Les animaux, nos concitoyens en ce monde - La Semaine Vétérinaire n° 1655 du 18/12/2015
La Semaine Vétérinaire n° 1655 du 18/12/2015

Éditorialistes d’un jour

Auteur(s) : Matthieu Ricard

Comment se fait-il, alors, que nous aimons les chats, mangeons les porcs et nous habillons de vaches ? Parfois, nous prenons soin des animaux comme s’ils étaient nos propres enfants ; parfois, nous les tuons pour notre plaisir ou nos envies ; parfois encore, nous portons leur fourrure avec coquetterie. Nous passons d’une attitude à l’autre comme s’il s’agissait de choix anodins, alors que, pour les animaux, il s’agit d’une question de vie ou de mort. Cette incohérence procède également d’un manque de respect à l’égard des autres espèces, par ignorance, orgueil, égoïsme ou idéologie. Compte tenu de la continuité de l’évolution, tracer des lignes de démarcation entre les individus appartenant à différentes espèces relève de la mauvaise biologie et, moralement, du spécisme. Chaque espèce jouit de l’“intelligence” et des capacités particulières dont elle a besoin pour survivre et parvenir à ses fins.

Nous sommes tous en faveur de la morale, de la justice et de la bienveillance. Chacun d’entre nous peut donc parcourir le chemin qui mène à une plus grande cohérence éthique et mettre fin aux acrobaties de dissonances cognitives auxquelles nous nous livrons constamment pour tenter de réconcilier nos principes moraux avec nos comportements. Il est en effet injuste et moralement inacceptable d’infliger des souffrances non nécessaires à d’autres êtres sensibles.

Comment intégrer le respect de la justice et de la morale dans les diverses relations que nous entretenons avec les animaux ? C’est à cette question qu’ont répondu brillamment Sue Donaldson et Will Kymlicka dans Zoopolis, une théorie politique des droits des animaux, un ouvrage novateur qui envisage trois types de droits pour les animaux, selon leur mode de vie.

Les auteurs proposent de traiter les animaux sauvages comme des communautés politiques souveraines, disposant de leur propre territoire, le principe de souveraineté visant à protéger les peuples contre les ingérences paternalistes ou intéressées de peuples plus puissants. Les animaux sauvages sont compétents pour se nourrir, se déplacer, éviter les dangers, gérer les risques qu’ils prennent, jouer, choisir un partenaire sexuel et élever une famille. Pour la plupart, ils ne recherchent pas le contact avec les humains. Il est donc désirable de préserver leur mode de vie, de protéger leur territoire, de respecter leur aspiration à s’autogouverner et d’éviter les activités qui leur nuisent directement (chasse, destruction des biotopes) ou indirectement (pollution, dégradations générales de l’environnement dues aux activités humaines).

En ce qui concerne les animaux domestiques qui vivent avec nous et dépendent de nous, Donaldson et Kymlicka proposent d’en faire des citoyens de nos communautés politiques. Ils arguent que les animaux domestiques peuvent exprimer leurs préférences en venant vers nous ou en prenant la fuite, par exemple. De plus, la citoyenneté ne se réduit pas au droit de vote, elle confère également le droit de vivre sur un territoire dans des conditions décentes et d’être représenté dans les institutions par des personnes de confiance, qui les perçoivent comme des individus dotés de préférences.

Donaldson et Kymlicka se démarquent des positions abolitionnistes qui impliquent la disparition des animaux domestiques, puisque abolir l’exploitation abusive des animaux domestiques n’exige pas nécessairement de mettre fin à des siècles de vie commune. Les premiers animaux domestiques furent généralement des espèces sauvages qui se sont rapprochées des humains, avec lesquels ils ont appris à communiquer de diverses façons. Seule la disparition des monstres créés par la zootechnie serait bienvenue - les dindes dont le corps a été déformé (pour développer la partie pectorale qui est un mets de prédilection) au point qu’elles ne parviennent plus à s’accoupler naturellement ou ces truies gigantesques qui mettent bas à 28 porcelets qu’elles ne sont pas en mesure de nourrir.

Les humains pourraient tirer intelligemment profit des activités que les animaux exercent de leur plein gré en vivant dans un environnement conforme à leurs goûts et à leurs besoins, sans accélérer leur mort. On peut, par exemple, recueillir le crottin de chevaux ou les excréments d’autres animaux pour s’en servir comme engrais, ou confier à des moutons le soin de maintenir l’herbe rase dans de grands parcs publics. Des chèvres peuvent débroussailler des sous-bois et ainsi prévenir les risques d’incendie. Le flair de chiens peut sauver des vies et être un outil précieux en bien des circonstances. En échange de nourriture et de soins, il est également possible d’envisager des formes de travail animal, sous réserve que les animaux s’y prêtent volontiers, que le travail ne devienne pas envahissant au point de les empêcher de se livrer aux autres activités qui leur importent et de les laisser mourir de mort naturelle.

Quant à la troisième catégorie, les animaux ni domestiques ni sauvages, qui vivent sur des territoires habités ou cultivés par les humains, tout en menant une existence autonome - pigeons, moineaux, goélands, corvidés, souris et chauve-souris, écureuils, etc. -, leurs moyens d’existence sont plus étroitement liés aux activités humaines. Donaldson et Kymlicka suggèrent de les traiter comme des « résidents permanents » : ils ont le droit d’être là mais nous n’avons pas de devoirs positifs à leur endroit, comme de les protéger des prédateurs ou de leur fournir des soins de santé.

Un nombre croissant d’entre nous ne se contente plus d’une éthique restreinte au comportement de l’homme envers ses semblables et estime que la bienveillance envers toutes les espèces qui sont nos concitoyens sur Terre n’est pas un ajout facultatif, mais une composante essentielle de cette éthique. Il nous incombe à tous de continuer à favoriser l’avènement d’une justice et d’une compassion impartiales envers l’ensemble des êtres sensibles. La bonté n’est pas une obligation : elle est la plus noble expression de la nature humaine.

Matthieu Ricard est un moine bouddhiste tibétain, docteur en génétique cellulaire. Il est le fils du philosophe Jean-François Revel et de l’artiste peintre Yahne Le Toumelin. Installé dans la région de l’Himalaya, il consacre sa vie à l’étude et à la pratique du bouddhisme auprès des plus grands maîtres spirituels tibétains,et est l’interprète français du dalaï-lama. Il est l’auteur de nombreux ouvrages, et a créé l’association humanitaire Karuna-Shechen. Engagé dans la réflexion sur l’animal, il a notamment signé Droit des animaux : le manifeste de 24 intellectuels pour un changement du statut juridique de l’animal, qui souhaitait une évolution du régime juridique de l’animal dans le Code civil et que soit reconnue sa nature d’être sensible.

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