Quelles perspectives pour les rodonticides anticoagulants ? - La Semaine Vétérinaire n° 1741 du 23/11/2017
La Semaine Vétérinaire n° 1741 du 23/11/2017

INTOXICATION

PRATIQUE CANINE

L'ACTU

Auteur(s) : LORENZA RICHARD  

La forte rémanence des molécules antivitamine K dans les cadavres de rongeurs pose des problèmes d’empoisonnements secondaires chez leurs prédateurs. Une équipe cherche ainsi à améliorer les rodonticides anticoagulants sur le plan de l’écotoxicité, tout en travaillant sur des outils diagnostiques chez les animaux intoxiqués, plus sensibles et plus précoces.

Les demandes de conseils de praticiens pour une intoxication animale par des rodonticides anticoagulants, présentés sous forme d’appâts aisément ingérables, constituent le premier motif d’appel (11 % du total, soit plus de 2 000 demandes par an) au Centre national d’informations toxicologiques vétérinaires (CNITV). À l’occasion des 40 ans du CNITV, l’unité mixte de recherche (UMR) 1233 de VetAgro Sup1 a présenté ses premiers résultats concernant l’amélioration de ces produits, en décembre 2016, sur le campus vétérinaire de Marcy-l’Étoile.

Réduire l’écotoxicité des rodonticides anticoagulants

En s’opposant au recyclage de la vitamine K, nécessaire à l’activation des facteurs de coagulation, les rodonticides anticoagulants permettent de gérer efficacement les populations de rongeurs en provoquant une hémorragie en 3 à 5 jours.Cependant, leur forte rémanence dans les cadavres (plus de 100 jours pour certaines molécules de seconde génération) est à l’origine d’empoisonnements secondaires de prédateurs de rongeurs intoxiqués.

L’une des pistes proposées par l’UMR 1233 pour contribuer à l’amélioration de ces rodonticides en termes d’écotoxicité est basée sur leur stéréochimie. Chacun est actuellement commercialisé sous forme de mélange de stéréo-isomères de configuration spatiale différente (cis/trans). L’UMR 1233 a montré que ces stéréo-isomères ont des rémanences différentes chez les rongeurs, tout en ayant le même pouvoir anticoagulant. Par exemple, la rémanence de la forme trans de la bromadiolone est plus longue que celle de la forme cis, alors qu’elle compose 70 % du produit. Enrichir la composition de la bromadiolone en sa forme cis permettrait ainsi de limiter son écotoxicité, sans diminuer son efficacité. Une solution envisagée serait donc la création d’une troisième génération de rodonticides anticoagulants, où les ratios de stéréo-isomères seraient modifiés pour enrichir le produit en sa forme la moins rémanente, ce qui contribuerait à une réduction majeure des empoisonnements secondaires.

Cela n’est envisageable que si le stéréo-isomère de faible rémanence chez le rongeur l’est également chez les animaux domestiques. L’UMR 1233 a donc initié une étude clinique afin de monitorer la rémanence des stéréo-isomères chez des chiens intoxiqués et recrutés auprès de vétérinaires praticiens. Les premières analyses suggèrent que les stéréo-isomères les moins rémanents chez le rat le sont également chez le chien. Ainsi, cette troisième génération de rodonticide permettrait aussi de réduire la durée de traitement d’une intoxication. De plus, parmi les sujets intoxiqués, plus de la moitié l’étaient par plusieurs rodonticides simultanément. De cette observation est née une nouvelle étude consistant à évaluer l’exposition des animaux à ces produits par l’analyse de fèces de chiens “tout-venant” ne présentant aucun symptôme hémorragique.

Améliorer le diagnostic d’une intoxication

Contribuer à l’amélioration du diagnostic d’intoxication est également en projet. La mesure du temps de Quick (TQ) est actuellement la méthode de choix pour mettre en évidence une intoxication à ce type de molécule, mais elle ne permet qu’une détection tardive (48 heures après l’ingestion). Cette dernière pourrait être beaucoup plus précoce grâce à la mesure de l’activité des facteurs VII et X. Ainsi, chez le rat, leurs activités sont divisées par deux en moins de 5 heures avec, pour le facteur X, une évolution totalement corrélée à celle du TQ. La mesure de l’activité du facteur X pourrait constituer une amélioration majeure.

Enfin, l’identification du rodonticide chez un animal domestique intoxiqué vivant pourrait être réalisée à partir de ses fèces, qui constitueraient une matrice plus adaptée que le plasma actuellement utilisé. Les concentrations plasmatiques des anticoagulants, très faibles et détectables sur une courte période, sont en effet à l’origine de nombreux faux-négatifs, alors qu’ils sont fortement excrétés dans les fèces durant plusieurs semaines après l’ingestion des appâts. Ces premiers résultats doivent être confirmés, et les praticiens qui désirent participer à une des études peuvent prendre contact avec l’UMR 12332.

1 Virginie Lattard (chef d’équipe, maître de conférences en toxicologie), Sébastien Lefebvre (maître de conférences en alimentation), Marlène Damin (doctorante) et Laurence Tavernier (CNITV).

2 avk-chiens@vetagro-sup.fr.