APICULTURE
PRATIQUE MIXTE
L'ACTU
Auteur(s) : TANIT HALFON
Les stratégies actuelles de lutte contre le frelon se heurtent à la réalité du terrain : sa population ne semble pas diminuer, et continue son extension en France et en Europe. Tous les acteurs de la filière s’accordent aujourd’hui à dire que la destruction des nids est utile. Le piégeage ne récolte pas les mêmes faveurs.
Vespa velutina est un fin stratège. Depuis son arrivée en Aquitaine en 2004, il a su rapidement s’étendre et envahir 70 % du territoire français. Avide de protéines pour nourrir ses larves, ce redoutable prédateur déploie des techniques de chasse particulièrement efficaces, visant notamment l’abeille domestique. Ce qui lui a valu son inscription sur la liste des espèces nuisibles de 2e catégorie. En Asie, dont il est originaire, sa population est régulée grâce à la présence d’autres espèces de frelons. En Europe, elle ne repose jusqu’à présent que sur la mobilisation des acteurs de la filière apicole, ainsi que des services publics. En 2013, une note de la DGAL1, fruit de la collaboration entre l’administration, les professionnels et les scientifiques, a défini les « mesures de surveillance, de prévention et de luttes permettant de limiter l’impact » de l’insecte, et dont la mise en œuvre repose sur la destruction des nids et le piégeage. Mais ce dernier s’avère plus complexe que prévu.
Chaque printemps, les femelles fondatrices, fécondées en automne, se mettent en quête du site idéal pour y construire chacune leur propre nid et y pondre leurs œufs. « Il faut du matériel végétal, de l’eau et de la nourriture pour la reine et ses futures larves », indique Denis Thiéry, directeur de recherche de l’UMR Save, Inra2 de Bordeaux. On peut ainsi trouver des nids à proximité des étendues d’eau, des supermarchés ou, de manière générale, des zones riches en déchets alimentaires (agglomérations). La reine seule chasse rarement les abeilles, et trouve les protéines indispensables aux larves dans la chair d’autres insectes (guêpes, papillons, etc.) ou parmi les détritus. Une cinquantaine de jours après la ponte émergent les premières ouvrières (vers mai-juin), qui commencent à chasser (les abeilles, entre autres) aux alentours du mois de juillet. La pression de prédation sur l’abeille domestique augmente ensuite de façon exponentielle jusqu’au mois de novembre. À l’automne émergent les mâles et les futures fondatrices, qui quittent le nid et s’accouplent. Les femelles fécondées vont alors hiberner jusqu’au retour des températures printanières (supérieures à 10 °C). Les mâles et le reste de la colonie meurent.
La communauté scientifique recommande de piéger les ouvrières à partir de juillet-août jusqu’en novembre, période pendant laquelle la pression de prédation (figure) est la plus forte, à l’aide d’appâts sucrés, comme le jus de vieille cire fermentée, ou protéinés, comme le poisson (à changer tous les deux ou trois jours). Mais uniquement dans les ruchers attaqués. « Il faut éviter de créer de nouveaux terrains de chasse pour le frelon, en l’attirant, via les pièges, dans des ruchers indemnes, rappelle Quentin Rome, entomologiste au Muséum national d’histoire naturelle. L’objectif théorique est de diminuer uniquement la pression de prédation ». En effet, jusqu’à présent, aucune étude n’a évalué l’efficacité de cette méthode à grande échelle. De plus, les appâts utilisés s’avèrent décevants car peu sélectifs. Pourquoi alors s’en tenir à ces recommandations de piégeage ? « Parce que de nombreuses études et expériences de terrain, notamment en Nouvelle-Zélande et en Australie, tendent à montrer que l’alternative, qui est le piégeage des fondatrices au printemps, est totalement inefficace pour diminuer la population globale », indique Quentin Rome. De plus, « cette capture, telle qu’elle est pratiquée actuellement, de manière artisanale et sans aménagements, avec un appât sucré, est non sélective », rajoute Denis Thiéry. « Les études ne dénombrent, parmi les insectes capturés, qu’environ 1 % de fondatrices, ce qui laisse entrevoir un impact non négligeable sur l’entomofaune locale », précise Quentin Rome. Autre problématique : « Au printemps, les fondatrices sont dans une dynamique migratoire, elles parcourent de grande distance. Il s’avère donc difficile de savoir où placer ces pièges », indique Denis Thiéry. Et d’ajouter qu’un piégeage des futures fondatrices en automne, avant hibernation et à proximité de leurs anciens nids, serait théoriquement intéressant, mais non étudié pour l’instant. Le Muséum national d’histoire naturelle et l’Itsap3ont lancé une expérimentation cette année pour évaluer l’efficacité du piégeage des reines au printemps à grande échelle. Quentin Rome espère ainsi que les conclusions de l’étude permettront de faire évoluer les recommandations. Denis Thiéry rajoute d’ailleurs que d’autres méthodes de capture des fondatrices au printemps, plus sélectives, sont actuellement à l’essai.
Des voix s’élèvent pour protester contre ces recommandations, notamment celle de l’Unaf4. Son président, Gilles Lanio, ressent un certain mépris de la part de la communauté scientifique vis-à-vis de la parole de nombreux apiculteurs : « Je pense que piéger les ouvrières ne suffit pas. Une fois arrivées, c’est souvent déjà trop tard ! Il faut piéger les reines. »Selon lui, en installant ces pièges de début avril à fin mai (s’il fait beau et que les températures sont clémentes), dans des zones attrayantes pour les reines (par exemple, à proximité de certains végétaux comme les camélias à fleurs simple, néfliers du japon, bananiers ou pruniers en fleurs), près des anciens nids de l’année précédente, mais aussi à proximité des ruchers, les résultats sont au rendez-vous. « Dans le Morbihan, en 2014, les frelons firent de gros dégâts dans les colonies d’abeilles, le piégeage de printemps ne s’étant pratiqué qu’aux ruchers, qui ne sont pas des sites privilégiés par les reines. Les années suivantes, les campagnes de capture organisées près des anciens nids, composteurs, arbres à fleurs, etc. ont permis de tuer 24 612 reines en 2015 et 49 072 en 2016. Le frelon arrivant plus tard dans la saison, le stress sur les colonies dure moins longtemps et les ruchers vont mieux ! » Et la sélectivité ? « Je ne crois pas que les dégâts collatéraux des pièges supplantent ceux faits par le frelon sur les autres pollinisateurs. » Malgré ces campagnes, le rapport 2016 de la FDGDON5 du Morbihan rapporte des nids de frelons en augmentation (x 1,9 en 2016 par rapport à 2015 à Lorient, par exemple), surtout dans les villes, mais aussi une hausse des attaques des ruchers proches des zones urbaines, relativement tard dans la saison (de mi-septembre à mi-novembre).« Cela est probablement lié à un piégeage insuffisant. Pour être efficace, il faudrait qu’il soit coordonné à l’ensemble du territoire ». Gilles Lanio considère que le frelon fait désormais partie du paysage français, alors, comme pour tout autre nuisible, la lutte ne sert qu’à contrôler la population, pour mieux protéger les abeilles.
Pour les scientifiques, il convient de respecter le principe de précaution concernant le piégeage, en attendant l’amélioration de la sélectivité des appâts, et de se concentrer sur la destruction des nids, bien que des progrès dans leur détection restent encore à faire. Mais aussi, comme le suggère Denis Thiéry, d’envisager de former un plus grand nombre de sentinelles pour les repérer, notamment dans les zones à risque. D’autres méthodes de lutte existent, telles que les grilles à placer à l’entrée des ruches ou encore les cabanes grillagées. Dans tous les cas, il conviendrait de coordonner l’ensemble des actions mises en place à grande échelle. Au final, quelles que soient les méthodes employées, et comme le rappelle Denis Thiéry, les apiculteurs se retrouvent souvent seuls à assumer financièrement cette lutte. Une épreuve de plus sur un secteur déjà fragilisé.
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1 Direction générale de l’alimentation.
2 L’unité mixte de recherche Santé et agroécologie du vignoble, Institut national de la recherche agronomique.
3 Institut technique et scientifique de l’apiculture et de la pollinisation.
4 Union nationale de l’apiculture française.
5 Fédération départementale des groupements de défense contre les organismes nuisibles.
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