DOSSIER
Auteur(s) : DOMINIQUE AUTIER-DÉRIAN, EN COLLABORATION AVEC DENISE REMY ET CHRISTIAN DIAZ
Les cas de maltraitance animale sont une question délicate pour la profession : à partir de quel degré d’intensité un acte peut-il être qualifié de maltraitance ? Son signalement est-il toujours justifié ? De plus qu’entre en jeu la crainte du non-respect du secret médical. L’arsenal législatif a pourtant fait l’objet d’évolutions récentes, donnant toute légitimité – et tout devoir – aux vétérinaires. Le point sur les missions de ces derniers.
L’année 2016 a consacré et légitimé la notion de bien-être animal : colloques professionnels, place dans les médias et la presse vétérinaire, interpellation des futurs candidats à l’élection présidentielle sur ce sujet, le bien-être animal a été partout à l’honneur. À l’instar du projet Welfare Quality®, les programmes d’évaluation du bien-être se développent d’espèces en espèces, s’étant enfin affranchis des barrières sectorielles (non, le concept de bien-être animal n’est pas le propre des espèces de rente !) pour s’intéresser, sans exception, à toutes les utilisations des animaux : compagnie, recherche biomédicale, parcs zoologiques, médiation animale, etc. « Être en bonne santé physique et mentale » est l’une des conditions nécessaires pour qu’un animal soit en état de bien-être. Si les autres critères peuvent être évalués par des éthologues, celui-là est l’apanage des vétérinaires. C’est l’une des raisons pour lesquelles notre profession doit se mobiliser pour confirmer son expertise dans le domaine des maltraitances commises envers les animaux. Où placer le curseur ? Quels signes relever ? Qui contacter ? Comment parler au propriétaire de l’animal sans prendre de risque ? Éléments de réponse autour de 10 questions.
En reprenant la typologie utilisée en médecine pédiatrique, les maltraitances sont cliniquement classées en quatre catégories, pouvant mutuellement coexister : les négligences, qui représentent chez l’animal comme chez l’homme la grande majorité des cas de maltraitance ; les blessures non accidentelles appelées également abus physiques, comprenant coups, brûlures, blessures par armes à feu, noyades et asphyxies par strangulation, empoisonnements ; les abus sexuels, qui concernent toute relation sexuelle avec un animal, quelle que soit sa nature, violente ou non ; les abus psychologiques responsables de troubles émotionnels tels qu’anxiété et dépression. Notons que les trois premières catégories ont généralement les mêmes conséquences.
Du point de vue réglementaire, l’article L.214-1 du Code rural et de la pêche maritime précise que l’animal est un être sensible et doit être placé par son propriétaire dans des conditions compatibles avec les impératifs biologiques de son espèce (ne pas le faire est donc condamnable) ; l’article L.214-3 dit qu’il est interdit d’exercer de mauvais traitements envers les animaux domestiques et les animaux sauvages apprivoisés ou tenus en captivité ; les articles R.214-17 et R.214-18 listent des actes interdits en tant que mauvais traitements : priver de nourriture ou d’abreuvement, laisser sans soin en cas de maladie ou de blessure, donner un habitat ou un environnement inappropriés, utiliser des dispositifs d’attache ou de contention inappropriés ou dangereux. D’autres dispositions concernent de même les conditions de transport, l’utilisation des animaux de loisir ou d’expérimentation.
Le Code pénal distingue les atteintes involontaires à la vie ou à l’intégrité des animaux (article R.653-1), les mauvais traitements envers les animaux (article R.654-1), les atteintes involontaires à la vie d’un animal (article R.655-1), les sévices graves ou les actes de cruauté envers les animaux et l’abandon des animaux (article R.621-1).
Construite à partir d’indicateurs multiples, la détection d’une maltraitance est un exercice délicat :
- Le profil et le comportement de la personne qui présente l’animal en consultation sont en premier lieu à prendre en considération : cette dernière refuse souvent de donner son adresse ou dicte une adresse imaginaire ; elle montre une attention ambiguë pour l’animal ou pour son état de santé ; elle a tardé à faire soigner l’animal en se justifiant avec des arguments peu vraisemblables ; elle change souvent de clinique vétérinaire ; elle possède de nombreux animaux, et ceux-ci sont généralement jeunes.
- Les commémoratifs sont souvent confus, vagues, contradictoires. L’histoire est différente si elle est racontée une seconde fois, ou par une autre personne. Une maltraitance doit être suspectée à chaque fois qu’il existe la moindre incohérence entre les découvertes cliniques et l’histoire telle qu’elle est rapportée par le détenteur de l’animal.
- Les caractéristiques propres à l’animal sont également à considérer : il s’agit en général d’un animal jeune, présenté dans un mauvais état général. Son comportement est particulier, agressif et/ou anormalement inhibé. Peureux, il peut réagir exagérément à certains mouvements de son maître (lever de bras, approche) ; il peut présenter de multiples lésions ou fractures, à des stades de cicatrisation variés (tonte de l’animal indispensable pour révéler d’anciennes cicatrices) ; il a parfois des dents cassées.
- D’autres animaux du même détenteur présentent les mêmes particularités.
La mise en évidence d’un seul des indicateurs permet rarement de confirmer une maltraitance. Certaines lésions sont cependant très évocatrices d’un coup volontaire (fractures du crâne, des côtes).
En France, le respect du secret professionnel a longtemps été un frein à toute implication des praticiens dans le domaine des maltraitances animales. Cet argument n’est plus complètement de mise aujourd’hui : s’il est détenteur d’une habilitation sanitaire et si les constats sont faits dans les lieux où il exerce sa mission, le vétérinaire doit informer sans délai l’autorité administrative s’il observe des manquements à la réglementation relative à la santé publique vétérinaire qui pourraient gravement mettre en danger les personnes ou les animaux. Rappelons que la santé publique vétérinaire englobe le bien-être animal. Comme l’obligation est faite au vétérinaire sanitaire par une disposition législative, celle-ci le délie potentiellement de son obligation de respect du secret professionnel, sous réserve des conditions précitées.
Les violences domestiques, les abus envers les enfants et la maltraitance animale sont des questions de santé publique universelles qui, les faits et les publications scientifiques l’ayant prouvé, ont de multiples liens entre elles. De nombreuses associations internationales, telles que l’American Humane Association ou The Links Group , se sont focalisées sur cette question depuis une vingtaine d’années, pour favoriser une prise de conscience et un travail commun entre les différents professionnels concernés (médecins, vétérinaires, dentistes, pompiers, secouristes, enseignants, professionnels sociaux, entre autres). Ils se rassemblent autour d’un même mot d’ordre : « Lorsque les animaux sont maltraités, les personnes de l’entourage sont en danger ; lorsque des personnes sont maltraitées, les animaux de l’entourage sont en danger. »
Dans les lieux où il exerce sa mission, tout vétérinaire détenteur d’une habilitation sanitaire doit être garant du bien-être animal. Il pourrait donc être poursuivi s’il est démontré qu’il a tu volontairement un cas de maltraitance animale. Les poursuites pourraient en théorie être pénales, civiles et disciplinaires, et se cumuler pour un même fait.
À ce jour, la datation des lésions d’un animal reste très compliquée du fait de la diversité des espèces et des races, avec pour conséquence des modifications post-mortem différentes pour un même traumatisme subi.
Dans la mesure du possible, le plus important est de récolter le plus précocement possible un grand nombre d’informations, de manière rigoureuse et méthodique :
- les faits : « Aux dires du détenteur, … » ;
- comportement du propriétaire ;
- caractéristiques de l’animal ;
- état général ;
- examen externe méticuleux, appareil par appareil, avec une description très précise des lésions (taille, forme, couleur, aspect, etc.) ;
- examen interne si l’animal est mort : dépouillement, examen des grandes cavités, des organes thoraciques, des organes abdominaux, de l’appareil musculo-squelettique, des organes lymphoïdes, du système nerveux central ;
- comportement de l’animal ;
- photographies : corps en entier et tête seule, chacun de face et selon ses deux profils, lésions spécifiques, objets récupérés sur ou à l’intérieur de l’animal ;
- clichés radiographiques ;
- prélèvements éventuels.
C’est la direction départementale de la protection des populations (DDPP) qu’il convient de contacter en cas de suspicion de maltraitance. La profession vétérinaire, dans son ensemble, est en train de s’organiser pour mettre en place, à l’instar de nombreux autres pays, une conduite à tenir en cas de suspicion de maltraitance animale. La Direction générale de l’alimentation (DGAL), dans le cadre du Conseil national d’orientation de la politique sanitaire animale et végétale (Cnopsav), a mis en place un comité d’experts en bien-être animal (auquel participent les différentes familles vétérinaires), lequel travaille actuellement à la mise en place de procédures transversales de signalement des maltraitances, intégrant les différents acteurs de la protection animale, y compris les vétérinaires. De même, sont actuellement à l’étude les procédures de mandatement des vétérinaires par l’administration, dans le domaine du bien-être animal, afin de pouvoir missionner un expert capable d’objectiver de tels signalements. Ces projets ont été exposés par le ministre de l’Agriculture, Stéphane Le Foll, dans sa conférence de presse en début d’année 2016, destinée à présenter la stratégie de la France en faveur du bien-être animal pour les cinq ans à venir.
L’Animal Welfare Foundation (AWF), en collaboration avec The Links Group, vient d’éditer un guide (en anglais) pour aider les vétérinaires dans une telle démarche (encadré). Un tel guide est en cours de rédaction en français. Quoi qu’il en soit, la démarche qu’ils proposent est la suivante :
1. Collecte des informations. Poser des questions telles que : « Parfois, lorsque j’observe de telles lésions, il s’agit d’actes volontaires perpétrés par l’entourage de l’animal. Est-ce possible dans le cas de votre animal ? »
2. Discussion informelle avec des confrères. En France, il est possible de contacter le groupe de travail “Profession vétérinaire et éthique animale” au Conseil national de l’Ordre des vétérinaires, à Paris.
3. Envisager que des personnes puissent également être victimes de maltraitance dans l’entourage, se renseigner à ce sujet. S’il s’agit du détenteur de l’animal, il est possible de poser la question suivante, qui peut libérer sa parole : « Je suis aussi concerné par votre bien-être et votre sécurité. Ce n’est pas acceptable de subir des violences de la part de ses proches. »
4. Rédiger un rapport qui pourra être transmis à des instances professionnelles ou à des associations.
5. Référer. À ce jour, contacter prioritairement la DDPP, qui est l’autorité en la matière. Le référent ordinal en bien-être animal (un tel référent est présent dans chaque conseil régional de l’Ordre, ou CROV) est aussi un interlocuteur de proximité en ce domaine (l’adresse e-mail de chaque CROV est accessible sur le site de l’Ordre : veterinaire.fr).
À maintes reprises, les faits divers ont montré qu’il est aussi grave et lourd de conséquences d’ignorer des faits délictuels commis envers des enfants que d’accuser des personnes innocentes. Le même raisonnement s’applique aux maltraitances animales. Respecter une démarche professionnelle exemplaire et sans parti pris, partager les informations avec d’autres confrères et les instances de référence constitue la meilleure protection pour tous.
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