Le numérique fait renaître la photographie et enrichit notre quotidien professionnel - La Semaine Vétérinaire n° 1655 du 18/12/2015
La Semaine Vétérinaire n° 1655 du 18/12/2015

Éditorialistes d’un jour

Auteur(s) : Frédéric Decante

Rien n’est plus commun aujourd’hui que de photographier. Une étude de la Cnil de décembre 2012 a ainsi montré que 85 % des photographies sont aujourd’hui prises sur téléphone portable. Dans un article de 2006 de la revue Société, Carole-Anne Rivière décrit le téléphone mobile comme un objet prothésiste mis au service de la représentation du réel, qui permet le n’importe quoi et le n’importe quand. Hier, la photographie était une pratique spécifique, partagée par un grand nombre, obligeant l’opérateur à se plonger dans la technique. D’ailleurs, la question spontanée qui vient au spectateur d’une image aimée et reconnue est-elle de connaître le dispositif en termes de technologie.

En est-il de même d’autres pratiques artistiques, du peintre et de ses pinceaux, de l’écrivain et de son logiciel de traitement de texte ? Mais, pour l’amateur courant de photographies, la pratique comble d’abord un imaginaire technologique et les revues spécialisées ont été pendant longtemps de simples catalogues des nouvelles prouesses techniques.

La photographie n’a pas valeur de preuve

Aujourd’hui, la pratique de la photographie via les téléphones portables bouleverse ce rapport à la technique pour ne conserver qu’un acte volontaire, aussi simple que spontané. Cela a pour conséquence immédiate de sortir la prise de vue de lieux et de moments d’exception, le plus emblématique d’entre eux restant l’image de famille et, pour nous, l’image de l’animal familier, familier car familial. Certains parlent dès lors de l’acquisition d’un statut de média de communication instantanée, au même titre que la voix et le texte : on ne parle plus, on n’écrit plus, on montre… La photographie apparaît communément comme l’outil le plus complet pour dire le monde, tant une certaine acculturation générale a affaibli chez chacun d’entre nous la capacité de verbaliser notre perception de ce monde, tout en nous donnant l’illusion fantasque, par la facilité d’accès à une information non hiérarchisée sur Internet, de mieux le connaître. Pourtant, la photographie n’a pas valeur de preuve. Par essence d’abord, parce que la photographie peut raconter un mensonge patenté, quand bien même elle n’est pas trafiquée. Par exemple, la légende peut donner un tout autre sens. Par aspiration ensuite, car la numérisation des images et la facilité des logiciels de retouche ont rendu à la portée de tout un chacun la capacité de modifier à dessein une photographie, ajoutant ou retirant tel ou tel élément.

Mais alors, si la photographie n’a pas valeur de preuve, faut-il que nous, praticiens, l’utilisions dans nos travaux, par exemple d’expertise, pour illustrer nos rapports ? Certainement, d’abord pour des raisons pratiques, car la photographie est un mode de prise de notes redoutable d’efficacité. À l’instar de la photographie judiciaire, la photographie fige un constat, les mots étant là pour le décrire. Les huissiers de justice l’ont bien compris, eux qui usent abondamment des images photographiques, tout en sachant que ces images n’ont pas valeur de preuve en droit. Ensuite, la photographie à une valeur d’illustration et permet donc la compréhension de l’écrit. Correctement utilisée, l’image est un outil privilégié de témoignage et donc, in fine, de médiation. Rappeler que l’image n’a pas valeur de preuve, assurer une sélection serrée laissant la place à l’image au plus strict nécessaire, restent donc des conditions indispensables pour que cet usage fasse référence avec efficacité à un savoir collectif préexistant.

La photographie, outil pertinent d’échanges d’une communauté scientifique

Mais la médecine peut parfois échapper à ces codes, quand la photographie devient un outil graphique ou pédagogique. C’est le cas en médecine humaine, en dermatologie, où des anomalies cutanées sont photographiées de manière normée pour en assurer le suivi. Le monde scientifique devient alors extrêmement consommateur de photographies pour valoriser les échanges au sein d’une communauté scientifique. Cela explique l’appétit sans fin d’images dans les domaines de l’enseignement, de la formation continue et de la presse scientifique et professionnelle : il y a là une connivence positive entre l’image qui témoigne, le verbe qui assène et le média qui diffuse, le tout dans le cadre d’un nouveau paysage numérique et technologique rebattant les cartes de fond en comble.

L’usage de la photographie, déconnectée de sa vocation mémorielle, relève d’un système de communication des plus archaïques : on montre, on ne parle plus avec pour seul adage une pseudo-ressemblance entre la réalité et sa représentation. Ce recours à la monstration est fondamental pour comprendre le lien entre photographie et temps : les échanges numériques supposent une multimodalité de pratiques instantanées à travers plusieurs canaux, certaines formes, comme les SMS, jouant de l’hybridation entre le parler et l’écrit. Il en est de même de la photographie communément pratiquée comme nouvelle forme de communication scriptovisuelle, dont la vocation serait de simuler l’“être ensemble”.

Cela permet de comprendre le développement des réseaux sociaux ou des applications spécifiques de partage comme Snapchat : le présent est devenu la temporalité dominante et l’expression virale d’une autonomie personnelle, qu’elle soit sur le registre de l’humour, de la communication, de l’émotion ou même de la production artistique. Cette nouvelle fonction sociale de la photographie réinvestit complètement l’e-reputation et doit être bien perçue par des structures professionnelles qui veulent être présentes sur les réseaux sociaux : l’image devient (malheureusement) la preuve de la qualité des installations, de l’attention portée aux animaux et à leurs propriétaires… et Face-book n’est lisible que si une image accompagne un texte.

Tout cela est presque déroutant, mais tout reste à inventer pour notre profession. Le premier cliché de Niépce date de 1822 et, pourtant, la photographie ne cesse de se réinventer. Nous n’en sommes qu’au début. Certes, il restera toujours une photographie véhicule d’émotion, intemporelle et faiblement connectée avec les innovations technologiques, mais qui supposera quand même de conserver la permanence et la pertinence des codes de représentation et de lecture.

Frédéric Decante (N 87) exerce en pratique mixte en Lozère. Photographe, il publie, en 2015, Pratiquer, l’art et la matière vétérinaire, fruit de 15 années de travail à travers tous les types d’activité des vétérinaires qui sont en contact avec les animaux et leurs propriétaires.

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