DOSSIER
Auteur(s) : Dossier réalisé par Lorenza Richard
Avec le plan ÉcoAntibio 2017 et en raison des limites d’utilisation des médicaments chimiques, les éleveurs sont demandeurs de solutions naturelles de santé, comme la phytothérapie. Or, la majorité des substances végétales ne peuvent entrer dans la composition de spécialités vétérinaires destinées à des animaux producteurs de denrées en raison de l’absence de LMR. Les prescrire implique l’application du temps d’attente forfaitaire sous la responsabilité du praticien. Exposé des problématiques soulevées.
L’avis de l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) relatif à la saisine n° 2014-SA-0081 sur l’évaluation des demandes d’autorisation de mise sur le marché (AMM) de médicaments vétérinaires à base de plantes1 a été rendu en février 2016. Pour répondre à une demande d’alternatives aux antibiotiques, le décret n° 2013-752 du 16 août 2013 a chargé un groupe de travail de proposer des moyens d’allégement des dossiers d’AMM pour ces médicaments, afin de limiter les coûts, qui sont les freins à leur développement. Toutefois, le rapport d’expertise pointe trois limites majeures à la délivrance d’une AMM pour les animaux producteurs de denrées.
Le premier élément est l’obligation d’évaluation des limites maximales de résidus (LMR) des substances, afin de déterminer un temps d’attente. Les substances végétales utilisées chez les animaux de rente doivent être inscrites au tableau 1 (substances autorisées avec possibilité de restrictions d’usage et/ou d’espèces) du règlement 37/2010 du 22 décembre 2009. Toutefois, seules 120 d’entre elles, sur environ 300 plantes d’usage courant chez les animaux de rente, sont inscrites au tableau 1, dont la moitié avec des restrictions à usage homéopathique ou topique. Ainsi, la grande majorité des substances utilisées en phytothérapie ne peuvent pas entrer dans la composition de médicaments vétérinaires destinés à des animaux producteurs de denrées. Un vétérinaire n’a pas la possibilité de les prescrire, ou avec un délai d’attente forfaitaire : 7 jours pour le lait et les œufs, 28 jours pour la viande, le double en élevage biologique (arrêté ministériel du 16 octobre 2002). En pisciculture, ce délai est de 500 degrés-jours, et il n’est pas défini pour le miel, ce qui complique encore la prescription en apiculture.
« Il faudrait qu’à terme les produits de phytothérapie soient considérés comme des médicaments, confirme Thierry Mauvisseau, du réseau Cristal, praticien chez Labovet Conseil aux Essarts (Vendée). Le plan ÉcoAntibio 2017 nous demande d’utiliser des solutions alternatives aux antibiotiques, mais dans le domaine des productions hors-sol, nous ne disposons d’aucun médicament phytothérapique avec AMM. Si nous prescrivons, nous devons appliquer le délai forfaitaire de 28 jours pour la viande, ce qui n’est pas possible en production de volailles de chair, par exemple. »
Afin de pallier ce problème, le groupe de travail a suggéré d’établir une liste prioritaire de substances végétales nécessaires pour la phytothérapie. Une collecte des données concernant les plantes qui disposent de monographies en médecine humaine ou pour lesquelles des LMR sont déjà fixées dans les produits biocides ou les additifs alimentaires pourrait ainsi être réalisée, indépendamment des dépôts de dossiers d’AMM, afin de proposer leur inscription dans le tableau 1 par l’Agence européenne des médicaments (EMA).
Toutefois, comme l’explique Claude Faivre, vice-président de l’Association française des vétérinaires phytothérapeutes (AFVP) et responsable du laboratoire Wamine, pour évaluer les LMR, des traceurs doivent être déterminés en amont dans la plante et en aval dans les denrées. Le coût des travaux est important et le marché limité, ce qui n’encourage pas les laboratoires à les mettre en œuvre. Pour l’instant, aucun résidu n’a été mis en évidence dans des denrées issues d’animaux traités par phytothérapie, et l’animal éliminerait les substances en 48 heures environ. De plus, la législation du médicament concerne une AMM pour une molécule unique, alors que les produits de phytothérapie sont une association de principes actifs. Leur structure, leur métabolisation et leur efficacité sont connues unitairement, mais leur effet combiné est différent de la consommation de la plante elle-même.
Denis Fric, praticien à Sous-Parsat (Creuse) et membre du bureau de la commission élevage de l’Institut technique de l’agriculture biologique (Itab), a fait partie du groupe de travail de l’Anses et exprimé une position divergente à l’avis rendu. Il déplore que le cadre réglementaire fixé par le décret n° 2013-752 permette uniquement d’envisager une AMM allégée et non de définir un nouveau statut d’AMM, différent de celui des médicaments chimiques. En effet, il explique que les produits à base de plantes existent, mais les utiliser à des fins thérapeutiques chez les animaux de rente est interdit, et les études qui sont menées actuellement (comme un projet sur l’usage des huiles essentielles sur les mammites) sont contraires à l’impossibilité d’utilisation légale de ces produits : c’est contradictoire.
Le groupe d’experts de l’Anses a recommandé de saisir l’EMA pour établir une thématique de produits à base de plantes pour les médicaments de phytothérapie vétérinaire, à l’instar de ce qui est pratiqué en médecine humaine, mais cela n’est qu’une recommandation. Pourtant, la mise en place d’un statut de médicament vétérinaire particulier serait la solution à l’utilisation légale de la phytothérapie chez les animaux producteurs de denrées dans le cadre de la gestion de la santé animale (par exemple, un enregistrement tel qu’il existe pour les médicaments homéopathiques ou humains à base de plantes, et qui s’appuie sur les pharmacopées française et européenne). Pour notre confrère, ce statut pourrait répondre aux enjeux à la fois de développement des médecines naturelles et de diminution d’utilisation des antibiotiques, et il est dommageable que la législation ne progresse pas sur ce plan.
Le second point limitant mis en exergue par le groupe de travail est l’obligation d’identification des substances contenues dans la plante, en tenant compte des variabilités de compositions possibles : la concentration en constituants à activité thérapeutique (totum) doit se situer dans l’intervalle de valeurs accepté dans la pharmacopée de façon à assurer une qualité constante de la “drogue” végétale. Ainsi, la réalisation des profils chromatographiques est essentielle avant toute utilisation. Pour Claude Faivre, cela implique des connaissances scientifiques de la part des utilisateurs et la prescription paraît nécessaire : or, elle n’est pas autorisée autrement que par un recours à la cascade.
Enfin, le troisième point est la documentation des aspects d’innocuité (toxicité, tolérance) et d’efficacité. D’après Denis Fric, parler de la grande toxicité de certaines plantes, comme la tanaisie, aux propriétés antiparasitaires, n’est pas un argument pour éviter leur utilisation, car l’effet “dose” existe avec tous les médicaments chimiques. De plus, la réglementation n’est pas adaptée à l’évaluation de leur efficacité. Par exemple, pour que l’utilisation de l’ail pour gérer le parasitisme soit légale, il faudrait obtenir une AMM, donc démontrer que l’extrait tue un taux calculé de parasites, alors qu’il a un effet vermifuge et non vermicide.
Les aromatogrammes entrent dans les techniques qui peuvent orienter l’utilisation des huiles essentielles. Thierry Mauvisseau les teste dans les laboratoires du réseau Cristal (encadré page 49). Les résultats déjà obtenus pourraient permettre de constituer une base de données en fonction des bactéries isolées en élevage et des mélanges d’huiles essentielles contenus dans les produits testés. Toutefois, si l’effet thérapeutique est reconnu, cela relance la problématique de la reconnaissance du statut de médicament avec AMM.
Il est ainsi nécessaire que la législation sur les médicaments à base de plantes évolue. Au Canada, par exemple, la liste des substances permises de la norme canadienne sur les systèmes de production biologique (CAN/CGSB 32.311) permet l’utilisation de produits de santé naturels pour des soins vétérinaires sous diverses catégories (anti-inflammatoires, produits biologiques vétérinaires, y compris les vaccins, homéopathie et biothérapie, parasiticides et antimicrobiens). « Cela devrait servir d’exemple », conseille Denis Fric.
Le projet de règlement européen2 prévu pour courant 2017 pourrait définir un temps d’attente de la préparation magistrale multiplié par 1,5 lorsqu’il a été établi pour des médicaments vétérinaires contenant les mêmes matières actives. Mais Claude Faivre appelle les autorités sanitaires à prendre le temps de la réflexion en tenant compte de tous les problèmes que peut soulever la réglementation (sous-papier page 48). Il convient d’innover, en levant l’interdit pour évaluer l’efficacité et les résidus des plantes utilisées, et après cela seulement, il sera possible de légiférer.
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1 Avis de l’Anses, rapport d’expertise collective. Évaluation des demandes d’autorisation de mise sur le marché de médicaments vétérinaires à base de plantes. Février 2016, 119 pages.
2 Lardy C., Issautier M. N. Cadre réglementaire d’utilisation des traitements alternatifs en élevage bovin. Le Point Vétérinaire, numéro spécial « Soigner autrement : trouver l’équilibre pour produire mieux », 2016:46-50.
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