Le partage du sensible

Originaire du pays de Caux, qu’il n’a jamais quitté, Pierre Creton filme où il vit et travaille où il filme. Chacune de ses multiples vies d’ouvrier agricole – apiculteur, horticulteur, peseur au contrôle laitier, vacher, etc. – donne matière et forme à un film. Classé par défaut dans la catégorie documentaire, son cinéma, inspiré par le réel et nourri par l’art (littérature, peinture), échappe aux genres et efface la frontière entre l’expérience et l’œuvre. Autobiographique mais tourné vers l’autre (l’animal notamment), il puise dans l’ordinaire en considérant que rien ne l’est. Captant avec patience l’intimité d’un monde proche, Pierre Creton en agence les images et les voix pour en transfigurer la belle étrangeté.

Ce dernier film est né du désir du cinéaste de filmer Madeleine, une de ses voisines. L’occasion lui en fut donnée quand celle-ci, un jour de neige, recueillit un petit marcassin dont la mère avait été abattue et le nourrit au biberon. Avec cette fable d’hospitalité insolite – transgressive du point de vue d’un chasseur –, le cinéaste croise deux récits, également hantés par les animaux, le reliant à deux autres figures amies. Du bocage normand – où la machine à PPC¹ de Joseph suscite la nuit des rêves traversés de chats – aux contreforts de l’Himalaya – où un singe facétieux viendra visiter ceux de Vincent –, le film, comme un poème intérieur, déroule des fils invisibles entre les êtres et, par la grâce d’un regard qui embrasse plus qu’il ne sépare, offre la beauté du partage.
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¹ Machine à pression positive continue utilisée pour le traitement de l’apnée du sommeil.

Va, Toto ! de Pierre Creton, avec Ghislaine Paul-Cavallier, Pierre Creton, Pierre Lavenu et les voix de Françoise Lebrun, Grégory Gadebois, Rufus, 1 h 34, sortie le 4 octobre.