Vétérinaire, nutrition et pet food , un trio qui se cherche - La Semaine Vétérinaire n° 1726 du 01/07/2017
La Semaine Vétérinaire n° 1726 du 01/07/2017

DOSSIER

Auteur(s) : CHARLOTTE DEVAUX 

Quelle place a la nutrition, et plus particulièrement la vente d’aliment, dans le métier de vétérinaire ? Est-ce rentable d’y consacrer du temps ? Sommes-nous correctement outillés pour répondre à la demande des clients en matière d’information, de prix et de services ? Les vétérinaires, la nutrition et le pet food : plongée au sein d’une relation compliquée.

Entre 2006 et 2016, le nombre de thèses vétérinaires, toutes espèces confondues, contenant le mot-clé “chirurgie” était de 688, contre 172 en lien avec la nutrition et aucune portant sur le thème du pet food. Du côté de la formation continue des vétérinaires, la nutrition n’est pas plus en vogue. Même dans les plus grandes associations de formation, on ne compte que 1 % des formations consacrées à ce domaine, certains cycles complets, notamment de pathologie féline, ne mentionnent même pas l’alimentation. Pourquoi un tel désamour des vétérinaires ?

De multiples causes de désamour

La nutrition, discipline à base de calculs et de notions parfois complexes (comme le fameux rapport protidocalorique…), ferait-elle peur à l’étudiant, puis au praticien qui préférerait se tourner vers les aliments prééquilibrés et prêts à l’emploi ? Serait-ce un échec de démocratisation ? En même temps, cette faible affinité des professionnels de santé pour la nutrition frappe aussi la médecine humaine. Nourrir, acte à la portée de tous, ne serait-il pas assez noble ? La profession vétérinaire, qui a le monopole des soins aux animaux, délaisserait-elle la nutrition et le pet food car, sur ce domaine, elle a de la concurrence ? Ou serait-ce l’aspect commercial de la diététique vétérinaire qui rebuterait les soignants par peur que les objectifs économiques ne l’emportent sur ceux de la santé ? Il est vrai que la formation continue étant réduite, ce sont alors les petfooders qui forment les praticiens, avec le conflit d’intérêts évident que cela suppose.

Un décalage entre l’offre et la demande

Mais si la nutrition n’est pas le domaine favori des praticiens, c’est souvent celui des clients. Les questions de plus en plus fréquentes des propriétaires sur les thèmes du Barf (biologically appropriate raw food), des croquettes sans céréales et des régimes végétariens ont relancé l’engouement de leurs vétérinaires, qui se sont serrés dans les conférences du dernier congrès de l’Association française des vétérinaires pour animaux de compagnie (Afvac) dédiées à la nutrition, allant même jusqu’à s’asseoir par terre pour savoir enfin que répondre à leurs clients ! Ceux qui souhaitent approfondir le sujet peuvent se réjouir : le certificat d’études spécialisées (CES) de diététique, dont la dernière session a eu lieu en 2014 à la suite du départ à la retraite du Pr Bernard Paragon, pourrait renaître de ses cendres sous la forme d’un diplôme d’école (DE), en 2018, sous l’impulsion de Caroline Daumas, résidente en nutrition à l’École nationale vétérinaire d’Alfort (ENVA). La trentaine de candidats intéressés par feu le CES pourront trouver de quoi satisfaire leur soif de connaissances nutritionnelles.

Vétérinaire et vendeur d’aliment, une relation complexe

Le vétérinaire n’est, en général, pas à l’aise avec l’aspect commercial et monétaire de son métier. Dans l’idéal populaire, il vit d’amour des animaux et d’eau fraîche, fait son métier par pure passion, il est pauvre mais heureux. Quand déjà faire payer les actes à leur juste valeur relève du challenge, comment vendre des croquettes (jugées à tort ou à raison hors de prix) ? En effet, ces aliments représentent le principal poste de dépense des possesseurs d’animaux : 42 % du budget contre 24 % pour les soins1. Philippe Baralon, gérant de Phylum, cabinet de conseil en stratégie et management, répond : « Le travail du vétérinaire n’est pas de vendre des croquettes, mais de prescrire un aliment. On ne prescrit pas quelque chose que l’on vend, on vend quelque chose que l’on prescrit ! » Une fois que l’on est suffisamment formé en nutrition pour pouvoir prescrire le meilleur aliment industriel ou non, vétérinaire ou non, correspondant à l’animal et à la demande du propriétaire, les freins ne sont plus que dans nos têtes. Philippe Baralon, non sans humour, insiste : « Si vous vendez des sushis en les décrivant comme des boules de riz gluant surmontés d’un morceau de poisson mort, vous avez peu de chances que ça marche. Ne faites rien dont vous ne soyez pas convaincu ! »

Le pet food, facteur de fréquentation

D’un point de vue strictement commercial, l’intérêt du pet food pour le vétérinaire est de maintenir le flux de clients dans sa structure : un propriétaire qui se procure la nourriture de son animal à la clinique vient cinq fois plus qu’un autre2. Ces passages supplémentaires sont aussi l’occasion pour lui d’acheter son vermifuge, ses antiparasitaires externes, de prendre rendez-vous… Le pet food est alors un facteur de fréquentation qui augmente la vente d’autres services. Les clients qui n’achètent pas la nourriture de leur animal à la clinique seront vus deux fois par an contre dix fois dans le cas contraire.

Des solutions pour rester concurrentiel

Mais nombre de vétérinaires pensent ne pas pouvoir être concurrentiels sur les prix du pet food et donc être incapables de recruter des clients dans ce domaine. Là encore, Philippe Baralon, titulaire d’un master of business administration (MBA) de l’École des hautes études commerciales (HEC), bouscule les idées reçues. Il s’insurge contre cette manie vétérinaire française des marges fixes avec, par exemple, pour le pet food, un taux de marge de 33 %. « On ne marge pas par paliers, on s’aligne avec la concurrence. La fixation des prix est notre liberté, nous en sommes responsables. Être compétitif, c’est ne pas être plus cher qu’ailleurs : maximum 5 sur un grand sac », développe-t-il. Mais comment faire pour être concurrentiel face à Internet ? « En optimisant ses achats : participer à une structure de regroupement d’achats, négocier d’abord avec la centrale, puis avec les fabricants et concentrer ses achats sur deux marques, dont une principale sur chaque indication », répond-il. D’autres ont choisi la stratégie de la présence sur Internet, au prix du réseau, comme notre confrère Jean-Jacques Dentz avec l’e-shop Myvetshop.fr (entretien page 35).

Le vétérinaire reste le référent nutrition des propriétaires

Mais le praticien, plus que vendeur d’aliment, devrait surtout être le garant de la science dans ce domaine pétri de croyances qu’est la nutrition. Parmi toutes les informations disponibles sur le Web et ailleurs, c’est encore vers leur vétérinaire que se tournent les propriétaires pour avoir des informations fiables et scientifiques. En même temps, qui mieux que le vétérinaire peut conseiller sur l’alimentation des animaux ? Aujourd’hui, ce sont souvent les éleveurs, éducateurs ou vendeurs d’animalerie qui conseillent les propriétaires sur l’alimentation idéale à donner à leur animal. Ils s’engouffrent dans le créneau laissé vacant par la profession, qui s’est contentée pendant de nombreuses années de prôner le “hors des croquettes, point de salut” ou d’asséner des affirmations sans fondement scientifique comme : « Il ne faut pas donner d’os aux chiens ou de lait au chat. » De nos jours, face aux clients informés sur Internet ou ailleurs, il convient d’avoir des arguments solides pour justifier ce que l’on avance. Mais aussi de faire preuve d’écoute face à leur volonté d’empowerment. Les propriétaires cherchent à s’approprier les connaissances pour pouvoir nourrir eux-mêmes leur animal, on le voit avec la pratique de plus en plus courante du Barf, où l’on cuisine pour son animal comme on le ferait pour son enfant. Ils ont alors besoin d’être guidés dans les méandres de la diététique par des professionnels avisés, compétents et surtout à leur écoute.

1 Source : étude américaine de l’American Pet Products Association, « Actual Sales within the US Market in 2016 ».

2 Source : Philippe Baralon, cabinet Phylum.

ENTRETIEN AVEC  JEAN-JACQUES DENTZ (MYVETSHOP.FR) 

« SE DÉFENDRE FACE À L’ÉCHAPPEMENT DES CLIENTS »

Pourquoi avoir créé le site Myvetshop.fr ?
Myvetshop.fr est l’évolution “multicentrales” du site Vetshop21.fr, créé il y a huit ans pour répondre au tassement du marché du pet food dans les structures vétérinaires. Le but était d’avoir un prix de vente concurrentiel par rapport aux autres acteurs du marché internet en maintenant le flux des propriétaires acheteurs au sein des structures. L’objectif n’est pas de réaliser une conquête du marché internet, mais de se défendre face à l’échappement des clients et de récupérer le fruit de ses efforts de prescription auprès d’eux. La création de Myvetshop.fr nous a permis d’afficher des prix compétitifs et d’arrêter de passer pour des voleurs en proposant la même chose qu’ailleurs mais plus cher !

Comment le site fonctionne-t-il pour les clients ?
La clinique fournit à ses clients un code qui leur permet de s’identifier sur le site Myvetshop.fr, d’accéder aux prix privilèges, aux gammes thérapeutiques et de pouvoir se faire livrer leur commande à la clinique. Ce dernier service est gratuit, mais le client peut demander une livraison à domicile qui, elle, est payante, ce qui en pratique est assez dissuasif : 99 % des clients viennent récupérer leur commande à la clinique, qui sert alorsde point de retrait.

Et pour les vétérinaires ?
Le vétérinaire ne débourse rien pour accéder au site. C’est Myvetshop.fr qui achète les croquettes et les vend. Trimestriellement, les marges avant, d’environ 20 % actuellement (taux de marque), sont rétrocédées au vétérinaire sous forme de chèque. La remise centrale est effectuée sur tout le volume vendu par Myvetshop.fr. Elle est donc plus importante que pour une clinique isolée. Le choix a été fait de la rétrocéder selon une grille proportionnelle au volume de vente de la clinique. Une partie de cette marge supplémentaire est gardée par le site pour ses frais de fonctionnement (environ 5 %). Mais, au final, chaque vétérinaire obtient plus de remises que s’il était resté seul. Les ventes réalisées sont ensuite réintégrées dans le chiffre d’affaires de la clinique pour obtenir la remise arrière accordée par les petfooders, qui est, elle aussi, meilleure du fait de l’adhésion à Myvetshop.fr.

Et ça marche ?
Oui ! Pour preuve, aujourd’hui, nous rassemblons 92 cliniques ! La crainte des vétérinaires est que leurs clients fidèles cessent d’acheter à la clinique pour s’approvisionner sur le site. En pratique, moins de 20 % des acheteurs sur Internet sont d’anciens clients pet food de la clinique ; il y a donc 80 % de nouveaux clients ! Nous leur proposons un site performant, dont les prix sont alignés régulièrement sur les 300 produits les plus vendus par les grands concurrents tels que Medicanimals.fr ou Zooplus.fr, grâce à une veille concurrentielle permanente. Le but n’est pas d’être moins cher que les autres, mais compétitifs : notre marge d’acceptabilité est de l’ordre de 5 %. Certains produits sont alors vendus à marge 0 ; pas encore de marge négative pour le moment ! C’est essentiel, car le client internet compare. Sur Myvetshop.fr, il voit qu’il peut faire confiance à son vétérinaire pour trouver les meilleurs prix, ce qui est primordial pour la confiance praticien-client.

AU SECOURS, MON CLIENT ME PARLE BARF ET CROQUETTES SANS CÉRÉALES !

Le Barf (biologically appropriate raw food, nourriture crue biologiquement appropriée) est une philosophie qui a vu le jour dans les années 1990 en Australie. C’est un vétérinaire, Ian Billinghurst, qui a conceptualisé ce courant visant à se rapprocher du régime alimentaire de l’animal sauvage en lui donnant une alimentation crue et sans céréales. Depuis, l’engouement ne faiblit pas. En revanche, le mouvement s’est bien transformé ! Si le Barf originel comportait énormément d’os charnus – Billinghurst recommandait 60 à 70 % de la ration sous cette forme –, de nombreuses études ont montré que ce taux était trop élevé, et aujourd’hui le média le plus important du Barf français, le site Tribu-carnivore.com, ne préconise plus que 40 % d’os charnus. Or, de nombreuses personnes ne connaissent pas cette évolution du Barf et fondent leurs objections sur le peu d’études disponibles qui étudient le Barf Billinghurst. On assiste aujourd’hui à une incompréhension totale “barfeurs”-vétérinaires, car ils ne parlent pas de la même chose. L’autre problème en défaveur du Barf est tous ces gens qui prétendent en faire, mais à moindre coût, avec des “steaks pour chien”. Le Barf est une ration ménagère à base de viande crue, d’abats, de légumes et de fruits, sans céréales et parfois sans complément minéral vitaminé ou CMV (son principal problème).


DES RÉGIMES BARF À PRENDRE ET À LAISSER

Comme toute ration ménagère digne de ce nom, le Barf coûte cher, au moins autant que des croquettes premium, car couvrir les besoins en protéines d’un chien avec de la viande fraîche représente un coût élevé. Alors, certaines personnes tentées par l’idée de nourrir leur animal elles-mêmes se tournent vers ce que l’industrie agroalimentaire appelle des “steaks pour chien”, une manière poétique de nommer des carcasses de poulet broyées avec de la peau. En plus d’être une aberration nutritionnelle, cela représente une interprétation assez subjective de la notion de nourriture biologiquement appropriée… Une fois retirés les pseudos “barfeurs” de carcasses, reste les “barfeurs Tribucarnivore”.Bien que l’on ne dispose pas d’études sur leur pratique, ils se sont donné la peine d’analyser (ou de faire analyser) leurs rations et elles ne présentent plus (du moins de façon criante) les excès et défauts du Barf Billinghurst. Certes, il convient d’accepter de lâcher prise, on ne connaît pas exactement la composition du régime, mais sur un chien adulte, en bon état avec le poil brillant, pas de raison de s’inquiéter. Une des principales réserves nutritionnelles à émettre reste l’utilisation d’os chez le chiot à la place d’un complément minéral et vitaminique correctement dosé. En effet, le chiot, contrairement à l’adulte, ne régule pas sa consommation de calcium et l’absorption passive peut entraîner une hypercalcémie capable de sidérer la croissance osseuse. Pour le reste, regardez une gamelle Barf, certains de ces chiens mangent mieux que nous !


QUAND LES INDUSTRIELS S’EN MÊLENT

Avec cette montée d’une volonté d’alimentation naturelle et ancestrale pour le chien, les industriels y ont vu un marché juteux. Ne pouvant pas proposer de croquettes crues, ils se sont concentrés sur l’aspect “sans céréales” du régime Barf pour proposer des produits à même de séduire les clients “nature” souhaitant éviter les contraintes d’une ration ménagère. Or, ce qu’ils ont omis de dire, c’est que, s’il est parfaitement possible de fabriquer des croquettes sans céréales, il est en revanche impossible d’en faire sans amidon ! Dès lors, les céréales sont remplacées par d’autres sources d’amidon (pomme de terre, patate douce, pois, etc.), qui ne font pas non plus partie du régime ancestral du chien… Mais au-delà de l’aspect philosophique, ce type de croquettes présente-t-il un intérêt nutritionnel ? Oui et non, tout dépend de quoi elles sont composées. Une croquette sans céréales mais riche en amidon n’aura qu’un intérêt nutritionnel limité pour un carnivore, tandis qu’une autre sans céréales et pauvre en amidon sera plus intéressante (autant qu’une croquette avec céréales et pauvre en amidon d’ailleurs…). Alors, comment faire le distingo ? Pour simplifier, on attendra d’une bonne croquette sans céréales un pourcentage de protéines supérieur à 30 % chez le chien et à 40 % chez le chat. Tout en surveillant le taux de cendres qui devra rester inférieur à 10 %. Ne reste plus qu’à trier le bon grain de l’ivraie !


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