MÉDICAMENTS VÉTÉRINAIRES
Auteur(s) : MICHAELLA IGOHO-MORADEL ET TANIT HALFON
Entre le suspense autour des modalités d’application de l’obligation de déclaration des ventes d’antibiotiques et le nouveau statut de la kétamine injectable classée comme stupéfiant, le mois d’avril ne sera pas de tout repos pour les vétérinaires.
L’enthousiasme réglementaire se poursuit au mois d’avril, avec deux nouveautés dans le domaine de la pharmacie vétérinaire : la déclaration des ventes d’antibiotiques et le classement de la kétamine injectable comme stupéfiant. La première obligation découle de la loi d’avenir du 13 octobre 2014 et prévoit qu’au 1er avril prochain1, les praticiens devront, chaque mois, télédéclarer à l’Agence nationale du médicament vétérinaire (Anses-ANMV) toutes leurs cessions d’antibiotiques. Pour l’instant, aucun arrêté n’en définit cependant les modalités d’application. Autre changement : à compter du 24 avril2, en plus des conditions de stockage, les praticiens seront tenus d’inscrire sur un registre spécifique les entrées et les sorties des médicaments à base de kétamine reçus et administrés, mais aussi de remettre au propriétaire de l’animal une ordonnance sécurisée, bien que celle-ci ne soit pas destinée à être remise à un pharmacien. Des voix se sont élevées au sein de la profession afin de dénoncer les risques de détournements liés à cette dernière obligation, mais aussi la charge administrative que représente la déclaration de chaque vente d’antibiotiques. Face à ces deux évolutions de la réglementation encadrant la pharmacie vétérinaire, le Syndicat national des vétérinaires d’exercice libéral (SNVEL) se mobilise3 et vient notamment de lancer une pétition contre la remise de l’ordonnance sécurisée pour la kétamine. À quelques jours de la date butoir de la mise en application de ces obligations, il reste plusieurs zones d’ombre à clarifier.
Si, dans les textes, la mise en œuvre de ces mesures paraît claire, il en est tout autrement en pratique. En effet, au 1er avril, à en lire la réglementation en vigueur, les praticiens devront télédéclarer au plus tard le 31 mai 2017 leurs ventes d’antibiotiques survenues au mois d’avril 2017. Une obligation pas toujours bien comprise, comme le souligne Jean-Marc Betsch, exerçant en équine : « Le vétérinaire est jugé d’emblée coupable dans l’usage qu’il fait des antibiotiques. » Bien que cette obligation soit lourde à appliquer, Pierre Henry, vétérinaire canin, y voit un bon levier pour « faire évoluer les pratiques des vétérinaires ». Un arrêté, non encore publié, précisera le modèle type attendu pour procéder à la déclaration. Sans ces précisions, il sera techniquement impossible pour les praticiens de mettre en œuvre cette obligation, puisque les logiciels vétérinaires utilisés ne permettent pas, en l’état, la transmission de ces informations. « L’idéal serait de disposer d’un outil informatique relié au logiciel de gestion de clientèle, infalsifiable, et en lien direct avec l’Anses », fait effectivement remarquer Pierre Henry. D’autant plus vrai, selon Jean-Marc Betsch, pour la pratique équine, qui souffre d’une absence d’outil informatique adapté aux spécificités du milieu et à l’exercice de terrain.
Même consternation en ce qui concerne les médicaments vétérinaires à base de kétamine. Avant 2017, le praticien était ainsi déjà tenu de déclarer tout vol aux autorités de police, à l’agence régionale de santé (ARS), à l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) et à l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses). Il avait également l’obligation de garder le produit « dans des armoires ou des locaux fermés à clef et ne contenant rien d’autre ». Au 24 avril prochain, sous couvert de lutte contre les cas de mésusage de la molécule (drogue hallucinogène), le vétérinaire devra tenir un registre de traçabilité (à conserver pendant dix ans) comprenant les entrées et les sorties (dont la quantité précise délivrée) du médicament, ainsi qu’une balance mensuelle. Un inventaire du stock « par pesées et décomptes » devra aussi être réalisé chaque année. Il devient également obligatoire de délivrer une ordonnance sécurisée au propriétaire de l’animal, mentionnant en toutes lettres le nom du produit ainsi que la dose administrée, un double devant être conservé pendant trois ans. « En canine, la kétamine peut être utilisée plusieurs fois par jour. Se pose alors la question de la conservation des doubles des ordonnances, qui prendront une place non négligeable au bout de trois ans ! Une ordonnance sécurisée informatisée serait un vrai progrès, qui plus est environnemental », souligne Pierre Henry. Pierre Buisson, président du SNVEL, pointe du doigt « cette surcharge administrative, non productive, qui pèse particulièrement sur les vétérinaires exerçant tout seuls ». Même constat général pour les deux autres praticiens interrogés. « Toutes ces contraintes administratives remettent en cause régulièrement l’organisation de la clinique. Il faut alors prendre du temps pour reformer l’équipe sur les nouveautés et en contrôler la bonne application, au détriment de la pratique », développe Pierre Henry.
Le SNVEL a engagé deux actions afin de limiter l’impact de ces nouvelles obligations, particulièrement en matière de charges administratives, et demande à l’État de revoir sa copie. S’agissant de la déclaration des ventes d’antibiotiques, le syndicat compte introduire un recours en Conseil d’État afin que les conséquences financières de cette mesure ne soient pas supportées par la profession. L’une des propositions “indolores” et à moindre coût serait que les pouvoirs publics financent et organisent la collecte de ces informations. En outre, il demande un juste milieu entre la nécessaire garantie des libertés individuelles des praticiens et la mise en œuvre de cette obligation.
« Bien qu’une aide matérielle serait appréciable, notamment via des outils informatiques ou papier déjà prêts à l’emploi, je ne crois malheureusement pas à sa réelle mise en place par l’État. Le vétérinaire a toujours dû s’adapter », souligne Pierre Henry.
En ce qui concerne la kétamine, Pierre Buisson ne s’attendait pas à ce que la réglementation fasse finalement totalement l’impasse sur les spécificités relatives à l’exercice vétérinaire. «
Cela reflète, à mon sens, le mépris de certains sachants de la médecine humaine, qui ne prennent pas en compte la qualité du travail effectué par les vétérinaires… et qui pèsent sur la décision du législateur.
» Néanmoins, Pierre Buisson se dit confiant, car le dialogue initié par le SNVEL auprès des institutionnels, pour certains très réceptifs à la problématique vétérinaire, associé à cette pétition, semble prometteur. Dans les mois à venir, il serait ainsi possible d’envisager une modification des textes de loi… pour y inclure une spécificité vétérinaire ! L’objectif est double : éviter le recours à un ordonnancier sécurisé et retirer l’obligation de remise de l’ordonnance mentionnant l’usage de la kétamine au client. En plus d’être inutile pour le client, elle met en avant la détention de la molécule par les structures vétérinaires, avec à la clé un risque de vol. Constat partagé par Pierre Henry. Mais le président du SNVEL précise bien que «
la comptabilité de la matière stupéfiante étant un pilier de la gestion des stupéfiants, son abrogation ne semble pas être dans les combats qu’il est possible de gagner.
» D’autant plus que le registre, qui existe déjà pour les autres stupéfiants, ne soulève pas de problèmes majeurs. Néanmoins, Pierre Henry souligne qu’à la différence d’autres molécules, l’usage de la kétamine est souvent quotidien. «
Sa bonne
tenue sera forcément chronophage.
»Il ajoute que « l
a
kétamine étant un produit injectable, il est simple de falsifier les données du registre. S’il existe un trafic vétérinaire, cela ne l’arrêtera pas et pénalisera les vétérinaires qui travaillent correctement
».
•
1 Voir La Semaine Vétérinaire n° 1702 du 13/1/2017, page 12.
2 Voir La Semaine Vétérinaire n° 1705 du 3/2/2017, pages 10 et 11.
3 Voir La Semaine Vétérinaire n° 1708 du 24/2/2017, page 12.
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