des consœurs.
Dans cette optique, nous avons réalisé une enquête s’appuyant sur cinq questionnaires, dont la diffusion a été possible grâce à l’implication de l’annuaire Roy et de l’Ordre. Quatre étaient adressés aux praticiennes qui avaient eu une première grossesse sous le statut, respectivement, de salariée, d’associée, de collaborateur libéral et de libéral en exercice individuel. Le cinquième questionnaire était destiné aux praticiennes sans enfant, afin de recueillir leur avis sur la question.
Au total, 882 réponses ont été obtenues, correspondant à 11,2 % des praticiennes vétérinaires inscrites à l’Ordre, soit un taux de réponse très satisfaisant, témoignant de l’intérêt porté par nos consœurs à cette problématique. Parmi les réponses, 624 femmes sur 882 correspondent aux praticiennes ayant déjà eu une première grossesse.
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