Dossier
Auteur(s) : Nathalie Devos
Oniris et VetAgro Sup fêtent chacun leurs noces de bois après les fusions, il y a cinq ans, de l’ENVN avec l’Enitiaa et de l’ENVL avec l’Enita. L’occasion d’évoquer plusieurs conséquences de ces unions, à travers les voix des enseignants des écoles concernées mais aussi de celles qui ont préféré les “partenaires” aux “conjoints légaux”.
Cinq ans après, quels enseignements tirer des fusions qui ont donné naissance à Oniris et à VetAgro Sup ? Nous avons enquêté (encadré) pour recueillir le ressenti des enseignants des quatre écoles vétérinaires sur plusieurs sujets (infographies) qui animent les discussions depuis 2010. Le 1er janvier de cette année-là, l’École nationale vétérinaire de Nantes (ENVN) et l’École nationale d’ingénieurs des techniques des industries agricoles et alimentaires (Enitiaa) ont fusionné pour devenir l’École nationale vétérinaire, agroalimentaire et de l’alimentation Nantes-Atlantique, baptisée Oniris. Les deux établissements (ENVN et Enitiaa) sont restés sur leurs sites initiaux, seulement distants de 3 km. C’est aussi à la même date que l’École nationale vétérinaire de Lyon (ENVL) et l’École nationale d’ingénieurs des travaux agricoles (Enita) de Clermont-Ferrand ont uni leurs destinées, sous la dénomination de VetAgro Sup. En revanche, ces “mariées” vivent éloignées l’une de l’autre, chacune dans sa ville natale, à une distance de quelque 200 km. Ces fusions se sont inscrites dans la lignée des objectifs de “regroupements” souhaités par le ministère de l’Agriculture, dès 2003, notamment en termes de notoriété internationale et de valorisation de la recherche. Pour Oniris, l’objectif était aussi de réfléchir à la création d’un « centre international de l’alimentation ». Pour VetAgro Sup, cette fusion prolongeait par ailleurs une collaboration entre les deux établissements initiée trois ans auparavant en matière de recherche, également en collaboration avec l’Institut national de la recherche agronomique (Inra).
Un an après leur fusion, un premier point d’étape était réalisé dans nos colonnes (lire La Semaine Vétérinaire n° 1436 du 4/2/2011, pages 28 à 31). Pierre Saï, alors directeur d’Oniris, considérait que le bilan était positif : « Les équipes travaillent ensemble depuis un an, les passerelles entre les deux anciens établissements se multiplient. Le département de recherche est commun. Sur le thème de l’alimentation, les deux écoles avaient des compétences complémentaires qui sont maintenant valorisées. Les différents départements d’enseignement ont été regroupés en un seul, intitulé “biologie, pathologie et science des aliments”. » Toutefois, il admettait que « même si, sur le terrain, les deux anciennes écoles ne sont séparées que de 3 km, les passerelles ne sont pas évidentes à mettre en place. Du côté des étudiants, les choses n’ont pas vraiment changé ». Au niveau des cours, peu d’évolutions étaient, en effet, notées à cette époque. « Pour le moment, les étudiants n’en ont pas en commun, même s’il est prévu que cet axe se développe. » Les finances représentaient le seul point noir du tableau positif dressé par le directeur. « Aucun crédit supplémentaire n’a été obtenu lors de la fusion et les restrictions budgétaires sont conséquentes, avouait-il. Elles portent notamment sur les crédits de fonctionnement, liés au budget de l’État, et sur la dotation pour la recherche, du fait des nouvelles modalités de calcul. »
De son côté, Stéphane Martinot, directeur de VetAgro Sup, expliquait que les deux cursus étaient maintenus, mais que des passerelles se mettaient en place, malgré la distance. « Des vétérinaires enseigneront la santé publique aux étudiants en agronomie. Inversement, des professeurs d’agronomie interviennent dans le cursus des étudiants vétérinaires en matière d’économie rurale », indiquait-il. Et d’ajouter qu’« au niveau de la recherche, trois grandes thématiques ont été identifiées : une vétérinaire sur les modèles animaux, une agronomique sur le développement des territoires et une transversale sur l’adaptation des systèmes de production et de la qualité des aliments, dont les programmes se mettent en place ».
Qu’en est-il après cinq années de “mariage” ? Il ressort principalement de notre enquête que, pour la grande majorité des sondés, les fusions ont diminué la visibilité et la spécificité vétérinaires. À noter que ce sentiment est moins partagé par les répondants d’Oniris (60 % de « oui »), malgré le nom “spécial” de l’école, que pour ceux de VetAgro Sup (74 %).
Quant à la perte éventuelle d’autonomie pour l’enseignement vétérinaire liée à la fusion, environ 60 % des répondants des sites fusionnés estiment qu’elle n’existe pas, alors que 50 % de ceux des établissements non fusionnés ne “savent pas”.
Concernant la mixité des enseignements entre ENV et une autre école, les sondés côté “non fusionné” sont plus nombreux à penser que c’est un atout que ceux des établissements fusionnés. Toutefois, cette tendance est significativement perçue plus positivement à Oniris (50 % des réponses), par rapport à VetAgro Sup, où elle représente un frein pour 42 % des personnes interrogées.
Au sujet de l’opportunité qu’ont les étudiants des écoles fusionnées d’approfondir des domaines peu abordés dans les écoles vétérinaires, les réponses sont « non » pour la plupart des répondants des quatre écoles. Au sein de notre étude, une imposante majorité, toutes écoles confondues, pense également qu’établir des partenariats avec d’autres établissements est une meilleure décision que la fusion.
L’analyse des réponses des enseignants des écoles fusionnées révèle quant à elle des différences significatives d’opinions entre les sondés. Celles-ci mettent en particulier trois points en exergue. Le premier concerne le fonctionnement avec l’administration de l’établissement. À Oniris, les avis sont partagés, 45 % pensent qu’il a été rendu compliqué et autant estiment le contraire, alors qu’à VetAgro Sup, les personnes interrogées sont près de 95 % à répondre par l’affirmative. La deuxième différence importante de points de vue apparaît avec la question : « Était-ce mieux ou moins bien avant la fusion ? » Ainsi, à VetAgro Sup, 58 % des sondés pensent que la situation d’avant était meilleure (et aucun ne la trouve « mieux maintenant »). En revanche, à Oniris, les réponses sont significativement plus mitigées : 40 % de « C’était mieux avant la fusion » contre 35 % de « C’est mieux maintenant ». Enfin, troisième point de divergence : à Oniris, 25 % des répondants indiquent que la fusion profite davantage aux autres enseignements qu’à la formation canine, alors qu’à VetAgro Sup 37 % des répondants pensent que non et autant ne « savent pas ».
Les cours communs prônés par le passé ne sont, selon le résultat de notre sondage, que très peu mis en place. Enfin, les répondants à notre enquête, qu’ils soient d’Oniris ou de VetAgro Sup, ne sont qu’environ 50 % à considérer que la fusion a dynamisé le secteur de la recherche, pourtant l’un des objectifs de départ.
Sur la perte de visibilité des ENV fusionnées
→ Oui, c’est une perte d’identité, ce qui augmente les risques psychosociaux et la démotivation.
→ La décision la plus nuisible pour les écoles vétérinaires est de ne plus se nommer “école vétérinaire”. Le pire est (pour Lyon) d’être la première école vétérinaire du monde et de s’appeler VetAgro Sup ! C’est une sorte de suicide !
→ Oniris est un nom très peu compréhensible pour la communauté vétérinaire et scientifique internationale. Quel dommage !
→ Le nom Oniris n’apporte aucun avantage aux vétérinaires, au contraire. Lorsque je vais à l’étranger, je ne parle que “d’école vétérinaire”, des termes très explicites dans le monde entier.
Sur la perte d’autonomie des écoles fusionnées
→ Pour moi, la fusion est une perte d’autonomie, une perte de cohérence, une dispersion des moyens et du temps…
→ C’est plutôt la création de l’Institut agronomique vétérinaire et forestier de France (IAVFF) qui va entraîner cette perte d’autonomie.
→ En ce qui concerne Lyon, il n’y a pas de cohérence entre les approches et les barrières géographiques et intellectuelles.
→ Pour ma part, les fusions n’ont pas entraîné de perte d’autonomie pour l’enseignement vétérinaire, mais n’ont pas conduit non plus à une synergie entre les pôles vétérinaire et agronomique. Ceci est particulièrement vrai pour VetAgro Sup, dont le bilan de la fusion peut être qualifié de nul, tout en ayant généré des contraintes et des surcoûts importants (au lieu d’un directeur adjoint, VetAgro Sup a deux directeurs adjoints, avec les primes à la clé, et ceci n’est qu’un exemple). Les économies d’échelle annoncées n’ont pas eu lieu, ce qui était aisément prévisible compte tenu de la distance entre les deux établissements. La seule façon désormais de faire avancer le dossier, sauf à faire marche arrière, est d’afficher une réelle ambition de réaliser un seul campus agro-véto, à l’image des campus internationaux existants (Davis aux États-Unis, Uppsala en Suède, pour ne citer que des établissements classés, voire très bien classés, dans le top 50 des meilleures écoles vétérinaires).
Sur la mixité des enseignements
→ Pour le moment, il n’y a aucun impact sur la formation vétérinaire à Nantes. Des opportunités existent, mais pas d’actions pour les saisir.
→ Oui, c’est un enrichissement des deux parcours.
→ La mixité des enseignements est très faible, voire quasi inexistante à Oniris. La valeur ajoutée de la fusion pour les étudiants est pratiquement nulle !
→ La mixité n’existe pas à VetAgro Sup. Les participations pédagogiques croisées doivent concerner une vingtaine d’heures maximum.
Sur les fusions ou partenariats
→ Collaborer, oui, et la transdisciplinarité est un excellent moyen de motivation, d’ajout de compétences, comme le révèle l’expérience du Collège des hautes études Lyon science (s), qui permet de travailler ensemble et dont les thématiques se complètent. Cette envie est partagée par les enseignants et les étudiants. Mais ce n’est pas le cas vis-à-vis des “agro”, avec lesquels le mariage fut forcé. Par ailleurs, il serait plus opportun de s’approcher de l’université locale que – pour le cas de VetAgro Sup – d’une école située à deux heures de route…
→ La fusion est un mariage forcé et les chances de divorce sont élevées. Elle génère des tensions managériales entre deux mondes proches mais pas toujours compatibles (une branche plutôt matheuse et statistiques versus la biologie et la variabilité interspécifique).
→ L’important est davantage la cohérence thématique entre les établissements qui se rapprochent.
→ Les fusions sont toujours une opportunité théorique, ce qui ne veut pas dire qu’en pratique, l’opportunité se transforme.
→ Pour les étudiants, il pourrait y avoir quelques domaines intéressants, mais en sont-ils conscients ? Les étudiants vétérinaires “veulent de l’animal” et sont très peu ouverts au règne végétal ou à l’agronomie en général.
→ Il existe une vraie différence culturelle entre “agro” et “véto” et une volonté manifeste de ne pas s’intégrer pour les premiers, qui ont l’impression d’être phagocytés par les seconds.
→ Fusionner est la bonne option, mais peut-être la précéder par des partenariats et des collaborations pour apprendre à se connaître.
→ Malgré un affichage politique de “réussite” de la fusion à grand renfort de communication (trois personnes à temps plein au service communication à Oniris), la vie des étudiants et des enseignants n’a pratiquement pas été changée. Les étudiants vétérinaires et ingénieurs d’Oniris continuent à suivre leurs études comme s’ils étaient dans des écoles séparées. Au bout du compte, ça n’a rien changé, à part créer des tensions importantes dans l’école. Les cultures “ingénieurs” et “vétérinaires” sont très différentes. L’échec de cette fusion est une des causes de la “promotion” anticipée de l’ancien directeur.
Sur les ministères de tutelle
→ C’est l’éternel problème des écoles vétérinaires ! La partie médecine/chirurgie des carnivores domestiques ne se retrouve pas vraiment valorisée, développée, considérée au sein du ministère de l’Agriculture qui a d’autres priorités (ce qui se comprend), alors qu’en termes de recherche médicale, elle est capitale et de plus en plus reconnue par le monde de la recherche biomédicale (One Health, pathologie comparée, modèles animaux).
→ Nous, les enseignants, souffrons quotidiennement de décisions très souvent délétères pour nous-mêmes, nos étudiants et la profession, décisions prises sans concertation aucune par des directeurs ayant pour seule optique la progression de leur carrière personnelle.
→ Il serait temps que les écoles vétérinaires soient rattachées à une université avec la tutelle du ministère de la Recherche, tout en gardant la tutelle du ministère de l’Agriculture : l’exemple des facultés de médecine devrait nous inspirer largement pour cette réforme, à la condition de ne pas sacrifier ceux qui s’y engagent (mise en place, par exemple, d’un statut de professeur des universités/maître de conférences – praticien hospitalier, pour motiver les enseignants des écoles nationales vétérinaires à évoluer).
L’enquête menée par La Semaine Vétérinaire et l’annuaire Roy a été réalisée auprès de 354 enseignants des quatre écoles vétérinaires, par e-mailing. 56 d’entre eux ont répondu entièrement au questionnaire, adressé en juillet 2015 (soit un taux de réponses de 15 %, qui est estimé très bon). Directeurs d’école, professeurs, maîtres de conférences, assistants d’enseignement et chargés de consultation ont été sondés. Le questionnaire envoyé était scindé en deux parties : l’une générale, à laquelle tous les membres des quatre écoles pouvaient répondre, et une autre qui s’adressait uniquement aux enseignants des écoles ayant fusionné avec d’autres établissements.
Sur la dynamisation du secteur de la recherche dans les écoles fusionnées
→ La recherche est déjà dynamique, mais les thématiques étant assez éloignées, difficile de trouver des synergies rapidement
→ Il existe une vraie différence de mentalité entre Lyon et Clermont-Ferrand. Le cursus ingénieur n’a rien à voir avec le cursus vétérinaire. Une politique “forcée” visant des profils de postes en recherche a été conduite auprès de l’Institut national de la recherche agronomique de Clermont-Ferrand-Theix. C’est ingérable, personnellement et professionnellement, de faire la moitié de son temps statutaire à 170 km de son port d’attache.
À part la possibilité de faire cohabiter un master sur des disciplines fondamentales et en production animale, la fusion de VetAgro Sup n’a profité à personne, même pas aux pathologistes bovins… Même en microbiologie alimentaire, cela n’a pas fonctionné, malgré trois ans d’essais volontaires : l’ingénieur s’intéresse d’abord aux germes de fabrication (pour le goût, la stabilisation, la typicité), alors que les priorités du vétérinaire sont les germes potentiellement pathogènes.
Sur les cours communs
→ Un parcours d’ingénieur en biotechnologie de la santé a été mis en place à Oniris, ainsi que des projets de recherche multidisciplinaires.
→ À Oniris, il y a eu un apport majeur en compétences de communication de la part d’enseignants de la partie “ingénieur” et une contribution de nos enseignants vétérinaires à la nouvelle filière ingénieurs biotechnologie/santé.
→ Cela se résume à des séminaires, par exemple, des présentations des métiers de la recherche.
Nouveau : Découvrez le premier module
e-Learning du PointVétérinaire.fr sur le thème « L’Épanchement thoracique dans tous ses états »
L’ouvrage ECG du chien et du chat - Diagnostic des arythmies s’engage à fournir à l’étudiant débutant ou au spécialiste en cardiologie une approche pratique du diagnostic électrocardiographique, ainsi que des connaissances approfondies, afin de leur permettre un réel apprentissage dans ce domaine qui a intrigué les praticiens pendant plus d’un siècle. L’association des différentes expériences des auteurs donne de la consistance à l’abord de l’interprétation des tracés ECG effectués chez le chien et le chat.
En savoir plus sur cette nouveauté
Découvrir la boutique du Point Vétérinaire
Retrouvez les différentes formations, évènements, congrès qui seront organisés dans les mois à venir. Vous pouvez cibler votre recherche par date, domaine d'activité, ou situation géographique.
Recevez tous les jours nos actualités, comme plus de 170 000 acteurs du monde vétérinaire.
Vidéo : Comment s'inscrire aux lettres d'informations du Point Vétérinaire