ENQUÊTE
Auteur(s) : PAR PIERRE DUFOUR
Une enquête a été menée auprès des praticiens canins français pour identifier les freins et les moteurs au développement d’une consultation spécialisée de comportement animal.
La discipline du comportement animal est encore relativement jeune. Si les premières recherches sur le monde animal débutent avec Aristote (384-322 avant Jésus-Christ), c’est à partir du xxe siècle que notre connaissance des comportements animaux s’étaye, avec la naissance de l’éthologie et les travaux fondamentaux de Konrad Lorenz (1903-1989), Nikolaas Tinbergen (1907-1988) et Karl Von Frisch (1886-1982), qui reçoivent conjointement un prix Nobel en 1973 pour leurs études. Le comportement animal est, par la suite, introduit en France en médecine vétérinaire grâce à Patrick Pageat et à la publication de Pathologie comportementale du chien en 1994, à l’initiative de la zoopsychiatrie qui étudie le comportement animal sur le modèle médical, emprunt de la psychiatrie en médecine humaine.
Pourtant, les animaux nous tiennent compagnie depuis des milliers d’années. D’après des preuves archéologiques, la domestication du chat date de 9 500 ans, tandis que celle du chien de 15 000 ans. Des recherches génétiques et la biologie moléculaire émettent même l’hypothèse d’une domestication bien plus ancienne, proche de 100 000 à 135 000 ans pour la domestication du chien. Aujourd’hui, nous reconnaissons aux animaux des émotions, une conscience, de l’empathie. Cet animal est juridiquement reconnu comme un « être doué de sensibilité » dans le Code civil depuis le 16 février 2016. Les textes dans les différents codes tendent à le transformer en une personnalité juridique à part entière. L’animal de compagnie prend de plus en plus de place dans notre société : un foyer sur deux en possède un et 90 % des Français le considèrent comme un “membre de la famille”. Le bien-être animal est au centre des préoccupations, conséquence d’un lien homme-animal très fort. Le vétérinaire, garant de la santé animale, comme publique, doit, au-delà de la santé physique des animaux, également prendre en considération leur santé mentale. Et cela, il peut le faire grâce à une consultation spécialisée de comportement, d’autant plus que les troubles du comportement sont la première cause d’abandon pour les chiens et la deuxième pour les chats.
Telles sont les raisons qui ont motivé la réalisation d’une enquête auprès des vétérinaires français exerçant en pratique canine1, afin de comprendre quels sont les freins et les moteurs au développement d’une consultation spécialisée de comportement.
Les vétérinaires identifient des troubles du comportement lors d’une consultation sur cinq, c’est-à-dire au cours de consultations pour lesquelles le comportement n’est pas un motif. 37 % des répondants proposent actuellement une consultation de comportement. Parmi ceux qui n’en proposent pas, 82 % réfèrent, et il ressort de l’étude qu’ils auraient la possibilité de davantage référer, surtout lorsque la demande des clients est élevée, c’est-à-dire supérieure à une fois par mois.
La moitié des répondants au questionnaire ont suivi une formation en comportement, et 62 % de ceux qui proposent une consultation de comportement ont suivi une formation. Celle-ci n’est pas suffisante, puisque certains praticiens n’y ont pas acquis l’autonomie nécessaire à une consultation de comportement. Elle n’est pas non plus nécessaire, puisque des vétérinaires proposent une consultation de comportement sans être formés au préalable pour le faire. En outre, 65 % des répondants ne souhaitent pas se former à l’avenir dans ce domaine.
85 % de ceux qui ne proposent pas de consultation ne désirent pas en lancer. Une nuance est tout de même à apporter, car 64 % ont répondu « Je n’en ai pas la possibilité », ce qui signifie que la décision ne dépend pas directement d’eux.
Concernant les freins au développement d’une consultation de comportement au sein de la clinique. Le premier d’entre eux est le « manque de connaissances » (26 %), et cela indépendamment du niveau de formation puisqu’il est également le premier frein pour les vétérinaires ayant suivi une formation. La deuxième limite est le « manque de demande » de la part des clients (20 %), puis la troisième, « le manque de rentabilité » (15 %).
De la même manière, pour les moteurs : le premier est « l’amélioration du bien-être animal » (31 %), puis « la diversification des activités de la clinique » (24 %), et enfin « répondre à la demande » (18 %). Ainsi, on note une forte dépendance de la clientèle comme de la gestion économique de la clinique, puisque la demande est un frein mais aussi un moteur. Les connaissances, une formation insuffisante sont ici bien les éléments centraux comme le sont l’animal et son bien-être.
D’un point de vue personnel, les freins sont : les connaissances (30 %), le temps (29 %), la demande (18 %). Les moteurs : la relation animal-propriétaire (40 %), la démarche intellectuelle/la relation client (21 %), la détection précoce des troubles du comportement (19 %).
De la même manière que du point de vue la clinique, les connaissances semblent être le problème principal, de même l’animal et le propriétaire sont au centre. Cependant, on voit ici l’importance du temps. Il y aurait un temps que les répondants ne seraient pas prêts à dépenser pour l’acquisition des connaissances nécessaires, malgré les avantages certains pour l’animal et son propriétaire.
Les vétérinaires considèrent la consultation de comportement comme un plus pour une clinique (58 %), bien avant l’activité d’un spécialiste à temps plein (20 %).
Les vétérinaires avaient la possibilité de donner librement leur avis sur le comportement, grâce à une question ouverte, qualitative. 61 % ont répondu à cette question et rédigé une réponse, ce qui correspond, in fine, à 18 000 mots.
Un résumé est proposé ici : le comportement représente une difficulté pour les praticiens, une difficulté à donner des conseils sans avoir les connaissances suffisantes, des conseils aux clients qui souvent ne les suivent pas. Le problème de la clientèle revient souvent, avec une notion récurrente de fatigue face à des cas souvent compliqués, et à des propriétaires qui ne comprennent pas le problème, ayant une image biaisée de leur relation avec leur animal. Ils ne sont pas réceptifs, n’ont pas la motivation nécessaire pour changer leurs habitudes, investir du temps et de l’argent, et ils redoutent l’utilisation de médicaments psychotropes. La mise en évidence de ces troubles est faite dans un premier temps par le vétérinaire, il s’agit rarement d’une démarche des propriétaires.
C’est une spécialité qui paraît alors, bien qu’utile, chronophage, car elle nécessite du temps pour convaincre, du temps pour gagner la confiance et la coopération du propriétaire, du temps nécessaire à une consultation et à une thérapie souvent longues, sans réel retour sur investissement, sans résultat visible, avec des échecs thérapeutiques fréquents, dans un contexte où l’organisation du temps de travail et la rentabilité sont centraux pour les vétérinaires.
Cette discipline reste cependant intellectuellement intéressante, parfois satisfaisante, surtout pour la compréhension du lien entre le propriétaire et son animal et l’amélioration du bien-être animal, mais c’est d’abord le fruit d’une démarche personnelle, et d’une passion, puisqu’elle nécessite des connaissances pointues dans ce domaine, mais également en psychologie/psychopathologie humaine. Elle est un plus dans le processus de fidélisation de la clientèle, dans la relation triangulaire vétérinaire-propriétaire-animal. Ce domaine est jugé très utile dans la prévention des troubles comportementaux et le bon développement des jeunes animaux, car les consultations spécialisées arrivent souvent tardivement et deviennent ensuite trop difficiles à gérer. Ces conseils de base sont souvent donnés lors d’une consultation généraliste, et préviennent des abandons ou des situations qui pourraient potentiellement se dégrader. La question de la responsabilité du vétérinaire lors de cas d’agressivité est souvent soulevée. Les cas de troubles du comportement sont de plus en plus nombreux, surtout dans les milieux de vie urbains. Le bien-être animal est davantage au centre des préoccupations. Beaucoup pensent que ces situations nécessitent une prise en charge par un spécialiste, diplômé, dans l’idéal à domicile, permettant ainsi de justifier le prix de la consultation, bien que certains aient le sentiment que ces spécialistes leur retirent une part de leur clientèle. La coordination entre généraliste et spécialiste paraît alors essentielle, ainsi que la complémentarité des deux dans le suivi de l’animal, dans le respect de la déontologie et de l’éthique. De plus, il semble exister des conflits sur le terrain des spécialistes. Les vétérinaires regrettent une formation initiale trop pauvre, et redoutent l’utilisation des psychotropes sans les connaître parfaitement. Par ailleurs, certains d’entre eux perçoivent cette discipline comme trop complexe. Une concurrence forte existe, surtout composée de professionnels non-vétérinaires, (éducateurs, dresseurs, club d’agility, etc.), qui travaillent en collaboration, ou non, avec les vétérinaires, qui en sont souvent satisfaits, même si certains constatent des compétences inadaptées. Le vétérinaire n’est pas considéré comme un spécialiste du comportement, comme il pourrait l’être dans d’autres domaines, et il apparaît nécessaire de retravailler cet “écosystème” pour que chacun trouve sa place, son rôle, dans la prise en charge de ces animaux.
Un nuage de points des classes de mots selon leur fréquence permet de représenter graphiquement cette analyse (ci-dessous).
Les vétérinaires n’ont pas tous comme projet de lancer une consultation de comportement ou de se former. Intégrer ce domaine représente pourtant un avantage pour la clinique : il s’agit d’un nouveau service, un moyen de diversifier ses activités, de développer la relation client et ainsi de fidéliser sa clientèle. La prise en charge précoce des troubles du comportement permet également l’amélioration du bien-être animal. Malgré cela, les vétérinaires n’ont pas tous la possibilité matérielle ou intellectuelle de proposer une telle consultation, quand bien même elle ne nécessite aucun investissement matériel. Cela peut être expliqué par le manque de compétences, par la volonté d’acquérir, dans les formations initiale et continue, des connaissances pointues en pathologies comportementales, en psychologie humaine, mais aussi dans l’utilisation des psychotropes. Ainsi, l’analyse du comportement a surtout un rôle de prévention, lors de consultations vaccinales, par exemple.
Cependant, les compétences nécessaires à une consultation de comportement sont avant tout des compétences humaines. Les qualités essentielles sont des qualités d’écoute, d’empathie, permettant la compréhension du lien homme-animal et de l’attachement. Ces qualités sont l’essence même du métier de vétérinaire. Le praticien s’en sert lors du recueil de commémoratifs ou de prises de décisions complexes.
Malgré tout, les consultations de comportement sont des consultations longues, avec un prix souvent difficile à justifier pour les généralistes. Un spécialiste aura ainsi plus de facilité à valoriser un savoir-faire. Elles sont faites à domicile, ce qui rajoute encore une contrainte, puisque c’est en étant proche du milieu de l’animal que les conseils sont le plus appropriés.
Se pose alors la question de la manière de référer. En effet, les troubles du comportement sont parfois des problèmes de l’ordre de la sphère intime des propriétaires, sphère dont le vétérinaire généraliste aura davantage connaissance. Une étroite collaboration est nécessaire entre le généraliste et le spécialiste, car les compétences ici ne sont pas seulement médicales, mais aussi humaines.
La demande des clients est aujourd’hui insuffisante pour motiver les vétérinaires à lancer une consultation de comportement, bien que souvent la demande suit l’offre. Cependant, le bien-être animal est au centre des préoccupations, les animaux de compagnie sont de plus en plus médicalisés, et ils forment une population vieillissante, au sein de laquelle on observe l’augmentation des troubles du comportement en partie liée à notre mode de vie, plus urbain, plus stressant. À l’avenir, le vétérinaire devra répondre aux attentes des propriétaires, comme aux conséquences de nos modes de vie sur nos animaux. De plus, la limite entre la santé mentale et la santé physique n’est plus aussi limpide qu’autrefois.
Une enquête est une manière simple et dynamique d’obtenir des informations, qui, bien que partielles, nous permettent d’envisager quelques pistes de réflexion. Il semble que l’éducation en soit une. L’éducation des vétérinaires, par une formation plus riche, permettant leur autonomie dans ce domaine, mais aussi l’éducation des propriétaires, en matière de reconnaissance des troubles mentaux comme ils le font déjà vis-à-vis des symptômes somatiques.
Piste importante aussi : la sensibilisation des vétérinaires, les amenant à prendre davantage en considération la santé mentale des animaux, et celle des propriétaires, pour qu’ils aient le réflexe de demander des conseils, ainsi qu’une consultation de comportement.
Tous ces questionnements vont dans le sens de préoccupations sociétales, comme en témoignent les nombreux débats publiques, juridiques, éthiques sur l’animal. Le vétérinaire a un rôle central puisqu’il est garant de la santé animale, mais aussi de la santé publique.
Ces questionnements sont le fruit d’une relation particulière qui lie l’homme à l’animal, de sa proximité avec lui. Et c’est bien ce lien que le vétérinaire a pour rôle de protéger.
Comme l’indique le philosophe Jacques Derrida, «
penser cette guerre dans laquelle nous sommes, ce n’est pas seulement un devoir, une responsabilité, une obligation, c’est aussi une nécessité, une contrainte à laquelle, bon gré ou mal gré, directement ou indirectement, nul ne saurait se soustraire. Désormais plus que jamais. Et je dis “penser” cette guerre, parce que je crois qu’il y va de ce que nous appelons “penser”. L’animal nous regarde, et nous sommes nus devant lui. Et penser commence peut-être là
».
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1 Pierre Dufour. « Le comportement animal et sa pratique en médecine vétérinaire : enquête auprès des vétérinaires canins ». Thèse de médecine vétérinaire, École nationale vétérinaire de Toulouse. 2017.
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