REPORTAGE
PRATIQUE CANINE
L'ACTU
Auteur(s) : PHOTOREPORTAGE DE FRÉDÉRIC THUAL
Attachée à la lutte contre l’abandon et l’euthanasie des chiens, la vétérinaire comportementaliste nantaise Nathalie Simon peaufine depuis une quinzaine d’années une méthode d’éducation canine innovante pour éviter ces extrémités. Un parcours scientifique original mûri et mis à l’épreuve d’une pratique quotidienne en cabinet. Regards sur la Conduite accompagnée du chien®.
Je montre tous les jours que l’on peut faire autrement, qu’avec très peu de choses et une bonne méthode, on obtient des résultats essentiels », explique Nathalie Simon, vétérinaire comportementaliste à la Chapelle-sur-Erdre (Loire-Atlantique). Autrement ? « Autrement que d’attraper le chien par la peau du cou, sous prétexte de nécessités hiérarchiques, quand on sait que c’est la cause la plus fréquente de l’agressivité par irritation, que l’on constatera lors de soins. Autrement encore, quand pour des motifs de “socialisation”, on fait jouer et sauter les chiots dès l’élevage parmi les adultes et les enfants, alors qu’après l’acquisition les propriétaires puniront leur animal s’il mordille et saute », explique la fondatrice d’une méthode dite “écologique”, inscrite dans la durée, fondée sur une évaluation rigoureuse de l’animal et de son environnement, déclinée dans un logiciel baptisé Evaleha® et un programme de formations ouvert aux vétérinaires, aux auxiliaires spécialisés vétérinaires (ASV) et aux éducateurs canins. Des outils, sous la forme de six modules destinés à prévenir, rattraper ou rééduquer. « C’est généralement une question de bon sens. Une notion que les vétérinaires ont souvent perdue, regrette Nathalie Simon. Or, un professionnel doit savoir poser les bonnes questions, comprendre les évolutions comportementales selon l’environnement, mettre en relation les types de comportement sans approximation ou interprétation, apprécier les solutions et les risques, chercher des solutions cohérentes par rapport à l’environnement de l’animal, ne pas déstabiliser la famille par des contraintes impossibles à gérer… »
« Le professionnel doit devenir le référent, à tous les stades de l’éducation jusqu’à la stabilisation de chiens vieillissants, explique-t-elle, intarissable. La sécurité des vétérinaires et de leur personnel est aussi en jeu. Le plaisir de travailler dans un environnement harmonieux incitera la clientèle à revenir. C’est vraiment un domaine que les vétérinaires doivent investir. Tous ceux que j’ai formés sont débordés. Il y a une reconnaissance énorme. »
Jusqu’à présent, l’éducation canine reposait sur deux approches principales : la zoopsychiatrie, soutenue par un diplôme universitaire (DU) de psychiatrie vétérinaire dispensé par l’association Zoopsy – ex-gestionnaire du diplôme interécoles (DIE) de vétérinaire comportementaliste, aujourd’hui disparu –, l’université de Lyon et VetAgro Sup ; et l’éthologie, encadrée par un certificat d’études approfondies vétérinaires (CEAV) proposé par l’École nationale vétérinaire d’Alfort (ENVA).
Deux écoles, deux chapelles, dans lesquelles Nathalie Simon, diplômée d’un DIE de vétérinaire comportementaliste ne voulait pas s’enfermer. « À mes yeux, dans ces deux approches, l’évaluation était mal faite ou insuffisante, estime-t-elle. En zoopsychiatrie, on parle beaucoup de symptômes de maladies, d’anomalies comportementales et l’on considère assez peu l’approche familiale… En éthologie, on tient insuffisamment compte de l’environnement humain, qui peut être très différent d’une famille à l’autre. Dans ces deux cas, on crée des problèmes supplémentaires pour le propriétaire. Pour la prévention des abandons et des euthanasies, ces approches ne fonctionnent pas. Je ne fais pas du militantisme primaire, mais je recherche des outils pour éviter des situations qui sont un véritable gâchis, et qui malheureusement s’aggravent… »
Ces outils, elle les a trouvés de l’autre côté de l’Atlantique. Faute d’avoir été formée en sciences humaines au cours de son cursus vétérinaire, en 2004, elle s’envole pour l’université de Sherbrooke, au Canada, pour s’initier à l’approche écologique. « Parce qu’elle permet au vétérinaire de garder sa place. Il n’a pas besoin d’être psychologue pour agir. La méthode structure les informations que le vétérinaire récolte. Il ne dépasse pas son rôle et, surtout, ne joue pas les apprentis sorciers avec les familles. On donne juste les indicateurs de la mise en œuvre d’une approche pédagogique. Sans approximation. On note les informations, on les considère, on les utilise, et c’est tout. Les familles se dotent des moyens d’agir dans le concret. »Durant près d’une dizaine d’années, Nathalie Simon multiplie les allers-retours au Québec jusqu’à décrocher, en 2013, un doctorat (PhD) franco-québécois en sciences humaines de l’éducation, intitulé « Élaboration et évaluation d’une méthode d’évaluation écologique des difficultés d’ajustement du chien dans sa relation avec son environnement. » En soutenant sa thèse, elle décroche du même coup la caution scientifique de sa méthode. Malin. Elle serait aujourd’hui l’unique professionnelle à avoir associé deux doctorats en sciences humaines et vétérinaires. « Ces études sur l’éducation portent sur l’organisation des façons d’agir. » À l’international, avec la circulation des informations rendue possible par Internet, les méthodes varient selon les cultures propres à chaque pays. « On a de tout. Des choses fonctionnent, mais si l’on n’a pas intégré les notions d’apprentissage du chien, un jour ou l’autre, il y a un hic ! », observe-t-elle.
Initiée dès 2004, sous la forme de cahiers de prévention, la méthode Conduite accompagnée du chien® a été voulue pour questionner et structurer les éléments qui composent l’environnement matériel et social du chien et de la famille. « Il s’agit d’étudier ce qui se passe dans l’espace et dans le temps, de prendre en compte les variations, les modifications, les transitions des environnements pour révéler les décalages du comportement », précise Nathalie Simon. Depuis deux ans, cette méthode s’appuie sur le progiciel Evaleha®, un kit pédagogique remis aux propriétaires de l’animal, et un programme de formation comprenant six niveaux, dédiés aux vétérinaires, aux ASV et aux éducateurs canins. À ce jour, environ 600 professionnels ont été formés pour le niveau “Prévention”, 100 pour celui de “Rattrapage” et 30 pour le niveau “Rééducation”. Depuis sa mise en œuvre, le logiciel Evaleha® a permis d’engranger 2 000 dossiers. Depuis l’an dernier, 50 vétérinaires ont souscrit un abonnement et appliquent la démarche.
«
L’idéal est de former en même temps les vétérinaires et les ASV pour qu’ils tiennent le même discours à l’accueil et en consultation. Sinon, c’est du bricolage éducatif
», note Nathalie Simon, qui propose également des sessions de préacquisition. «
Les futurs propriétaires ne doivent pas hésiter à consulter les sites des éleveurs, à leur téléphoner et à se déplacer pour se rendre compte de visu
», conseille-t-elle. Indépendamment de son cabinet vétérinaire, Nathalie Simon a monté un centre d’éducation où sont dispensées les formations, en intérieur et en extérieur. C’est là qu’elle invite à feuilleter des livres de races de chiens, à ouvrir les yeux sur les caractéristiques des comportements, les problématiques de chaque race, et cherche à faire émerger ce que le propriétaire aime ou non, pour éviter les abandons et les euthanasies intempestives et réussir une éducation canine «
qui n’a absolument rien à voir avec celles des enfants
», assure-t-elle.
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