ENQUÊTE
Auteur(s) : PAR BÉRENGÈRE GUILLEMIN
À la suite des deux enquêtes menées en France sur la gestion de la douleur en 1999 et en 2007, une nouvelle étude d’envergure nationale a été conduite dans le cadre d’une thèse vétérinaire. Diffusée en ligne entre avril et août 2016, notamment via l’annuaire Roy des Éditions du Point Vétérinaire , celle-ci a permis de récolter l’avis de 548 vétérinaires et de 216 auxiliaires, se rapportant d’une activité canine partielle ou totale, sur leur perception et l’évaluation de la douleur aiguë des chiens et des chats dans leur pratique quotidienne.
La douleur est un état complexe, défini par l’International Association for the Study of Pain comme « une expérience sensorielle et émotionnelle désagréable associée à un dommage tissulaire actuel ou potentiel ». Cette sensation personnelle et individuelle allie un inconfort provoqué par un stimulus nocif à des modifications biologiques et comportementales, ainsi qu’à une perception consciente de celle-ci. L’évaluation de la douleur, première étape afin de la faire disparaître, nécessite alors de dépasser cette individualité.
La prise en charge de la douleur est une notion récente. En médecine humaine, c’est une obligation depuis la circulaire d’avril 2006. Envers les animaux, éthique et respect prennent aujourd’hui une place fondamentale à la fois dans la société, les médias, les textes de loi, ainsi que dans les rôles du vétérinaire. « Mon patient risque-t-il d’avoir mal ? Comment et pour combien de temps ? Que puis-je faire pour y remédier ? » Malheureusement, ces questions ne se sont pas toujours posées. En effet, de nombreux mythes ont limité les vétérinaires dans leur attitude, comme la croyance que la médication couperait l’appétit et la perception de la douleur comme une « contrainte bénéfique » prévenant de l’apparition de nouvelles blessures. Aujourd’hui, et depuis 2002, de nombreux auteurs s’accordent sur un consensus : l’incapacité animale à communiquer verbalement ne doit jamais être considérée comme un prétexte pour ne pas traiter la douleur. Une douleur non contrôlée pouvant devenir nuisible à l’animal et, dans les cas extrêmes, risquant de le conduire à la mort, ce qui élève la prévention et le contrôle de la douleur à un impératif éthique absolu.
Observer la place des auxiliaires vétérinaires par un questionnaire envoyé aux vétérinaires et aux auxiliaires français était une originalité de notre étude. En 1999 en France, le vétérinaire était la seule personne à être chargée de l’évaluation de la douleur (Hugonnard, 2001). En 2007, la situation semble avoir évolué, la moitié des auxiliaires participant notamment toujours aux soins postopératoires (Sourdin, 2008).
Aujourd’hui, on constate que les auxiliaires semblent être intégrés en grande partie. Dans le cas particulier de la détection d’un animal douloureux, ils s’estiment impliqués à quasi-égalité contre une répartition un peu plus partagée pour les vétérinaires. Au contraire, le choix du traitement semble être exclusivement attribué aux praticiens pour une très forte majorité (infographie 1).
En 2007, les vétérinaires portaient un intérêt fort (50 %) à majeur (36 %) sur le sujet (Sourdin, 2008). Cette tendance se confirme à nouveau par une implication croissante, avec environ 80 % des auxiliaires et des vétérinaires jugeant le traitement de la douleur aiguë comme primordial. La proportion est conservée, peu importe le genre ou l’âge des votants. Cette préoccupation devient même majeure à primordiale pour plus de 94 % des répondants (infographie 2).
Notons tout de même que les vétérinaires mixtes généralistes semblent être un peu moins sensibles sur ce point : ils sont plus nombreux à percevoir le traitement de la douleur seulement comme une préoccupation majeure au maximum.
Lors des enquêtes nationales de 1999 et 2007, les vétérinaires se considéraient en nette majorité assez efficaces pour repérer les signes de douleur en lien avec leurs connaissances et leur expérience. Néanmoins, la plupart se sentaient tout de même parfois démunis pour évaluer l’intensité d’une douleur correspondante (Hugonnard, 2001 ; Sourdin, 2008).
Plus de la moitié des votants se jugent aujourd’hui majoritairement efficaces dans leur évaluation de la douleur aiguë. Notons toutefois qu’environ 5 % seulement s’estiment très efficaces et qu’un tiers des répondants, avec en particulier plus de vétérinaires mixtes, ne se trouvent que moyennement efficaces, signe qu’une amélioration est encore possible et qu’une formation supplémentaire est toujours nécessaire (infographie 3).
Les femmes modèrent davantage leur jugement sur la question que les hommes : elles se classent ainsi, modestement, moyennement efficaces. Cela peut être expliqué en partie par leur potentielle plus grande sensibilité à la douleur (Lorena et coll., 2014 ; Raekallio et coll., 2003 ; Williams et coll., 2005), qui pourrait les conduire à douter plus facilement de leur évaluation ou à en visualiser les limites et imperfections.
En 2007, l’évaluation chez le chat apparaissait plus difficile pour 71 % des vétérinaires interrogés. Selon nos résultats, la douleur aiguë semble plus facilement quantifiable chez les chiens et se trouve être à nouveau plus difficile à évaluer chez les chats. Cette différence peut s’expliquer par la tendance féline à fuir, à se cacher et donc à masquer chaque comportement, nécessitant alors une observation plus attentive et approfondie. En effet, les niveaux de douleur attribués par les vétérinaires seraient régulièrement plus bas chez les chats en comparaison (Coleman et Slingsby, 2007 ; Kongara et coll., 2016 ; Lorena et coll., 2014) (infographie 4).
Nos résultats montrent également que la principale limite ressentie en pratique est le fait de ne pas reconnaître certains états douloureux, et ceci d’autant plus chez le chat, ce qui est cohérent avec les difficultés évoquées précédemment. Cette limite est ressentie comme moyenne chez le chien à majeure chez le chat par plus de 30 à 40 % des répondants. Les effets secondaires des traitements et une évolution péjorative masquée par ceux-ci ne restent craints que par les auxiliaires et seulement dans un second temps. L’utilisation de la douleur en garde-fou a, quant à elle, nettement disparu de l’esprit des vétérinaires. Ce sentiment de ne pas reconnaître certaines formes de douleur réaffirme le besoin d’insister sur la détection dans les formations sur la gestion de celle-ci et de continuer à se former régulièrement sur le sujet.
Le contrôle de la douleur commence en limitant au maximum l’apparition de celle-ci. Lorsqu’elle est inévitable, elle devra être gérée avec notamment une technique chirurgicale la plus atraumatique possible, accompagnée d’une hospitalisation générant le moins de stress et le plus de confort possible. La gestion implique également une analgésie préventive et multimodale de qualité. C’est pourquoi nous nous sommes intéressés à la préférence d’utilisation par les praticiens, allant de nulle à prioritaire, de chaque molécule et pour chaque espèce, parmi une liste de traitements médicamenteux : anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS), morphiniques, etc. (infographie 5).
Nos résultats montrent alors une utilisation nettement prioritaire du méloxicam, qui est de plus statistiquement supérieure chez le chat. Cette molécule serait néanmoins plus faiblement employée par les plus de 55 ans réunis. Les coxibs sont aussi majoritairement adoptés par 32 % des répondants chez le chien. Ces chiffres peuvent s’expliquer en partie par la praticité d’utilisation, le méloxicam étant le seul AINS proposé sous forme buvable, ce qui explique sa très forte préférence, en particulier chez le chat.
Parmi les morphiniques, la molécule prioritairement utilisée est la buprénorphine, en particulier statistiquement plus fortement par les femmes. Elle est suivie secondairement par la morphine, soumise à la réglementation des stupéfiants. Le fentanyl et la méthadone, autres stupéfiants destinés à traiter les douleurs modérées à sévères, se révèlent au contraire d’usage très marginal.
La morphine apparaît ne pas être employée par plus de 45 % des vétérinaires : chez plus de deux tiers d’entre eux, elle n’est juste pas disponible. Cette disponibilité ne dépend pas statistiquement de l’activité du vétérinaire (canine, mixte canine ou mixte générale). En revanche, quand cette molécule est disponible, les vétérinaires jugeant le traitement de la douleur prioritaire sont significativement très hautement plus nombreux à l’utiliser de manière prioritaire chez les deux espèces. L’utilisation diffère également entre les deux espèces : il apparaît notamment que le refus catégorique d’utilisation de la morphine est très hautement plus marqué chez le chat.
Remarquons enfin qu’en l’absence d’utilisation de la morphine, la buprénorphine se retrouve être l’agent le plus fort utilisé, malgré sa limite d’efficacité. L’analgésie peut donc ne pas être adaptée pour des douleurs modérées à sévères. Augmenter les doses et dépasser celles recommandées peut même conduire à une réduction de l’analgésie (Wagner, 2009). Ainsi, chez de nombreux vétérinaires, les cas de douleurs sévères à très sévères (traumatismes, chirurgies orthopédiques, etc.) risquent d’être non traités parfaitement par manque de moyen.
En 1999, l’attitude était perçue comme meilleur indicateur de douleur à plus de 80 %, suivie de la réaction aux soins, puis de l’anamnèse chez le chien et de l’appétit chez le chat. L’apparence et le confort étaient plus secondaires, les indicateurs physiologiques et les vocalises encore plus en retrait (Hugonnard, 2001). Notre choix a alors été d’évaluer les préférences d’utilisation actuelles pour chaque critère lors de l’évaluation de la douleur aiguë seule pour chaque espèce, à la fois pour les vétérinaires et les auxiliaires.
Les critères prioritaires sont alors l’attitude, les postures antalgiques, la réaction à la palpation de la zone douloureuse et l’appétit chez le chat uniquement. Suivent en position majoritaire les autres critères comportementaux (comportement interactif, expressions faciales, attention portée à la zone douloureuse, position et toilettage félins, vocalises canines en particulier), avec la fréquence respiratoire, ainsi que l’appétit canin. La cause de la douleur et le caractère initial de l’animal sont aussi mis en avant.
Ces préférences sont alors à mettre en regard des données actuelles de la science. Les critères les plus pertinents sur la durée seraient en réalité la posture, l’activité, le statut mental et toutes les réactions à la palpation. Les préférences des soignants français concordent alors parfaitement avec cette position. Des paramètres physiologiques, seule la pression artérielle est préconisée, mais est visiblement massivement refusée en pratique par les soignants français (Brondani et coll., 2011). Tous les critères comportementaux spontanés et provoqués cités précédemment sont globalement jugés comme excellents par les experts, apportant une plus grande précision lorsqu’ils sont combinés (Epstein et coll., 2015 ; Mathews et coll., 2014 ; Merola, Mills, 2016). Ces signes sont suffisants pour attester de la présence de douleur, mais aucun n’est nécessairement présent dans toutes les situations douloureuses (Merola, Mills, 2016). Autrement dit, leur absence ne signifie donc pas l’absence de douleur.
Les grilles d’aide à l’évaluation de la douleur aiguë apparaissent rarement utilisées en France, ce qui est concordant avec les résultats disponibles à l’étranger. Les auxiliaires, en particulier, ne connaissent que très rarement ces grilles : plus de 90 % d’entre eux ne les ont jamais utilisées. Les grilles de l’association internationale 4Avet semblent être les plus connues et utilisées par les vétérinaires : ils seraient alors plus de 14 % à s’en servir tous les mois, contre moins de 5 % pour la grille canine de Glasgow. Notons également que les plus jeunes sont ici majoritaires : la promotion de ces grilles passe, entre autres, par l’enseignement et la formation.
Le principal motif du rejet de ces grilles est surtout leur méconnaissance et leur absence sur les lieux de travail. Les principales critiques sont avancées par les vétérinaires : leur utilisation serait trop chronophage (40 %) et fastidieuse (26 %). Certains les jugent même inutiles et non nécessaires dans leur exercice (infographie 6).
Au contraire, les principaux avantages de ces grilles ont été avancés par plus d’un quart des vétérinaires : leur usage permet une évaluation basée sur une approche objective et multicritère, ainsi qu’un suivi dans le temps. Est appréciée également l’aide structurée apportée par les grilles comme en cas de doute.
Un moyen simple d’aider à l’évaluation serait alors d’afficher un exemplaire d’une de ces grilles sur les murs de la salle réservée à l’hospitalisation des animaux. Sans nécessairement s’en servir à chaque fois qu’un animal douloureux est présenté, ce moyen permettrait néanmoins de rappeler les critères à privilégier pour ajuster son évaluation, son raisonnement et le traitement en fonction des paliers de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) adaptés à la médecine vétérinaire, qui peuvent être mis en avant également. Cet affichage peut également servir en renfort face à une douleur particulièrement forte, voire difficile à évaluer ou même à gérer. Le site animalpain.com.br, qui propose de nombreux extraits vidéo de différents stades douloureux chez le chat, et les réseaux vétérinaires de formation sur le sujet peuvent également être conseillés en complément. Plusieurs grilles adaptées à chaque espèce existent (4AVET, UNESP-Botucatu, Glasgow, etc.), ce qui laisse alors une certaine liberté de choix face aux préférences de chaque structure et de chacun.
Source : d’après la thèse de médecine vétérinaire « Perception et évaluation de la douleur aiguë des carnivores domestiques : analyse d’une enquête réalisée auprès de 548 vétérinaires et 216 auxiliaires français ». Oniris-Nantes. 2016
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