ANTIBIORÉSISTANCE
ACTU
ÉVÉNEMENT
Auteur(s) : STÉPHANIE PADIOLLEAU
Rendez-vous incontournables pendant la semaine mondiale de sensibilisation aux antibiotiques, les colloques respectifs proposés par l’Agence nationale de sécurité sanitaire, le 15 novembre, et celui organisé par les ministères de la Santé et de l’Agriculture, le 16 novembre, ont fait la part belle à la diminution nette de l’exposition des animaux aux antibiotiques.
Le plan ÉcoAntibio 2012-2017 est un succès. Mieux : les résultats ont dépassé les objectifs, quel que soit l’indicateur considéré1. Le plan prévoyait une diminution de l’exposition globale des animaux aux antibiotiques de 25 %, elle est de 36,6 %. Le tonnage, lui, a diminué de plus de 40 % : de 910 tonnes en 2011, il est passé à 530 en 2016, alors qu’il était de 1 311 tonnes en 1999. La chute de consommation est encore plus nette pour les antibiotiques critiques, avec une diminution de l’exposition de 74,9 % pour les fluoroquinolones, et de 81,3 % pour les céphalosporines de 3e et 4e générations.
Du côté des bactéries, l’évolution de la sensibilité aux antibiotiques est plus lente, mais globalement une amélioration est constatée dans les niveaux de sensibilité à la plupart des antibiotiques2. Toutefois, il sera nécessaire « d’évaluer l’impact des modifications d’usage des antibiotiques sur la résistance », souligne Gérard Moulin, de l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses). En particulier, une légère tendance à l’augmentation de la résistance est constatée par le Réseau d’épidémiosurveillance de l’antibiorésistance des bactéries pathogènes animales (Résapath) depuis 2015, en ce qui concerne l’amoxicilline et l’association avec l’acide clavulanique chez les bactéries isolées lors d’infection en filières porcs et volailles, et pour d’autres antibiotiques en filières poules/poulets et dindes3.
La surveillance des résistances chez les bactéries commensales et zoonotiques, réglementée dans l’Union européenne, montre elle aussi une évolution positive des niveaux de sensibilité, malgré une augmentation de la résistance aux quinolones et aux fluoroquinolones des souches de Campylobacter jejuni issues de poulets à l’abattoir. Le Résapath surveille également la résistance des bactéries d’origine animale vis-à-vis des carbapénèmes, une famille d’antibiotiques interdite chez les animaux et qui n’est pas testée par les antibiogrammes vétérinaires. Le Résapath a identifié 30 souches de Pseudomonas aeruginosa, isolées chez des animaux (en majorité des chiens) ayant une sensibilité diminuée aux carbapénèmes parmi les 527 collectées entre 2008 et 2014.
Les volumes de ventes d’antibiotiques montrent une diminution d’usage de la colistine, et donc une diminution de l’exposition des animaux à cet antibiotique critique pour la santé humaine. L’exposition à la colistine a diminué respectivement de 43,4 %, 51,6 % et 26,7 % en 2016 par rapport à la moyenne 2014-2015 pour les filières bovine, porcine et avicole. L’objectif fixé dans le plan ÉcoAntibio 2, une diminution de 50 % pour chacune de ces filières, est déjà en bonne voie. Les niveaux de résistance sont, eux, plus difficiles à évaluer mais demeurent faibles, que ce soit chez les bactéries commensales par surveillance programmée ou isolées lors d’infection (< 2 %). Depuis la détection du premier gène de résistance à la colistine en Chine, mcr-1, d’autres ont été identifiés : mcr-2, surtout en Belgique, et, depuis juin 2017, les gènes mcr-3, mcr-4 et mcr-5. Des analyses sont en cours pour déterminer si les deux derniers gènes sont présents en France, mais mcr-3 a pu être détecté dans des souches d’Escherichia coli productrices de ß-lactamases (BLSE) collectées chez des veaux en 2011, provenant de plusieurs régions. Les gènes de résistance à la colistine sont souvent associés à d’autres gènes. La méthode classique employée pour tous les antibiotiques, par détermination de la concentration minimale inhibitrice par diffusion, n’est pas suffisamment fiable dans le cas de la colistine. L’Anses a développé une méthode alternative (le Colispot), toujours par diffusion, mais dans laquelle le disque contenant l’antibiotique est remplacé par une goutte de solution de colistine
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Depuis plusieurs années, des indicateurs de résistance au sein de l’environnement sont étudiés dans les effluents urbains et hospitaliers (gènes de résistance aux antibiotiques, aux métaux lourds, aux biocides, intégrons, éléments génétiques mobiles). Ce suivi a montré que le résistome est relativement stable dans le temps, tout en ayant une signature spécifique pour chaque site étudié, avec des concentrations en gènes de résistance deux à 156 fois plus élevées dans les effluents hospitaliers par rapport aux effluents urbains. À des concentrations sub-inhibitrices, certains antibiotiques favorisent la dissémination de gènes de résistance par induction de l’expression des fonctions de mobilité des éléments génétiques mobiles, même si l’élément ne comporte pas de gène de résistance à l’antibiotique inducteur. Des techniques de bioluminescence permettent de visualiser l’apparition de résistance à des concentrations inférieures aux concentrations minimales d’inhibition (CMI) sur des antibiogrammes par diffusion. D’autre part, un modèle d’étude in vitro dynamique a été développé en partenariat public-privé entre l’École nationale vétérinaire de Toulouse et l’industrie pharmaceutique. Il permet d’évaluer l’effet d’antibiotiques sur des bactéries pathogènes sur toute la durée d’un traitement en simulant les caractéristiques de l’organe impliqué, selon la charge infectieuse, le dosage, le rythme et la voie d’administration des antibiotiques, et également d’étudier les interactions médicamenteuses. Du côté des alternatives aux traitements, plusieurs pistes sont en cours de développement : utilisation simultanée de la phagothérapie et des ciseaux moléculaires (Crispr-cas9) pour aller couper les gènes de résistance ; développement de produits destinés à protéger la flore du côlon, soit par adsorption des molécules d’antibiotiques par un dérivé de charbon activé, soit par destruction par des ß-lactamases recombinantes ; création de microbiotes synthétiques, etc., qui pourront être employées, du moins en médecine humaine, dans un futur proche.
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3 Lire page 61 de ce numéro.