DOSSIER
Alors qu’à première vue, les statistiques tendent à dessiner l’image de diplômés “volatils”, où sont les jeunes vétérinaires ?, a-t-on envie de s’écrier. Et les praticiens libéraux qui peinent à recruter de s’inquiéter contre cette “disparition” à la sortie des écoles de potentiels remplaçants, associés ou salariés… Qu’en est-il vraiment ?
Début janvier, un éditorial de Pierre Buisson, président du Syndicat national des vétérinaires d’exercice libéral (SNVEL), faisait l’effet d’une petite bombe au sein de la profession. Il y évoquait « une perte annuelle de 20 % d’une promotion », en référence à une statistique démographique récemment dévoilée par l’Ordre, concernant le pourcentage de non-inscriptions dans l’année qui suit le diplôme de 5e année. Au-delà de l’émotion, que nous disent les analyses ?
25,7 % des diplômés des écoles nationales vétérinaires françaises en 2014 n’exercent pas la médecine et la chirurgie des animaux, d’après une statistique publiée par l’Ordre. N’en déduisons surtout pas qu’ils sont perdus corps et biens pour la profession ! En effet, Laurent Jessenne, président du Club vétérinaires et entreprises et membre d’Evolpro, un groupe de travail de Vétos-entraide1, estime « que ne s’inscrivent pas à l’Ordre entre 50 et 60 % des diplômés vétérinaires en activité dans le secteur dit privé (de l’industrie, notamment), corps qui représente près de 10 % des diplômés en exercice. Sans compter qu’il existe d’autres cas de non-inscription à la sortie de l’école : parce que les diplômés s’expatrient, suivent un 3e cycle, font une pause, etc. ».« Ce phénomène n’est pas spécifique au monde vétérinaire », ajoute Christophe Hugnet, praticien mixte à La Bégude-de-Mazenc (Drôme). « Chaque année, pas moins de 25 % des médecins diplômés d’une faculté française décident de ne pas s’inscrire à l’Ordre pour exercer d’autres professions, dans le journalisme ou l’administration par exemple, au détriment du soin. »
« Plusieurs raisons expliquent cela, poursuit Christophe Hugnet. Et je ne vois pas de motif à porter un jugement sur les choix de vie de chacun. Tout d’abord, les attentes individuelles s’inscrivent dans une société évolutive avec des priorités de vie et de construction de projet probablement différents de ceux des générations passées. L’équilibre vie professionnelle/vie privée est modifié. La féminisation n’en est pas la cause mais seulement un cofacteur conjoncturel. L’ouverture des étudiants à d’autres formes d’exercice, la décision de profiter de sa jeunesse pour explorer le monde ou d’autres horizons (à l’instar de la culture anglo-saxone et des années de césures), la possibilité de bénéficier d’aides sociales acquises, la déception ou l’inquiétude de la pratique libérale, sont autant de motifs rencontrés ou exposés par nos jeunes collègues. De plus, ces dernières années, le nombre de vétérinaires français diplômés des universités et écoles vétérinaires européennes a nettement diminué (en particulier à la suite de l’instauration de quotas en Belgique). »
Par ailleurs, une thèse rédigée par Jean-Étienne Bergemer sur l’adaptabilité professionnelle2 souligne que « la plupart des vétérinaires réorientés exercent un métier qui reste connecté à la pratique et/ou à la médecine et physiologie des animaux. Ceux qui sont totalement sortis du terrain connu représentent dans les faits seulement de 1 à 2,5 % des vétérinaires ».« En définitive, analyse Laurent Jessenne, quand on organise des anniversaires de promotion, on “perd de vue” entre 5 et 10 % des effectifs, qui disparaissent des radars sans laisser d’adresse ou presque : départs à l’étranger, reconversions professionnelles ou, hélas, décès prématurés… Ce chiffre, équivalent chez les médecins, semble d’ailleurs assez constant depuis les 30 dernières années, que j’ai pu analyser. »
Autre constat intéressant : si l’on élargit à la tranche des 25-65 ans, il y a entre 30 à 35 % des vétérinaires qui n’exercent pas – ou plus – en clientèle. Ce ne sont donc pas uniquement les jeunes qui sont concernés… « Cependant, des allers-retours entre l’industrie et la clientèle peuvent être très enrichissants, souligne Christophe Navarro, praticien à Thermovet (réseau canin/nouveaux animaux de compagnie, sud-est de la France). Certes, quelqu’un qui a travaillé plusieurs années dans la sécurité alimentaire ne sera pas opérationnel dès le premier jour en clinique. Mais il pourra, par exemple, apporter beaucoup au reste de l’équipe en matière d’amélioration de la démarche qualité. »
Pourquoi de jeunes confrères raccrochent-ils cependant parfois leurs blouses ? Trop de responsabilité, de stress, des horaires trop lourds, pour pas assez d’argent gagné semblent des arguments souvent évoqués. « J’ai aussi l’impression que les débuts d’exercice en libéral sont différents aujourd’hui, ajoute Christelle Fournel, maître de conférences en management et gestion à l’École nationale vétérinaire d’Alfort (ENVA). Nous apprenions autrefois très vite notre métier en allant en stage dès la 2e année, sans contrat ou accord particulier de l’école. Nous pouvions ainsi assimiler des gestes simples et comprendre le métier très tôt. Certains commençaient les gardes dès la 3e année. Et, du coup, nous n’hésitions pas à faire “bénévolement” 70 heures par semaine ! Il est vrai qu’au début des années 2000 praticiens comme étudiants se souciaient bien moins des possibles accidents professionnels… »Par ailleurs, les étudiants allaient très tôt faire de la “pique”. Ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. « Cela a-t-il contribué à les éloigner du monde rural ?, interroge Christelle Fournel. De plus, je trouve qu’il existe parfois un écart énorme entre les enseignements et le marché du travail. On ne peut pas, par exemple, faire partout de la chirurgie ultraperformante, et d’ailleurs, ce n’est pas éthique de le proposer systématiquement. Les traitements doivent s’adapter aux contraintes temporelles et à ce que le client est prêt à payer. Enfin, dès l’orientation, on n’avertit pas assez les futurs professionnels qu’il faut qu’ils aiment les animaux… mais aussi leurs propriétaires ! »
« Pour sauver l’exercice en libéral, notre enseignement devrait vraiment évoluer vers l’alternance, analyse pour sa part Thierry Bedossa, praticien (Hauts-de-Seine), médecin du comportement au centre hospitalier universitaire vétérinaire d’Alfort (Chuva). Car l’alternance permet une exposition et une immersion précoces et extensives à l’environnement professionnel futur. Quant à la cogestion de l’enseignement dans les écoles nationales vétérinaires avec les praticiens, elle permettrait, sans porter atteinte à la qualité et au contenu scientifique, d’élaborer des contenus et de délivrer aux étudiants des expériences en phase avec les besoins et le quotidien de notre activité professionnelle. »
« En fait, complète Pierre Sans, enseignant à l’École nationale vétérinaire de Toulouse (ENVT), nous manquons d’analyse complète, d’une part sur le parcours de ces “perdus” et d’autre part sur l’inadéquation entre l’offre et la demande d’emploi. C’est pourquoi nous allons démarrer une thèse qui sera soutenue fin 2018 en étudiant sur une période donnée les offres de recrutement. Puis nous interrogerons les structures à l’origine de ces offres pour savoir si elles ont reçu des candidatures, ont recruté et sous quelle forme (contrat à durée déterminée ou indéterminée, temps partiel, autre). Par ailleurs, j’envisage d’analyser les trajectoires des “20 % manquants” après leur sortie des écoles nationales vétérinaires. J’espère que ces deux réalisations nous permettront de mieux déchiffrer les tendances observées. »
« Afin de former des praticiens qui font un choix assumé d’exercice en libéral, et pour éviter d’avoir trop de jeunes diplômés qui après trois ans de pratique en clientèle quittent l’Ordre, l’école organise, dès la 1re année, puis de manière répétée plus tard, des rencontres entre les étudiants et des professionnels de différents métiers, informe par ailleurs Luc Mounier, directeur des formations à VetAgro Sup. Elle développe aussi des modules sur les grands enjeux de la profession et donne des éléments de gestion d’entreprise. Mais chacun (professionnels, enseignants, Ordre, syndicat, etc.) est bien conscient que le métier est en pleine évolution. »
Afin de mieux analyser la situation et tâcher d’y apporter des solutions, l’opération Vetfuturs, portée par l’Ordre et le SNVEL, est lancée depuis début 2017. « Je sais que des groupes d’élèves des quatre écoles vétérinaires ont créé un groupe Facebook de réflexion, informe Luc Mounier, qui pilote l’une de ces équipes. Nous nous intéressons, par exemple, à mieux cerner quelles sont les attentes, les interrogations et les craintes de nos étudiants actuels par rapport à leur futur professionnel. Car ce sont ces jeunes qui dessineront le visage de la profession de demain. »
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1 Voir vetos-entraide.com/EVOLPRO et clubveterinairesetentreprises.fr.
2 Jean-Étienne Bergemer. « La force d’adaptation professionnelle du vétérinaire : images et réalités ». Thèse de médecine vétérinaire, ENVA. 2014.
« GÉNÉRATION DE ZAPPEURS, NOUS AVONS DES ATTENTES DIFFÉRENTES ! »
« LE PROBLÈME DU RECRUTEMENT PROVIENT EN PARTIE
D’UN MANQUE DE MOTIVATION À EXERCER »
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L’ouvrage ECG du chien et du chat - Diagnostic des arythmies s’engage à fournir à l’étudiant débutant ou au spécialiste en cardiologie une approche pratique du diagnostic électrocardiographique, ainsi que des connaissances approfondies, afin de leur permettre un réel apprentissage dans ce domaine qui a intrigué les praticiens pendant plus d’un siècle. L’association des différentes expériences des auteurs donne de la consistance à l’abord de l’interprétation des tracés ECG effectués chez le chien et le chat.
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