Le vétérinaire est-il si adaptable ?

Dans un entretien, réalisé en 2013, avec Jean-Étienne Bergemer, auteur de la thèse « La force d’adaptation professionnelle du vétérinaire : images et réalités », Emmanuel Thébaud (N 97), directeur d’une entreprise de conseil vétérinaire auprès des cliniques, souligne le caractère relatif de cette adaptabilité chez les praticiens. S’ils s’avèrent capables de se sortir adroitement de situations délicates sur les plans financier, des ressources humaines ou de la gestion, ils se révèlent bien moins habiles, selon lui, lorsqu’il s’agit d’anticipation, d’investissement ou de prise de risques calculés, même conseillés par des experts. À l’aise dans un contexte routinier, ils le sont beaucoup moins face à l’inconnu. Leur adaptabilité, de nature plutôt réactionnelle, apparaît en conséquence plus limitée qu’ils n’en sont persuadés.

Les chiffres confortent ces propos, somme toute déclaratifs. Si 25 % des diplômés en France, soit environ 6 000 vétérinaires, ont changé de voie, la plupart de ces professionnels réorientés demeurent dans un environnement lié à la pratique ou à la médecine et à la physiologie des animaux : 2 000 dans le privé (industrie pharmaceutique et conseil auprès des vétérinaires principalement) et 4 000 dans le public (laboratoires d’analyses vétérinaires, inspection en santé publique et administration). Seuls 200 à 500 individus, soit moins de 3 % de l’ensemble, sont totalement sortis du terrain connu et ont fourni un exemple patent d’adaptabilité. Celle-ci existe, sans aucun doute, mais elle apparaît surestimée par la profession.

Adaptable parce que voulant l’être

Jean-Étienne Bergemer nuance donc notablement l’implication de la démarche clinique dans l’adaptabilité du vétérinaire, voire cette adaptabilité elle-même. Quand le praticien en fait preuve, sa force d’adaptation tient autant de son état d’esprit personnel, optimiste et introspectif (qui lui permet de ressentir la nécessité du changement), que des compétences adaptatives apportées par la formation, dont la démarche clinique. Cette composante personnelle explique le caractère hétérogène de cette adaptabilité professionnelle, ce que les chiffres attestent.

L’expression de cette force d’adaptation semble en effet loin d’être manifeste chez tous les vétérinaires. Il ne suffit pas de développer une méthode de pensée clinique pour être adaptable. Il est donc fort probable que ce mythe de l’adaptabilité soit fondé, comme tout mythe, mais qu’il soit singulièrement généralisé. Et si le vétérinaire adaptable ne l’était que parce qu’il a tout simplement décidé de l’être !
•