Amblyopie

La question suspendue dans ce documentaire ne concerne pas les animaux mais les hommes. Ceux que l’ingratitude du sort finit par traiter moins bien que des bêtes, suffoquant dans la cale d’un canot surchargé, à la dérive sur une mer étale, sous un ciel pur, cynique. À 200 km au sud de la Sicile et 110 km des côtes tunisiennes, l’île de Lampedusa est un des “hot spots” des flux migratoires illégaux en Méditerranée. On estime à 300 000 le nombre de ceux qui, fuyant l’Afrique pour l’Europe, sont passés par cette île depuis 1990. À 15 000 ceux qui ont péri avant de l’atteindre. Aucun chiffre pourtant, ni aucune image d’actualité (dans leur ressassement, elles finissent par se ressembler) ne parviennent à donner réellement corps à l’ampleur de ce drame. La mithridatisation qu’opèrent les médias d’information est complètement déjouée ici par le cinéma. Le documentariste Gianfranco Rosi a suivi seul, en hiver, quelques habitants de l’île : un enfant à l’œil paresseux, le DJ de la radio locale, un pêcheur, un formidable médecin (le seul à être en relation directe avec les migrants). Ces trajectoires distinctes structurent peu à peu l’espace-temps d’une réalité d’aujourd’hui dont l’enfer de la “crise migratoire” constitue le contrepoint et le hors-champ. Sans sermonner, avec une grande finesse de regard, le réalisateur prépare progressivement le nôtre à faire face à la désolation de ce qui se joue au large de Lampedusa. À en ressentir l’essence tragique. Un très grand témoignage.
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Fuocoammare, par-delà Lampedusa de Gianfranco Rosi, Italie-France, 1 h 49, Ours d’or du 66^e Festival international du film de Berlin, sortie le 28 septembre.