DOSSIER
Auteur(s) : SERGE TROUILLET
Après quelques années d’atermoiements, le Conseil national de l’Ordre des vétérinaires entend mettre fin à la situation, qu’il juge plutôt anarchique, régnant dans le secteur de la biologie vétérinaire. Il rappelle que les actes de biologie vétérinaire ne peuvent être pratiqués que par des vétérinaires ou sous leur responsabilité, au sein de structures inscrites au tableau de l’Ordre. Le point sur les raisons et sur les enjeux de cette clarification en cours.
La saga des laboratoires de biologie vétérinaire n’est pas terminée. Leur encadrement fait l’actualité depuis le début de l’année. En août 2016, dans La Revue de l’Ordre des vétérinaires (n° 59), Michel Baussier, président de l’Ordre, rappelait la nécessité pour tout laboratoire de biologie vétérinaire d’« être tenu et dirigé par des vétérinaires », comme toute société d’exercice vétérinaire, et laisse entendre le lancement de possibles actions en justice pour « mettre fin à la situation anarchique » qui règne dans ce secteur. La structure, de ce fait, doit être elle-même inscrite au tableau de l’Ordre et régie selon les mêmes règles que les établissements de soins vétérinaires, notamment pour le capital social et des droits de vote.
Au même moment, Cerba Vet, le pôle de biologie et d’anatomo-cytopathologie vétérinaires du groupe Cerba Healthcare (groupe phare de la biologie humaine détenu par l’un des plus importants fonds d’investissement européens), rachète Antagene pour former un pôle de diagnostic vétérinaire qui se positionne comme un acteur majeur en Europe, sans être inscrit au tableau de l’Ordre !
La question de l’indépendance professionnelle est au cœur du sujet. Les actes de biologie vétérinaire sont aujourd’hui pleinement assumés par l’Ordre comme des actes vétérinaires. Ils ne peuvent être en conséquence réalisés que sous l’autorité de vétérinaires, au sein d’une société vétérinaire. Or, selon l’article R.242-50 du Code rural et de la pêche maritime, figurant dans le Code de déontologie des vétérinaires publié en mars 2015, Cerba Vet, qui n’est pas détenue majoritairement par des vétérinaires, ne peut être, à cet égard, une société vétérinaire1 ! Du reste, son inscription à l’Ordre serait en passe d’être refusée par le conseil régional de l’Ordre d’Île-de-France. Ce qui se joue actuellement est en réalité l’avenir de la profession vétérinaire tout entière : qu’une société financière parvienne à s’imposer dans le secteur de la biologie vétérinaire et ce seront les cliniques vétérinaires qui, demain, risquent d’être acquises à tour de bras par ces mêmes acteurs (voir page 63).
En attendant, le processus de spécification de la biologie vétérinaire est en cours. « Et même irréversiblement. Avec un retard peu excusable, confesse Michel Baussier, l’Ordre prend ses responsabilités. »
Les actes de biologie vétérinaire devront être séparés en deux catégories : d’une part, les tests rapides, les recueils et les traitements de données biologiques à visée d’orientation diagnostique ou d’adaptation thérapeutique immédiate, qui sont réalisés par les cliniciens au sein des établissements de soins vétérinaires et exigés dans les cahiers des charges ; et d’autre part, les véritables examens d’histopathologie ou de biologie vétérinaires, qui nécessitent des compétences spécialisées et qui sont effectués dans les laboratoires vétérinaires d’analyses dédiés. Les vétérinaires praticiens qui adresseront des prélèvements à des laboratoires de biologie médicale engageront leur responsabilité légale.
Une carte de France des laboratoires privés et de leurs compétences sera établie. Michel Baussier pointe tout particulièrement la question de l’inscription à l’Ordre : « Celle des confrères est une démarche qui ne devra souffrir ni contestation ni exception. Il en ira de même à terme pour les sociétés d’exercice. Les litiges seront portés sans aucun état d’âme devant les tribunaux correctionnels. » Sera également défini le cahier des charges des établissements vétérinaires qui ne sont pas des établissements de soins vétérinaires. Enfin, avec le Conseil national de la spécialisation vétérinaire, seront examinées les compétences spécialisées admises sinon exigées.
Le risque encouru par ceux qui pratiqueront l’exercice illégal de la médecine ne sera mesuré que lorsqu’auront été saisies les juridictions et qu’un certain nombre de jugements auront été prononcés. La peine prévoit jusqu’à deux ans d’emprisonnement et 30 000 € d’amende. Pour autant, Michel Baussier se veut constructif : « Les vétérinaires ne sont pas à l’origine de cette partition. Maintenant, elle s’impose. Cependant, dès lors que les uns et les autres auront la volonté de régulariser les situations, l’Ordre national des vétérinaires préférera la médiation, pour les phases de transition, à l’action systématiquement et immédiatement contentieuse. »
Ces situations complexes concernent les vétérinaires insuffisamment équipés, pour lesquels la mise en conformité de leur structure requiert de lourds investissements, mais aussi les laboratoires vétérinaires privés, dont le modèle économique ne repose pas sur un actionnariat vétérinaire (en exercice) majoritaire, les laboratoires mixtes, qui doivent se séparer de leur activité vétérinaire, les structures dont les capitaux sont détenus par des fonds d’investissement et qui ne sont pas inscriptibles au tableau de l’Ordre… Tout cela, en attendant qu’un diplôme validant les compétences requises soit mis en place pour la biologie vétérinaire2.
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1 La réponse du Conseil d’État au recours déposé par le Syndicat national des vétérinaires salariés d’entreprise contre cet article R.242-50 est très attendue.
2 Voir pages 14 et 15 de ce numéro.
DES LABORATOIRES VÉTÉRINAIRES PRIVÉS EN COLÈRE
IDEXX POINTÉ DU DOIGT
Cette situation actuelle résulte d’« une passivité de l’Ordre des vétérinaires depuis des années », déplorent des observateurs proches du dossier. À commencer par l’installation d’Idexx en France, dans les années 2000. Cette multinationale emploie plus de 4 700 personnes dans le monde, et offre des produits et services en santé animale, agroalimentaire et contrôle des eaux. Elle détient deux entités en France, à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) et à Montpellier (Hérault), non inscrites à l’Ordre. À l’occasion du projet de cession, par un vétérinaire inscrit à l’Ordre, de son laboratoire à Idexx, en vue de son développement en France, l’Ordre, sollicité dans ce cadre, avait écrit, le 29 novembre 2004, que cette vente ne pouvait être effectuée qu’au profit d’une personne morale ou physique figurant au tableau de l’Ordre. « Idexx a finalement poursuivi son développement sans s’inscrire à l’Ordre et cela n’a suscité aucune réaction, facilitant, par ce précédent, l’installation de Cerba Vet », constatent amèrement certains laboratoires privés souhaitant garder l’anonymat.CERBA VET, LEADER DU SECTEUR DÈS 2017 ?
Cette filiale du groupe Cerba, détenu par PAI Partners, l’un des plus importants fonds d’investissement européens, s’est lancée en France en décembre 2015, annonçant vouloir devenir le leader de la biologie vétérinaire d’ici 2017 sur un marché qu’elle qualifie, alors, de libre et non réglementé… Son objectif ? « Peu importe l’illégalité de sa situation pourvu qu’elle ait du temps pour se développer suffisamment et pouvoir brandir, le moment venu, la carte “sociale” en mettant en avant le nombre de ses salariés ! », ajoute un directeur de laboratoire.LES CONSÉQUENCES POUR LA PROFESSION
Irrités, plusieurs laboratoires vétérinaires privés, des cliniques et centres hospitaliers vétérinaires (CHV) dénoncent cet état de fait : « Nous parlons tout de même de faits de nature pénale ! » En ne saisissant pas les tribunaux, l’Ordre l’accepte « avec des conséquences dramatiques pour l’ensemble de la profession ».« IL N’Y A PAS D’HÉSITATION ! »
LABORATOIRES “HUMAINS” :
UN SECTEUR SOUS LE JOUG DES FINANCIERS ?
UNE FINANCIARISATION PRÉOCCUPANTE POUR EUX AUSSI
François Blanchecotte s’inquiète également des conséquences économiques de cette situation pour les laboratoires de biologie médicale privés qui ont investi en matériel et en personnel dans cette activité vétérinaire dont ils doivent se séparer. Et cela, dans un contexte de financiarisation préoccupante de ce secteur : « Les laboratoires de biologie médicale ont toujours servi de terrain expérimental pour les financiers. » Les fonds d’investissement qui détiennent Cerba et Labco, deux groupes qui pèsent 25 % de la biologie médicale en France avec plus de 1 000 laboratoires, se sont engouffrés dans la brèche ouverte par la dissociation entre les droits de vote et le capital social des sociétés d’exercice libéral de biologistes médicaux. Même si, conformément à ce que prévoit la loi du 31 décembre 1990 (article 5), la majorité des droits de vote demeure entre les mains des biologistes exerçant dans la société, ce sont les financiers – lesquels en possèdent directement ou indirectement les droits économiques – qui détiennent le vrai pouvoir de décision.RÉGLEMENTATION : QUELS ACTIONNAIRES CHOISIR POUR LA BIOLOGIE VÉTÉRINAIRE ?
UNE FORMATION NON ADAPTÉE
Ces laboratoires proposent des prestations recouvrant un champ plus large que celui de l’analyse directe des prélèvements d’animaux, c’est-à-dire de l’acte vétérinaire au sens où l’entend l’Ordre. Ils réalisent des analyses de l’environnement des élevages. Certains déploient une activité d’hygiène alimentaire et d’autres, les plus importants, de recherche et développement. Par ailleurs, observe Jean Dudouyt, président de l’AFLABV, « leur personnel hautement qualifié doit produire des données issues de plus en plus de technologies pour lesquelles les compétences ne relèvent malheureusement pas aujourd’hui de la formation de base dans les écoles vétérinaires. Cette formation n’est pas adaptée aux techniques de diagnostic de pointe, nécessaires aujourd’hui (spectrométrie de masse pour la bactériologie, séquençage haut débit, etc.) ».UNE OUVERTURE NÉCESSAIRE DU CAPITAL
Le président de l’AFLABV s’y oppose : « Le modèle économique de notre actionnariat est de type familial. Notre financement n’est pas extérieur à nos laboratoires. Il importe en effet que les cadres non vétérinaires, dont l’apport technique est essentiel, aient la capacité à être partie prenante de cet actionnariat. Pour autant, dans nos structures, la très grande majorité du capital est détenue par des vétérinaires, qui ne sont pas nécessairement en exercice au sein des laboratoires. Ces derniers ont besoin de cette ouverture du capital. Il ne faut pas leur imposer de nouvelles contraintes qui les mettraient en décalage par rapport à leurs concurrents. Un prélèvement se transporte facilement et ces derniers se situent à l’échelle européenne, avec de très gros plateaux techniques à nos frontières. »Nouveau : Découvrez le premier module
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