Chevalier errant

Petite nation rurale, le Portugal n’en regarde pas moins l’océan avec la nostalgie de son passé conquérant. Miroir de cette complexité identitaire, la culture portugaise, repliée sur elle-même pour mieux se rêver, est pénétrée d’un lyrisme à la fois mélancolique et enjoué, doux et sentimental, parfois désinvolte. En témoignent sa littérature, une des plus anciennes d’Europe, et son cinéma, comme celui de Pedro Costa, de João Pedro Rodrigues et de Miguel Gomes. En faisant jaillir l’épopée des marges et la poésie du quotidien, ce film s’inscrit subtilement dans ces pas. Il s’attache à l’extravagante figure d’un septuagénaire à l’allure de mariachi, invariablement affublé d’un sombrero et de bottes de cuir. Infatigable errant, Silva a arpenté toutes les routes et pratiqué tous les métiers : agriculteur, berger, barbier, maçon, mineur, jardinier, clown, magicien. « J’ai perdu la folie », dit-il aujourd’hui. En bout de course, il s’est arrêté dans un petit village du nord du Portugal, où il vit isolé, entouré de chiens et de chats, habité de visions, de fantômes et de souvenirs. Se liant d’amitié avec une jeune fille, fascinée par les récits de ce Don Quichotte, il trouve, dans son écoute, une manière de ressusciter celui qu’il fut. Intriquant le quotidien rustique du personnage et son onirisme halluciné, le film, entre documentaire et fiction, transfigure la réalité des ultimes divagations de Silva… qui est, comme le suggère Miguel Gomes, « déjà un film en soi ».
•

Rio Corgo de Maya Kosa et Sergio Da Costa, Suisse/Portugal, 1 h 35, sortie le 7 juin.